Testet : le défrichement a été mené sans autorisation

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SivensAlors que plus de deux tiers de la zone humide du Testet ont déjà été déboisés, des associations mettent en doute la légalité des travaux de défrichement. L’autorisation en est en effet introuvable ! Le tribunal d’Albi examine le dossier ce vendredi 12 septembre à 10 heures 30.
- Toulouse, correspondance
Tout commence lundi dernier. Alertés par leurs membres, les responsables midi-pyrénéens de France Nature Environnement se mettent en quête d’une pièce essentielle dans un projet comme celui du barrage de Sivens : l’autorisation préalable de défrichement. « Ca paraissait tellement évident qu’ils l’aient déposée qu’on n’a pas pensé tout de suite à vérifier » , explique Thierry de Noblens, président de FNE-Midi-Pyrénées.
L’association envoie alors un huissier à la Préfecture du Tarn avec une sommation interpellative pour obtenir ledit document. On lui retourne alors un courrier, daté du 5 septembre portant accusé réception de la demande d’autorisation. Mais pas l’arrêté d’autorisation préalable en lui-même.
Or, cette autorisation préalable doit, selon la loi, être affichée publiquement sur les lieux des travaux et en mairie de la commune concernée au moins quinze jours avant le début du défrichement (article L341-4 du Nouveau Code Forestier).
Reporterre se rend donc à la mairie de Lisle-sur-Tarn pour consulter le document relatif au chantier forestier en cours à Sivens. Sur place, aucune trace, ni sur les murs, ni dans les registres. « La demande est en cours » nous dit-on. Après vérification par la secrétaire de mairie auprès de la Direction départementale des territoires à la Préfecture, le fonctionnaire explique : « À Sivens, il ne s’agit pas de défrichement, mais de déboisement ».
Défrichement ou déboisement ?
Or, au regard de la loi, défricher et déboiser n’ont pas du tout le même sens. Le défrichement consiste « à mettre fin à la destination forestière d’un terrain, en détruisant ou pas son état boisé, avec changement d’affectation du sol », indique le site de la Préfecture du Tarn.
En revanche, le mot déboisement n’est jamais clairement défini et n’apparait qu’une fois à l’article L341-2 du Nouveau Code Forestier : « Ne constitue pas un défrichement un déboisement ayant pour but de créer à l’intérieur des bois et forêts les équipements indispensables à leur mise en valeur et à leur protection, sous réserve que ces équipements ne modifient pas fondamentalement la destination forestière ». Déboiser c’est couper des arbres en leur donnant la possibilité de repousser ensuite.
Or, selon l’avocate de France-Nature-Environnement, Me Alice Terrasse, « dès lors qu’on a coupé plus de 10 m² à Sivens, il s’agit d’un défrichement ». Et d’autant plus que la destruction de la forêt vise à la réalisation d’un barrage, et modifie donc "fondamentalement la destination forestière".
De surcroît, conformément aux procédures classiques, la Préfecture a pris soin de prendre en juin dernier un arrêté « portant distraction de la forêt », ce qui signifie qu’il lui retire son caractère forestier. Un arrêté qui n’enlève cependant pas la nécessité de l’autorisation préalable.
S’il s’agit d’un défrichement, cela doit être affiché. Si ce n’est pas le cas, le responsable du chantier et la mairie s’exposent à des amendes. Le projet de barrage a pourtant été déclaré « d’utilité publique », même si les opposants le contestent (voir encadré ci-dessous). La circulaire du 28 mai 2013 précise que « la déclaration d’utilité publique ne dispense nullement la collectivité, ou celui qui en bénéficie, d’obtenir, s’il y a lieu, l’autorisation de défrichement : la réglementation relative aux déclarations d’utilité publique et la réglementation sur le défrichement sont indépendantes. »
- Circulaire à télécharger :
Des travaux illégaux ?
A ce jour, il n’y a donc aucune preuve de l’existence d’une déclaration préalable de défrichement comme en atteste notre visite à la mairie de Lisle-Sur-Tarn. Et s’il s’agissait d’un déboisement, pourquoi une demande pour un défrichement est-elle en cours ? La destruction et le broyage d’arbres pour construire un barrage constituent-ils une preuve suffisante de la volonté de faire perdre le « caractère forestier » ?
Pour trancher la question, Le Collectif Testet, France Nature Environnement et Nature Midi Pyrénées ont déposé un recours en référé civil, au tribunal d’Albi. L’audience aura lieu ce vendredi à 10 heures 30.
Si la justice tranchait en faveur d’un défrichement, elle pourrait condamner l’entreprise qui mène le chantier, la CACG, à une amende de 150 euros par m² détruit. La zone humide détruite s’étendant sur 12 hectares, la note serait salée, de l’ordre d’1,8 million d’euros. Mais plus encore, il serait possible « d’ordonner l’interruption des travaux et la consignation des matériaux et du matériel de chantier » (article L.363-4 du code forestier).
Alors que les collectifs réclament sans succès la suspension des travaux depuis des semaines, c’est ainsi la justice qui pourrait apporter un répit. Peut être alors sera-t-il possible de procéder au réexamen du projet par le ministère de l’Ecologie.
La mission d’expertise envoyée par Ségolène Royal a été boycottée conjointement par France-Nature-Environnement, la Confédération Paysanne et le Collectif Testet : « La décision de boycotter cette rencontre n’a pas été facile car nous appelons de nos vœux cette expertise indépendante depuis un an. Mais le gouvernement n’a pas encore montré sa réelle volonté de favoriser le dialogue puisqu’il n’a toujours pas fait cesser le défrichement illégal des 29 hectares boisés ».
Dont il ne reste plus que quelques arbres encore debout.
LES AUTRES RECOURS JURIDIQUES CONTRE LE BARRAGE DE SIVENS
Si cette procédure sur l’autorisation de défrichement vient d’être lancée, d’autres courent depuis longtemps.
La plus urgente est le recours en référé suspension contre « l’arrêté de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées » pris le 16 octobre 2013. En effet, contre les avis du Conseil National de Protection de la Nature, la Préfecture du Tarn a décidé de donner une dérogation pour la destruction d‘espèces protégées, 94 d’entre elles ayant été référencées par les naturalistes sur la zone humide. La justice tiendra audience lundi 15 septembre sur la possibilité de suspendre cet arrêté, et avec, les travaux, en attendant d’en juger sur le fond dans une ou deux années.
Les autres procédures, ayant échoué à suspendre les travaux, sont désormais en attente de jugement sur le fond contre « l’arrêté relatif à la loi sur l’eau » du 2 octobre 2013 et enfin contre l’ensemble de la déclaration d’utilité publique, toujours contestée malgré sa signature le 2 octobre 2013. Mais pour ces procédures, il faudra encore attendre un an pour que la justice se saisisse du dossier.