« Une scène terrible » : les opposants à l’A69 délogés des platanes

Les militants, surnommés « écureuils », ont été délogés des platanes situés à Soual, dans le Tarn, le 16 octobre 2023. - © Emmanuel Clévenot / Reporterre
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Des opposants à l’A69, surnommés « écureuils », ont été délogés le 16 octobre des platanes qu’ils occupaient depuis 45 jours dans le Tarn. Certains arbres ont ensuite été abattus.
Soual (Tarn), reportage
« Force restera à la loi et à l’État de droit. » Les mots du ministre délégué aux Transports auraient dû mettre la puce à l’oreille. Le 16 octobre, dans un communiqué de presse, Clément Beaune affirmait une bonne fois pour toutes le maintien du projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres : « Le chantier sera mené à son terme. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Le matin même de l’annonce, les travaux ont repris de plus belle… et une opération, fort symbolique, a été lancée.
Aux alentours de midi, des véhicules de la gendarmerie ont débarqué par dizaines aux abords de la zone d’activités de La Prade, à Soual. Objectif des forces de gendarmerie : déloger les militants surnommés « écureuils », perchés dans quatre platanes depuis quarante-cinq jours. « Ces arbres ont connu les deux guerres, les charrettes avant les voitures. Et voilà qu’en 2023, on les réduit en confettis », dénonce Thomas Brail, ancien gréviste de la soif.

Depuis le printemps, des grimpeurs occupent nuit et jour des arbres menacés d’abattage par le tracé de la future langue de bitume. Une épine dans le pied des gouvernants, que les hommes en uniforme semblaient décidés à retirer. Pour éviter tout embrasement, des points de contrôle avaient été disposés sur grand nombre de ronds-points, jusqu’à 40 kilomètres du site. Un camion de pompier et quelques soldats du feu ont aussi été réquisitionnés pour épauler les militaires dans leur mission.
« Cette scène est terrible »
Voyant la nacelle du véhicule approcher, certains « écureuils » ont abandonné leurs cabanes pour escalader jusqu’à la canopée, à 25 mètres de hauteur. En équilibre sur des branches, si fines qu’elles semblaient pouvoir rompre à tout instant, les militants ont observé le funeste ballet des hommes en bleu. Tour à tour, quatre d’entre eux ont été interpellés et descendus. Une fois à terre, les gendarmes les ont menottés et escortés jusqu’au fourgon.
« Les autorités jouent la surenchère et la provocation, regrette Geoffrey, du collectif La Voie est libre. Pourquoi mettre délibérément le feu aux poudres à quelques jours de la mobilisation ? » Les 21 et 22 octobre, des milliers d’opposants à l’A69 doivent défiler entre la Ville rose et la sous-préfecture du Tarn. Un rassemblement initialement voulu festif et pacifique, à l’image de celui d’avril et sa course de caisses à savon.

« On ne répond plus de ce qu’il se passera ce week-end, prévient Thomas Brail, du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA). L’État fait tout pour que ça dégénère. Une grosse colère est en train de monter. » Silencieuse, la députée insoumise du département, Karen Erodi, observe les cabanes, autrefois haut perchées, s’écraser au sol. Elle craint la survenue « d’un nouveau Sainte-Soline », cette manifestation contre les mégabassines fortement réprimée en mars : « Le timing était mal choisi. On appelle au calme et à la désescalade, mais cette scène est terrible. C’est un désastre pour les générations futures. »
« Cet arbre portait le nom de ma fille, Jade »
Un amoncellement de chaises en rotin, matelas pneumatiques et palettes en bois gît à présent sur le bitume. Les banderoles sont arrachées, les cordes décrochées. Un saladier encore empli de tomates fraîches témoigne du caractère inopiné de l’opération. 30 mètres en arrière, les travaux de l’A69 battent leur plein. Des dizaines d’engins naviguent dans une immense étendue désertique. Les premiers blocs de béton s’assemblent, sans que l’on puisse encore deviner leur fonction dans l’ouvrage final. Au loin, à la frontière du chantier, un berger surveille ses moutons.
« L’abattage des arbres ? On va s’en occuper dans la foulée », assure le commandant de la compagnie, Fabien Burle, d’un ton satisfait. Tronçonneuse à la main, un gendarme découpe une à une les branches d’un platane, dans un nuage de sciure. « Ici, chaque arbre a un nom, commente l’un des écureuils, sur son live Instagram. Celui-ci portait le nom de ma fille, Jade. » Petit à petit, son feuillage se clairsème. Des percées laissent désormais se faufiler quelques faisceaux lumineux. Un héron cendré survole la scène.

À 16 h 30, un engin sur chenilles abat l’un des quatre platanes en un instant. Les quelques photographes présents ont à peine le temps de dégainer leur appareil que l’arbre s’écrase d’un bloc, dans un bruit sourd. Un deuxième suivra, quelques minutes plus tard.
À la tombée de la nuit, les gendarmes ont dû interrompre l’opération. Trois grimpeurs leur ont échappé pour cette fois : Camille, Ubac et Jibon. « Ne vous inquiétez pas… On viendra s’amuser avec vous demain ! » leur a lancé l’un des hommes en uniforme, avant de quitter les lieux. À plusieurs reprises, des gendarmes les ont mis en joue avec un LBD. « Il nous reste une demi-bouteille d’eau pour trois. Nous n’avons ni nourriture ni couverture », détaille sur les réseaux sociaux Jibon, emmitouflé sous une capuche. Camille, son comparse, est un ancien gréviste de la faim. Le lendemain promet d’être rude.