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Culture

Trois photographes racontent leur démarche face à la crise écologique

Beauté du monde, tragique des pollutions, espoir des alternatives... Autant de voies explorées par les photographes pour nous sensibiliser à l’écologie. Retour sur la rencontre organisée par Reporterre et la Fondation Good Planet le 13 avril, « L’écologie vue par les photographes ».

Une clairière dessinant un cœur au milieu d’une forêt, un fleuve dessinant de ses tentacules un dédale dans la plaine, des champs en escalier composant une mosaïque de verts clairs… Ces photos de Yann Arthus-Bertrand ont marqué notre imaginaire. La Terre vue du ciel [1] a été publié en 1999, avec l’idée que montrer la beauté de la planète donnerait envie de la préserver. Mais aujourd’hui, comment la photographie peut-elle participer à la prise de conscience de la catastrophe écologique et à notre mise en action ?

Reporterre a posé la question à trois photographes le samedi 13 avril, à l’occasion d’une Rencontre de l’Écologie organisée par Reporterre et la Fondation Good Planet au domaine de Longchamp, dans le bois de Boulogne. C’est là que s’est installée la fondation de Yann Arthus-Bertrand. Ce dernier, dont le dynamisme ne laisse pas deviner ses 73 ans, représentait l’ancienne génération. Jérômine Derigny, 47 ans et 20 ans de photo ainsi que Stanley Leroux, 34 ans et 7 ans d’expérience, incarnaient la relève.

De gauche à droite : Jéromine Derigny, Stanley Leroux, Marion Esnault et Yann Arthus-Bertrand.

« Quand La Terre vue du ciel est paru, j’avais une quinzaine d’années. J’ai grandi avec et il est probable que ces images ont joué un rôle dans ma décision de devenir photographe », confiait Stanley Leroux à Reporterre juste avant le débat. « Yann Arthus-Bertrand est incontournable. Il a un vrai pouvoir de sensibilisation du grand public aux questions d’environnement », estimait Jérômine Derigny.

« Les lions m’ont appris la beauté évidente »

Devant une salle d’environ 200 personnes, chacun des trois débatteurs du jour a pu détailler sa démarche. Yann Arthus-Bertrand a raconté qu’il avait commencé par photographier les lions au Kenya. « Ils m’ont appris la beauté évidente », dit-il. En parallèle, il a été pilote de montgolfière pour gagner sa vie. « J’ai découvert la photographie aérienne. À ce moment, les gens ne la connaissaient pas. C’était la grande époque de la presse. J’ai rapidement très bien vendu mes photos », poursuit-il. Alors que son usage intensif de l’hélicoptère ou de l’avion lui est régulièrement reproché, ainsi que certains de ses mécènes et partenaires (Yann Arthus-Bertrand a autrefois travaillé avec le Paris-Dakar ou Total, et s’en est expliqué auprès de Reporterre en 2015), le photographe explique sa démarche : « Je prends des mécènes pour que mes films soient gratuits, disponibles pour tous. »

« Je n’ai pas d’intentions quand je fais des photos. Je les fais parce que je trouve ça beau », dit Yann-Arthus Bertrand, qui est l’auteur de cette photo de barrière de corail.

C’est au tour des photos de Jérômine Derigny de défiler. Membre du collectif de journalistes et photographes Argos, elle publie quasi uniquement dans la presse et se définit d’ailleurs comme photojournaliste. « Dans la profession, on ne compte que 25 femmes ayant la carte de presse », fait-elle remarquer. Son style tranche avec celui de Yann Arthus-Bertrand. Elle privilégie les reportages, mettant les personnages au centre des récits. Elle a commencé par le social et les prisons pour mineurs. « Mais j’y parlais déjà d’espoir, à travers la réinsertion », dit-elle. Elle a poursuivi avec un travail sur les alternatives — une série sur le commerce équitable, puis une autre sur les Amap. « C’était il y a une quinzaine d’années, à l’époque on ne connaissait pas. » Chaque sujet mêle social et écologie. « Actuellement on travaille sur l’accaparement des océans. Je suis allée au Gabon avec l’ONG Sea Shepherd qui travaille sur le contrôle de la pêche. On a fait un reportage là-dessus, mais on s’est aussi rendu compte que certains bateaux de pêche chinois avaient pour marins des Indonésiens sans papiers qui n’avaient pas mis le pied à terre depuis plus de deux ans », ajoute-t-elle.

Stanley Leroux, lui, a un style plus proche de celui de Yann Arthus-Bertrand. Il immortalise des paysages intouchés par l’être humain ou bien menacés, des animaux risquant l’extinction. « Le terme de beauté évidente me parle, enchaîne-t-il. J’y ai été confronté lors d’une exposition photo. Quand j’en suis sorti, de fil en aiguille, j’ai changé de vie professionnelle pour devenir photographe. » Il a notamment travaillé sur une petite espèce de manchot résidant dans les Îles Falkland, le gorfou sauteur. « On a perdu 87 % de la population mondiale de gorfou au cours du siècle dernier, mais on ne savait pas pourquoi, explique-t-il. Il a fallu une médiatisation pour qu’on lance des recherches, et qu’on comprenne qu’il n’arrivait pas à s’adapter au changement climatique. »

« Bien souvent les sujets les plus humains sont ceux qui sont les plus proches de nous »

Puis les trois protagonistes comparent leur approches, guidés par Marion Esnault, de Reporterre, animatrice du débat. Faut-il impressionner, fasciner le public avec le beau et le lointain ou plutôt intéresser par le proche et le quotidien ? « Tous les photographes commencent par partir à l’aventure à l’autre bout du monde mais bien souvent les sujets les plus humains sont ceux qui sont les plus proches de nous », estime Yann Arthus-Bertrand. « J’ai cette chance d’aimer faire des sujets près de chez moi, cela permet de ne pas engager trop de frais et donc de travailler sur la longueur », se félicite Jérômine Derigny. Ainsi, elle a aussi photographié, non loin de chez elle, les chèvres de Bagnolet, leur berger, et les réactions des habitants des cités alentours.

À Bagnolet, l’association « Sors de terre » héberge un troupeau. « J’ai la chance d’aimer faire des sujets près de chez moi », dit Jérômine Derigny.

Le voyage pose d’ailleurs la question de l’impact des déplacements. Stanley Leroux montre une photo de la cordillère de sel, au Chili. « Je ne pourrais plus la faire aujourd’hui car le lieu, hautement touristique, a été fermé pour le protéger. Je me pose de plus en plus la question de l’utilité de ma présence sur ces lieux. Je ne veux aller que dans des endroits où je serai réellement utile. » Il raconte également avoir renoncé à un projet qui aurait nécessité de nombreux déplacements à travers le monde et donc un coût écologique important, suscitant les applaudissements du public. Yann Arthus-Bertrand, lui, a choisi la voie de la compensation carbone pour ses films. « C’est d’ailleurs pour cela qu’a été créée la Fondation GoodPlanet, explique-t-il. Mais il faut une prise de conscience. J’ai arrêté de prendre l’avion pour les trajets en France il y a seulement deux ans, je me demande pourquoi ça m’a pris tant de temps. »

Marion Esnault relance le débat sur un autre axe : « On dit souvent qu’une bonne photo se suffit à elle-même. Mais est-ce possible, quand on parle de changement climatique et d’écologie ? » Tous répondent par la négative. « Je réalise presque tous mes sujets avec un rédacteur », indique Jérômine Derigny. « La photo est partout maintenant, il faut donc se distinguer, raconter des histoires, mais on n’apprend pas ça en école de photographie », déplore Yann Arthus-Bertrand. « La photo pour la photo ne m’a jamais intéressé », approuve Stanley Leroux.

Les trois photographes s’accordent pour conclure sur la complémentarité de leurs approches. « On a besoin d’une diversité des discours », assure Stanley Leroux. « Cela dépend de la personnalité du photographe, précise Jérômine Derigny. Je suis plombée quand je vois quelque chose de plombant. Alors ce n’est pas comme ça que je vais transmettre ! » Marion Esnault, qui a travaillé sur cette problématique, complète : « Une étude a montré que les personnes non conscientisées ont besoin d’images choc mais aussi que placer l’humain au cœur de l’image suscite l’action. »

Stanley Leroux a photographié des coulées de boue dans un désert de sel, dans la cordillère des Andes. « À cause du dérèglement climatique, les tempêtes sont plus fréquentes. »

Le débat clos, la salle s’anime. Dans le public, beaucoup portent un appareil photo en bandoulière, tels Alain, qui se définit comme un « amateur averti ». « Il y a des photos descriptives et des photos narratives, dit-il. Ce qui fait avancer, c’est la photo narrative, mais c’est extrêmement difficile, surtout pour les paysages. Chaque photo de Yann Arthus-Bertrand est très belle graphiquement, mais c’est quand on regarde la série qu’elles deviennent narratives et prennent sens. » Quelques chaises plus loin, Greg parie sur les nouvelles possibilités comme la photographie à 360° pour faire de la pédagogie autour de l’écologie. « Je veux sensibiliser les gens avec des formats immersifs », explique-t-il. La sensibilisation est aussi un objectif poursuivi par Émile Loreaux, photographe professionnel qui se met en scène sur ses propres photos pour interpeller sur les questions écologiques. Entre l’éloge de la beauté de la nature et l’interpellation sociale, il ouvre une nouvelle voie, celle de l’humour : « Mon personnage, comique, vient questionner les gens. Cette entrée ludique permet de les emmener. »

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