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ReportageSivens

Testet : les lycéens se révoltent contre le massacre de la nature et la violence policière

À Gaillac, Castres, Albi, des lycéens ont bloqué leur établissement pour protester contre la destruction de la zone humide. Pendant ce temps, la justice rejetait les recours des opposants, infligeant même une amende à l’association plaignante ! Tandis que le président du Conseil général a reconnu que le projet était... surdimensionné. Et les fonds européens pourraient ne pas financer le massacre. Une farce tragique et grotesque.


-  Toulouse, correspondant

« Il fallait trouver un moyen pour que la mobilisation remonte beaucoup plus haut ». Amine, lycéen de Gaillac, n’est pas très à l’aise quand on l’interroge sur ce qui se passe dans son établissement depuis le début de la semaine. Et pourtant, c’est un des témoins directs d’une nouvelle étape dans la mobilisation contre le barrage de Sivens.

Lundi matin, trois cents jeunes se rassemblent devant le lycée Victor Hugo de Gaillac. Ils montrent des pancartes et bloquent autant qu’ils le peuvent les entrées. « On a fait un blocus pour que tout le monde puisse venir », raconte Amine. Ils font rapidement face aux forces de police : « Ils étaient une trentaine et ont commencé par arracher des pancartes et nous repousser avec leurs boucliers. Certains sont tombés par terre, d’autres ont reçu des coups de matraque, alors que nous étions tous non violents. Quand même, de telles violences sur des lycéens même pas majeurs, c’est n’importe quoi ! » Et quand on l’interroge sur le projet de barrage, la réponse est limpide : « Je n’étais pas retourné là-bas depuis longtemps. Tout a changé, ils ont tout détruit, deux tiers de la forêt, et le pire c’est que les travaux continuent ! »

Dans la matinée, ces jeunes, rejoints par quelques grévistes de la faim, partent en manifestation improvisée pour aller demander des comptes à la mairie de Gaillac. Faute de coordination suffisante, ils ne seront pas reçus, mais le message est passé dans la population. Le lendemain mardi, le matin, avec un peu moins d’effectifs, le blocage partiel du lycée reprend. Valentin, en terminale S, relate cette journée : « On était mieux organisés, avec des ateliers, des actions. Nous étions devant la mairie de Gaillac quand on a été averti de l’arrivée de camions de gendarmes mobiles. Le maire nous a alors dit ’après 48 heures, ça suffit’ et les gendarmes nous ont fait comprendre qu’il valait mieux se déplacer dans le parc à côté. Mais on ne compte pas en rester là. »

- Lycée Victor Hugo -

Car dans le même temps, le même jour, suivant l’exemple de Gaillac, c’est au lycée Borde Basse à Castres que plus de quatre cent élèves se sont à leur tour mobilisés et ont bloqué l’accès à leur lieu d’enseignement, simplement pour « faire notre part des choses ».

-  Ecoutez le témoignage de Rémi, terminale S à Borde Basse :

Si à Gaillac, on tente de temporiser, le blocage sera probablement reconduit ce mercredi matin à Castres, tandis que dans la foulée le lycée Bellevue d’Albi se prépare à agir. Et les soutiens affluent, du collectif Testet, des grévistes de la faim, des zadistes, qui viennent raconter l’histoire du mouvement qui ne cesse de s’amplifier malgré les assauts policiers et le passage en force permanent depuis maintenant trois semaines.

Une justice « incompétente » pour stopper la folie destructrice

Car l’entrée en scène des lycéens intervient au moment où toutes les autres issues semblent bouchées. Le déboisement est désormais achevé, la zone humide du Testet n’existe plus, ensevelie sous les broyats d’arbres tronçonnés ou réduits en copeaux par les machines. Alors que 800 personnes étaient réunies sur le site dimanche, replantant symboliquement quelques arbres, les forces de l’ordre et les machines déboulèrent dès la fin du rassemblement pour terminer dans l’urgence et de nuit le travail de destruction : lorsqu’on n’a plus d’argument, on utilise la force brutale.

Mais c’est maintenant la justice qui fait parler d’elle. Ce mardi, deux jugements étaient rendus, l’un sur le défrichement et l’autre sur la dérogation à la destruction des espèces protégées.

Comme pressenti, le juge administratif a débouté la demande concernant les espèces protégées, sans apporter de justification, comme cela s’était déjà produit lorsque le même juge avait été saisi en février dernier.

-  Télécharger l’ordonnance de jugement du tribunal administratif de Toulouse :

C’est la décision d’Albi qui a le plus surpris : la juge des référés s’est déclarée incompétente pour juger du dossier (saisi en droit privé), renvoyant la question devant un tribunal administratif (droit public). Mais surtout, elle a assorti sa décision d’une sanction de 4.000 euros à l’encontre des associations environnementales pour plainte abusive, somme reversée à l’avocat de la CACG pour financer les frais de procédure !

-  Télécharger l’ordonnance de jugement du tribunal d’Albi :

Les financements du projet prennent l’eau

Alors qu’aucun dialogue n’était possible et que la police poursuivait ses opérations de répression policière quotidiennes, Thierry Carcenac, président du Conseil général du Tarn, s’est livré ce lundi à quelques déclarations surprenantes. La semaine dernière, soixante élus de Midi-Pyrénées, parmi lesquels José Bové et Jean-Luc Mélenchon, demandaient la cessation immédiate des travaux et l’ouverture d’un moratoire. Lundi matin, à 7 heures 30, une délégation de ces élus était enfin reçue au Conseil général du Tarn.

Françoise Dedieu-Castries, élue au Conseil Régional chargée du développement durable (EELV) eut la surprise d’entendre pour la première fois « reconnaitre officiellement que le projet de barrage est surdimensionné et que le Conseil général aurait des difficultés à obtenir dans les temps les financements européens du fond FEADER ». Elle décrit ensuite M. Carcenac comme un homme « cherchant à s’en sortir par le haut dans l’affaire en associant les élus pour réévaluer le projet avec eux et que celui-ci se fasse quand même ». Mais sur la question des violences policières « aucune avancée, aucune humanité ».

L’aveu de M. Carcenac suscite la colère chez les opposants, outrés par la lenteur à admettre la réalité dénoncée depuis si longtemps.

-  Ecoutez la réaction de Ben Lefetey, porte-parole du collectif Testet :

L’aveu du président (PS) du Conseil général a également fait réagir les élus du Conseil Régional qui dans un communiqué dénoncent « la fuite en avant de Thierry Carcenac »

-  Télécharger le communiqué de la délégation des élus :

Comme Reporterre le relevait dès octobre 2013, l’obtention des fonds européens FEADER (fonds européens destinés au développement rural) était déjà fortement soumise à caution, notamment en raison du calendrier serré exigé. Avec le report du défrichement de mars dernier à cet automne, les délais sont certainement devenus intenables. Au final, deux millions d’euros sont en jeu.

Après l’Union Européenne, c’est maintenant du côté de l’Agence de l’Eau que des questions se posent. Vendredi 12 septembre, lors d’une occupation surprise par des militants toulousains des locaux de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, un responsable leur a indiqué que les financements de l’Agence au projet pourraient également être remis en cause si les experts envoyés par la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, émettaient un avis défavorable. Or, l’Agence de l’Eau représente 50% des financements du projet de barrage.

A noter qu’un des experts pressentis, Philippe Quiévremont, a été écarté de la mission d’expertise en raison de son travail très orienté en faveur des irrigants dans le rapport Martin sur l’usage de l’eau en 2013.

Le tragique rejoint l’absurde : la zone humide désormais réduite à néant, le projet pourrait ne pas avoir lieu faute de financements, en attendant que d’ici un ou deux ans la justice se prononce sur la légalité et sur le fond dans trois affaires encore en cours sur des arrêtés pris le 3 octobre 2013.

Une destruction tragique, des autorités grotesques

- La Zad : avant, après... -

Preuve du grotesque de la situation, l’équipe de joyeux lurons de Groland qui, à l’occasion du Troisième Festival du Film Grolandais (Fifigrot) qui se déroule cette semaine à Toulouse, a décidé de se délocaliser dans le Tarn, et de faire naître la « Grozad », en solidarité avec les opposants. Noël Godin (l’entarteur, qui a prévu de « rencontrer » Thierry Carcenac), Jean-Pierre Bouyxou, Raoul Vaneigem, Sergio Ghirardi, Jean-Henri Meunier, Benoît Delépine et Alessandro Di Giusseppe avec l’Eglise de la Très Sainte Consommation, seront entre autres présents ce mercredi en soutien aux grévistes de la faim, aux occupants de la ZAD et aux lycéens. Un coup de projecteur humoristique et des lycéens audacieux pourront-ils réussir là où la justice et les occupations de terrain ont jusqu’ici échoué ?

-  Voir la vidéo Grozad.

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