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Pêche

« Une trahison » : l’Europe renonce à interdire une technique de pêche destructrice

Pêcheurs et associatifs se sont réunis le 9 mai 2022 pour réclamer un moratoire européen sur la senne démersale.

Les autorités européennes ont renoncé, le 29 septembre, à interdire la senne démersale, une technique cruelle. Un échec dû, selon plusieurs défenseurs de l’océan, à l’abandon de la pêche artisanale par le gouvernement français.

La colère des défenseurs de l’océan et de la pêche artisanale est immense, depuis jeudi 29 septembre au soir. Alors que le Parlement européen avait voté, en juillet, en faveur de l’interdiction de la senne démersale dans les eaux côtières françaises, cette décision a été rejetée en trilogue. Les représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission européenne ont décidé de laisser libre cours à cette technique de pêche « ultra-efficace » prisée des industriels néerlandais. « C’est une trahison aux intérêts de la nation », a réagi l’association Bloom dans un communiqué.

Apparue dans les eaux du nord de la France au début des années 2010, la senne démersale consiste à déployer des câbles vibrants, rattachés à un chalut, sur le fond de la mer. Leurs vibrations provoquent la formation d’un mur de sédiments, ce qui dissuade les poissons de fuir. Un « senneur » ratisse en moyenne 3 km² de fonds marins par action de pêche. En une journée, cinq bateaux de ce type peuvent rabattre l’équivalent de la superficie de Paris dans leurs filets. « Les animaux marins n’ont aucune chance de s’en sortir », expliquait Claire Nouvian lors d’une conférence de presse, le 28 septembre. Selon les chiffres de l’association Pleine mer, on compte aujourd’hui 75 senneurs autorisés à pêcher en Manche.

La France, « premier lobbyiste des industriels »

À ses débuts, la senne démersale a conquis plusieurs pêcheurs français, qui n’ont pas hésité à investir plusieurs millions d’euros pour convertir leurs bateaux à la senne. Confrontés aux conséquences dramatiques de cette technique, la plupart sont aujourd’hui repentis. « Si l’on continue ces pratiques, dans cinq ans, il n’y aura plus personne. Il n’y aura plus assez de poissons », expliquait à Reporterre en mai Alexandre Fournier, ancien senneur de Boulogne-sur-Mer.

Depuis l’apparition de la senne démersale dans les eaux françaises, les pêcheurs locaux ont vu les populations de rouget barbet, de grondin perlon, de carrelet, de sole, de limande, de barbue et turbot dégringoler. Dans le cadre d’un sondage organisé mi-septembre par le comité régional des pêches de Normandie et l’Organisation des pêcheurs normands, 205 d’entre eux (soit 98 % des sondés) [1] ont assuré être « favorables à l’interdiction de la senne démersale dans les 12 milles [des côtes, soit 22 km] pour tous les pavillons », français ou non.

« Conséquences économiques désastreuses »

Selon l’association Bloom, le gouvernement français n’aurait pas suffisamment défendu les intérêts des pêcheurs artisanaux français à Bruxelles, et serait responsable de l’échec des négociations en trilogue. « Le gouvernement est devenu le premier lobbyiste des industriels », déplorait Claire Nouvian le 28 septembre.

Malgré les nombreuses lettres envoyées par des pêcheurs artisanaux au secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville, le gouvernement se serait aligné sur la position du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). Ce dernier serait « trusté », selon Bloom, « par les intérêts industriels et notamment néerlandais, déterminés à éliminer la pêche artisanale et les pêcheurs côtiers ». « On s’est retrouvés face à un mur, a témoigné l’eurodéputée écologiste Caroline Roose sur Twitter. La pêche industrielle a gagné parce que le gouvernement [...] a fait en sorte que cet amendement ne passe pas. »

Lætitia Bisiaux, chargée de projet à Bloom, est pessimiste quant aux conséquences de cette prolongation du statu quo : « Ce scandale aura des conséquences économiques désastreuses pour les pêcheurs, qui avaient déjà payé un lourd tribut avec la pêche électrique qui a dévasté le port de Dunkerque ». En mai dernier, plusieurs pêcheurs nous confiaient avec angoisse être sur le point de mettre la clé sous la porte : « J’ai une maison à rembourser, trois enfants à nourrir. Je ne sais rien faire d’autre. Je vais faire quoi, aller au McDo pour gagner 800 euros par mois ? » se demandait l’un d’entre eux.

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