Un métal méconnu gouverne le monde moderne

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Économie Mines et métauxDans « Boom, Bust, Boom », le journaliste Bill Carter a enquêté sur le cuivre, ce métal « éternel » aux multiples propriétés connues dès l’Antiquité. Présent partout, le roi des métaux nous a vassalisés et fait payer à l’environnement un lourd tribut pour notre dépendance. Mais comment s’en passer ?
Bill Carter est un jardinier du dimanche. Tout juste installé au début des années 2000 avec sa femme et sa fille dans une maison d’une petite ville de l’Arizona, Bisbee, à deux pas de la frontière mexicaine, il remue le sol du jardin et se lance dans la culture de légumes et de fruits « naturels ».
La première salade est magnifique, d’un vert profond, croquante et goûteuse à souhait. Mais elle met sur le flanc le jeune jardinier — tandis que les autres membres de la famille, qui n’ont pas croqué de feuilles, se portent comme un charme. Migraines, nausées, crampes, vomissements. Il lui faut quinze jours pour se remettre d’aplomb.
L’explication, Bill Carter la reçoit par courrier peu après. À son arrivée à Bisbee, il avait mis à profit l’offre de faire analyser gratuitement le sol de son carré de verdure. Verdict : le sol est empoisonné, gavé de plomb et de métaux lourds, bourré d’arsenic. La salade s’en est nourrie et est devenue hautement toxique. Malheur à qui la consomme !
Explorer les mille et une facettes du « roi des métaux »
L’histoire est simple. Bisbee est une ancienne ville minière. Pendant près d’un siècle, la ville n’a vécu que de l’exploitation du cuivre. Des millions de tonnes de minerai ont été extraites des entrailles de la terre. La dernière mine a fermé en 1975, mais l’empreinte des temps révolus demeure sous forme de cicatrices : la fosse à ciel ouvert par où les ascenseurs aussi vastes qu’une maison descendaient les mineurs, les chevalements qui grêlent le flanc des collines, les milliers de kilomètres de galeries par plusieurs centaines de mètres de profondeur.

Les fonderies et leur haute cheminée crachant en permanence des fumées remplies de métaux lourds ont disparu, mais en laissant un héritage maudit dans le sol de Bisbee. « Les taux d’arsenic et de plomb montrent que la terre arable est encore toxique. Un siècle de vent, de neige et de pluie plus tard, cent ans pendant lesquels la nature a tanné la terre, l’a blanchie, l’a lessivée, l’a inondée, l’a exploitée, l’a érodée — et les poisons sont toujours là », écrit Bill Carter.
De ce constat va naître une enquête journalistique au long cours qui constitue la raison d’être du livre. Celle qui conduit l’auteur à s’intéresser au cuivre, et à explorer les mille et une facettes du « roi des métaux ». Tout y passe agrémenté de reportages sur les sites en exploitation et ceux appelés à le devenir, de rencontres avec des mineurs et des « décideurs », de lectures : les utilisations du cuivre, ce qu’elles furent dans l’Antiquité et à l’époque moderne, les méthodes pour l’exploiter, la constitution progressive de groupes miniers aux allures de mastodontes sans âme, les luttes sociales qui ont tissé (et continuent de tisser) l’histoire de différentes mines…
Le métal qui gouverne le monde
Le cuivre est le métal qui gouverne le monde, observe l’auteur. Il ne rouille pas. Il est malléable. Il se dilate ou se contracte en cas de forte tension ou de chaleur. Si on le frotte, il devient plus tendre, et, si on le martèle, plus résistant. Il est le métal idéal. Ses vertus comme fongicide sont connues depuis la nuit des temps. Et on commence à l’utiliser pour ses vertus antimicrobiennes. S’il n’avait pas pris la précaution d’habiller de cuivre le fond de ses caravelles pour protéger la coque de l’appétit d’un mollusque des mers chaudes, Christophe Colomb n’aurait peut-être pas découvert le Nouveau Monde. Bref, c’est le métal éternel. Aujourd’hui, il est dans les ordinateurs et les téléphones portables, les avions et les satellites, les câbles électriques et les appareils électroménagers. Il est partout.
Il faut en prendre son parti, conclut l’auteur, et accepter le prix à payer de cette dépendance. Bisbee, explique-t-il, est née de l’exploitation du minerai de cuivre. La ville lui doit son expansion et sa prospérité passée. Elle est mariée avec le métal jaune. Que les projets de réouverture de la mine se concrétisent serait dans l’ordre des choses.
Surtout s’ils permettent d’épargner des sites naturels eux aussi riches en minerai, et désormais menacés par la fringale de l’homme pour le cuivre.

- Boom, Bust, Boom. Petite histoire du cuivre, le métal qui gouverne le monde, par Bill Carter, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Poix-Têté, éditions Intervalles, 2017, 278 p., 22 €.