Une chenille ravage les champs de lavande

- © Élodie Potente / Reporterre
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AgricultureDans le sud-est de la France, une chenille a ravagé les champs de lavande. Les producteurs ont récolté en urgence ce qu’il restait de leurs parcelles mais craignent pour la survie de leurs plants.
Montmaur-en-Diois (Drôme), Marignac-en-Diois (Drôme), Sault (Vaucluse), reportage
Elle se voit depuis la route départementale, la fumée qui émane de la cheminée de la distillerie Bleudiois. Depuis quelques jours, dans cette coopérative d’utilisation de matériel agricole (Cuma) de la Drôme spécialisée dans la distillation de plantes à parfum aromatiques et médicinales, les lavandiculteurs se pressent pour extraire la précieuse huile essentielle.
Alors qu’ils ont déjà vécu une année 2022 difficile avec la sécheresse, leur récolte 2023 est décimée depuis quelques jours par une chenille venue d’Afrique du Nord. Conséquence des changements climatiques, elle assèche lavande et lavandin avant la récolte et met en péril toute une filière.
Cette chenille noctuelle venue d’Afrique du Nord et transportée par le sirocco, un vent du Sahara, dévaste lavande et lavandin forçant une récolte hâtive. Aucun département historiquement producteur n’a réchappé à l’insecte, que ce soit la Drôme, le Vaucluse ou encore les Alpes-de-Haute-Provence. Partout, les parcelles ont des airs de sécheresse, les chenilles ayant dévoré les tiges et fait tomber les fleurs.

À Bleudiois, Sébastien Michel s’active pour charger sa récolte de lavandin abrial dans la cuve. Installé en polyculture élevage labellisé bio sur le Diois depuis 2015, il vient distiller ses 3,5 hectares plantés l’an dernier.
« C’est la parcelle qui a été le plus touchée par la chenille », dit-il. « J’ai tenté de distiller quand même ». Il « n’avait pas le cœur de laisser ses lavandins sur pied », même si le coût de la récolte et la distillation lui reviendront probablement plus cher que s’il n’avait rien fait.
Car, fatalement, le passage de la chenille a eu des conséquences sur sa production d’huile essentielle : « Je pense que j’aurai 10 % de ce qui était prévu sur cette parcelle. » Comme lui, ils sont des dizaines à avoir dû faire ce choix : couper et essayer de distiller quand même ou laisser tomber.

À une centaine de kilomètres de là, dans le Vaucluse, sur le plateau d’Albion, les champs violets se sont eux aussi transformés en paysages gris. Paul Henri Roux, lavandiculteur à Sault, installé en 2014 sur l’exploitation familiale accuse encore le coup. Sur 110 hectares de lavande, il estime que 50 % ont été touchés par l’insecte.
« En 2019-2020 j’arrivais à quatre tonnes d’huile essentielle ; l’an dernier avec la sécheresse j’ai diminué de moitié ; cette année je n’arriverai même pas à une tonne », estime-t-il.
Destruction express
Ce qui a le plus surpris les producteurs, c’est le nombre des chenilles et la vitesse avec laquelle elles ont tout dévoré, alors qu’elles ne sortent que la nuit. « En une semaine j’ai coupé 60 hectares, j’y étais jour et nuit », raconte Paul Henri Roux, pourtant habitué à voir l’insecte de façon ponctuelle sur ses parcelles.
Plusieurs hypothèses sont pour l’instant formulées : les femelles papillons sont-elles arrivées déjà fécondées ? Les fortes chaleurs ont-elles fait tenir les papillons plus longtemps ? Ou est-ce une nouvelle espèce de chenille plus résistante ? Des chenilles ont été récoltées pour analyse de leur ADN.
Cette infestation aura en tous cas des conséquences fortes sur une filière déjà fragilisée par la sécheresse, sans oublier la surproduction de lavandin qui a fait baisser le cours mondial.

De mémoire de producteurs, Jean-Denis et Francine Ravel n’avaient « jamais renoncé à récolter ». C’est pourtant ce qu’ils ont dû faire tant une de leurs parcelles de lavande a été dévorée. Perchés au pied du Vercors, à Marignac-en-Diois, ils ont créé leur Gaec de la Scie en 2014 sur les terres où Jean-Denis a grandi et s’est installé dans les années 80.
Le couple enjambe les plants de lavande pour montrer les dégâts : des plantes sèches jusqu’au bout de la tige et sans fleurs. Même leur hectare et demi de pois chiches, destiné à l’autosuffisance alimentaire de leurs bêtes, vient d’être décimé. En ouvrant les coques, vides, ils découvrent plusieurs chenilles.
« Ça ressemble à la noctuelle qui a décimé nos lavandes », constatent-ils surpris. Il semble donc possible que d’autres cultures soient prises pour cibles par l’insecte.

Malgré le stress des derniers jours, les agriculteurs se projettent et espèrent surtout que leurs plants vont tenir le choc. Sans connaître très bien la noctuelle et les causes de sa prolifération massive, Jean-Denis Ravel s’interroge : « Un plant de lavande tient normalement une dizaine d’années, c’est une plantation pérenne. J’espère que ça ne va pas faire mourir la plante ».
Le futur inquiète, d’autant que ces ravages ne font pas partie des calamités agricoles. Les indemnités financières ne sont pas garanties, même si les acteurs de la filière planchent déjà pour débloquer ou rediriger des aides gouvernementales.
« Si rien n’est fait d’ici dix ans, notre plateau sera lunaire »
« À part de la lavande qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? », questionne Paul Henri Roux. La culture de la lavande et du lavandin sont historiques sur le plateau d’Albion où la terre est calcaire et sans irrigation. Il craint que les champs violets ne disparaissent pour de bon : « Si rien n’est fait d’ici dix ans, notre plateau sera lunaire », lâche-t-il.
Et avec le secteur des plantes aromatiques, d’autres économies pourraient souffrir. Les touristes par exemple sont nombreux à se rendre dans la Drôme, le Vaucluse ou les Alpes-de-Haute-Provence pour leurs champs de lavande. Les apiculteurs pourraient également pâtir de cette transformation.

« On ne sait plus trop ce qu’il faut faire », déplore Jean-Denis Ravel. Pour la lavande, il anticipe déjà une préparation pour la prochaine saison, comme mettre des pièges à phéromones pour capturer les papillons femelles noctuelles, voire faire des coupes anticipées.
Il insiste aussi sur la nécessité des recherches face à la prolifération des ravageurs « qui existent pour toutes les cultures, mais qui sont normalement limités ».
« L’agriculteur est là pour produire, mais ça ne pousse pas tout seul, soupire-t-il. On ne peut pas faire de la cueillette non plus... »

Difficile d’y voir clair dans un contexte de calamités agricoles répétées. L’arboriculture vient de subir la grêle, les vignes ont le mildiou, « le prix des noix a dégringolé », dit Sébastien Michel, également nuciculteur.
Il n’est plus seulement question de monocultures. Même ceux installés en polyculture-élevage, un modèle favorisant « la santé du sol, la biorésistance par rapport aux invasifs et la biodiversité », comme le rappelle le centre de développement de l’agroécologie dans une note, subissent les crises de toutes parts.