Trop de voitures, trop d’avions : la France rate ses objectifs climatiques

En 2022, la France a émis 386,9 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2e), alors que le plafond d’émissions nettes était fixé à 367 MtCO2e. - © Kenzo Tribouillard / AFP
En 2022, la France a émis 386,9 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2e), alors que le plafond d’émissions nettes était fixé à 367 MtCO2e. - © Kenzo Tribouillard / AFP
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Politique ClimatLa France n’a pas respecté ses objectifs climat et énergie en 2022. Les associations écologistes réclament des mesures fortes. Le gouvernement, lui, reste flou sur la méthode qu’il compte employer.
L’année dernière, la France n’a pas réellement atteint ses objectifs climatiques. Voilà la conclusion du dernier rapport de l’Observatoire climat-énergie, publié le 14 septembre. À l’aide de plusieurs graphiques et de données provisoires, il montre l’évolution des émissions nationales de gaz à effet de serre en 2022 par rapport à ce qui était prévu dans les budgets carbone – des sortes de « plafonds d’émissions » – fixés dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) en 2015, puis révisés en 2019.
Le constat est en demi-teinte. La France a certes respecté son objectif d’émissions brutes, mais « on est dans le rouge » pour l’objectif d’émissions nettes, affirme Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat, qui a développé l’Observatoire.
Celles-ci sont constituées de l’intégralité des émissions de gaz à effet de serre, tous secteurs confondus, auxquelles on a retranché le CO2 absorbé pendant l’année par les puits de carbone (principalement les sols et les forêts). Ainsi, en 2022, la France a émis 386,9 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2e), alors que le plafond d’émissions nettes était fixé à 367 MtCO2e. Soit un dépassement de 19,9 MtCO2e par rapport à l’objectif prévu.

Ce résultat est principalement dû à une mauvaise gestion des puits de carbone. « Les forêts n’ont pas du tout absorbé les quantités de CO2 prévues dans la SNBC », alerte Anne Bringault. En cause : les sécheresses, qui empêchent la croissance des arbres et donc leurs capacités d’absorption ; et les incendies, qui ravagent les forêts et rajoutent du CO2 dans l’atmosphère. En outre, des parasites et des maladies se sont également développés dans certaines forêts, indique le Réseau Action Climat.
« Il y a un vrai enjeu à replanter des arbres – et je ne suis pas sûre que c’est aux collégiens de le faire [Emmanuel Macron a annoncé lors d’une interview qu’il voulait que chaque élève de 6e plante un arbre] – mais surtout un vrai enjeu à préserver les forêts », commente Anne Bringault.
Transports, agriculture... Des secteurs sont mauvais élèves
Autre secteur défaillant : celui des transports. En 2022, ce secteur a émis 4,5 MtCO2e de plus que son objectif initial (130,5 MtCO2e au lieu de 126 MtCO2e). Les principaux responsables sont les véhicules particuliers (le trafic a augmenté, et les voitures vendues sont de plus en plus grosses et lourdes) et l’aviation domestique (les vols à l’intérieur de la France ont retrouvé leur niveau de 2019).
« Même en prenant en compte l’impact qu’a eu le Covid sur les transports, on est à peine au niveau prévu par la SNBC », dénonce Pierre Leflaive, responsable transports pour le Réseau Action Climat. Il précise que, pour respecter la SNBC, le secteur des transports ne devra émettre que 99 MtCO2 en 2030. Soit 24 % de moins qu’aujourd’hui. Autrement dit, on est très loin du rythme attendu. L’enjeu est pourtant crucial quand on sait que les transports représentent 32,3 % des émissions totales de la France.

Le secteur agricole a également été un mauvais élève en 2022. D’après des données provisoires, il a dépassé de 0,5 MtCO2e son objectif (76,5 MtCO2e au lieu de 76). Il n’est donc pas dans les clous, d’autant plus que ces données ne prennent en compte que la consommation d’énergie du secteur agricole. « Or [cela] représente moins de 10 % des émissions de gaz à effet de serre de ce secteur, observe Cyrielle Denhartigh, coordinatrice des programmes au Réseau action climat. Les autres parts d’émissions les plus importantes sont d’abord liées à l’élevage et à l’utilisation d’engrais azotés, pour lesquels les chiffres n’ont pas été mis à jour. »
En revanche, des progrès sont relevés dans les secteurs de l’industrie (73 MtCO2e, pas d’écart par rapport à l’objectif de la SNBC pour 2022) et des bâtiments (64 MtCO2e au lieu de 75, soit une diminution de 11 MtCO2e par rapport à l’objectif). L’Observatoire climat-énergie estime que ces bons résultats ont été obtenus « en partie grâce à des facteurs conjoncturels comme des prix de l’énergie élevés et un hiver doux, en partie par des actions de sobriété et d’efficacité ».
Pas assez d’énergies renouvelables
Si le volet climat n’est pas fameux, la France ne respecte pas davantage ses objectifs en matière d’énergie. Elle a consommé 27,9 terawatts-heure (TWh) d’énergies fossiles de trop par rapport à la trajectoire de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) pour 2022. De plus, alors qu’elle aurait dû atteindre 24,3 % d’énergies renouvelables dans sa consommation finale brute d’énergie, elle n’a atteint que 20,7 %.
Que ce soit pour les objectifs climatiques ou énergétiques, l’ensemble du Réseau Action Climat appelle donc le gouvernement à « renforcer les transformations structurelles dans tous les secteurs » et à « mettre en place les moyens d’atteindre ses objectifs ».
Mais celui-ci reste flou sur la stratégie qu’il compte employer. Emmanuel Macron était censé présider un conseil de planification écologique le 5 juillet : cet événement a sans cesse été repoussé depuis, alors que le président devait y annoncer des arbitrages importants sur le financement de la transition écologique. L’événement se fait tellement attendre que le Réseau Action Climat a publié sur X (anciennement Twitter) un avis de disparition parodique. En outre, l’avenir de la grande loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) est de plus plus incertain.
D’abord prévue en début d’année – elle aurait dû être adoptée avant le 1er juillet – elle était ensuite censée être débattue en séance à l’automne. Mais selon le ministère des relations avec le Parlement, le planning serait maintenant trop chargé pour lui faire une place, entre les projets de loi sur l’immigration et sur le plein emploi, et les textes budgétaires. La LPEC doit écrire noir sur blanc les grands objectifs énergétiques du pays, et déterminer la place des énergies renouvelables et du nucléaire dans le mix énergétique. Soit une première étape avant la révision de la SNBC et de la PPE l’année prochaine. Après avoir multiplié les instances et les acronymes, l’exécutif semble avoir oublié la question écologique. « Les transformations à venir sont très importantes dans tous les secteurs, il faut une réelle ambition politique au plus haut niveau », rappelle pourtant Anne Bringault.