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EnquêteSanté

Vaisselle, bouteilles : l’hôpital peine à sortir du tout-plastique

Dans cet hôpital de Toulon (ici en 2020), les repas sont conditionnés en assiettes individuelles, à usage unique, fermées par un film plastique.

La barquette plastique s’accroche aux plateaux repas des patients. Mais la vaisselle fait doucement son retour, malgré les nombreuses contraintes que cela implique.

Depuis novembre dernier, les patients de la clinique Claude Bernard - Elsan d’Albi dégustent leur repas dans une barquette en plastique, et non plus dans une assiette traditionnelle. Plus exactement, le plat principal est servi dans un contenant en CPET (polyéthylène téréphtalate cristallin), recyclable et recouvert d’un film en plastique. Cette offre, baptisée Prélude, a été spécialement développée en 2020 par Sodexo pour le groupe Elsan.

« Quand on nous a présenté cette nouvelle offre, nous avons tous été choqués, désabusés », témoigne Martin [*], un soignant de la clinique, très sensible aux questions environnementales. Ce plat est désormais élaboré et surgelé dans une usine Sysco à Noyal-Pontivy, dans le Morbihan. Auparavant, il était confectionné au sein de la cantine de l’établissement par une équipe Sodexo, laquelle a été contrainte au passage de se séparer d’un salarié. Pour Martin et ses collègues, cet abandon de l’assiette au profit d’une barquette en plastique, fabriquée à Annecy, remplie à Noyal-Pontivy, puis transportée par camion frigorifique sur quelque 800 km jusqu’à Albi est totalement aberrant.

Cagettes en plastique consignées et non recyclées

L’offre Prélude a déjà été déployée dans 46 établissements du groupe privé, ce qui représente environ 6 000 repas par jour. À terme, environ 70 cliniques auront adopté ce système. Pour Elsan et Sodexo, ce nouveau dispositif présente au contraire plusieurs avantages sur le plan environnemental. Outre des portions mieux équilibrées et mieux calibrées, il permettrait aussi de réduire les emballages primaires et secondaires lors des livraisons.

Ce que confirme Antoine [*], responsable de restauration Sodexo dans une clinique passée à l’offre Prélude il y a quelques mois : « Nous recevions auparavant de nombreux cartons et emballages pour cuisiner nos plats. Désormais, les cagettes en plastique dans lesquelles sont livrés les plats sont consignées et réutilisées. » Il reconnaît toutefois que, même si les « périphériques » (entrée, laitage et dessert) peuvent continuer à être servis dans des assiettes, globalement, il y a plus souvent de produits operculés qu’avant.

Dans les hôpitaux de Strasbourg, les repas sont servis dans des plats en plastique. Capture d’écran YouTube/ CHRU de Strasbourg

Or, c’est le gros point noir dans les cliniques privées Elsan, comme dans la plupart des hôpitaux publics de France : alors que le bac jaune est devenu un réflexe pour la plupart des Français, dans ces établissements, le plastique n’est que très rarement collecté. Ainsi, les barquettes Sodexo ont beau être recyclables, à Albi, elles ne sont pas recyclées après le repas. « En pratique, faute de filière actuellement, elles sont traitées comme des ordures ménagères, enfouies sous terre ou incinérées. Nous nous battons depuis des années pour mettre en place un tri des cartons et plastiques. En vain. Récemment encore, les bouteilles de verre étaient jetées à la poubelle », se désespère Martin.

« La collecte des plastiques coûte cher à l’hôpital », reconnaît Lucile Battais, experte développement durable et logistique au sein de l’Agence nationale d’appui à la performance sanitaire et médico-sociale (Anap). Compte tenu des volumes importants, ces déchets ne sont que très rarement pris en charge par les collectivités. Les hôpitaux doivent faire appel à des prestataires souvent onéreux. « Ce ne sont pas des matières premières encore très valorisables. Il faut également prévoir des sacs de tri ou des conteneurs à louer en plus. Et trouver des espaces de tri dans les services et du temps en plus pour gérer tout ça. C’est complexe à mettre en place. » Surtout dans un contexte de budgets très contraints et de sortie de crise du Covid, avec des tensions importantes, notamment en matière d’effectifs.

À Limoges, les patients mangent dans des assiettes... en porcelaine

Si les contenants en plastique restent encore majoritaires dans la restauration hospitalière, l’offre Prélude d’Elsan et Sodexo va toutefois à rebours des initiatives prises ces dernières années. Dans de nombreux hôpitaux de France, en particulier dans le public, on observe un véritable « retour à la vaisselle », selon Rudy Chouvel. Le coordonnateur du comité Transition écologique en santé de la Fédération hospitalière de France (FHF) évoque même « une lame de fond ». Il cite en exemple le centre hospitalier de Limoges, celui de La Réunion, du Mans ou encore de Moulins.

À Limoges, où une nouvelle unité de production des repas vient d’être construite, les patients mangent désormais dans des assiettes en porcelaine (bien sûr !), conçues sur mesure. Servis dans une vraie assiette, les plats paraissent aussi plus appétissants. Or un patient qui mange mieux est aussi un patient qui guérit mieux. Et qui gaspille moins... Un vrai moteur pour les gestionnaires de restauration en quête de limiter au plus le gaspillage.

« Avant, les barquettes étaient jetées dans chaque service de soin »

« Mais passer ou repasser à la vaisselle implique de gros changements en termes d’organisation. Les investissements peuvent être massifs », prévient Rudy Chouvel. Assiettes, cloches, chariots et systèmes de laverie adaptés… Lucile Battais, de l’Anap, souligne aussi l’importance de la « rétrologistique », c’est-à-dire du retour de l’assiette après le repas : « Avant, les barquettes étaient jetées dans chaque service de soin. Avec le réutilisable, il faut mettre en place de nouveaux flux pour réacheminer les assiettes sales jusqu’à la cantine, qui se situe parfois loin. Pour les agents dans les services, c’est clairement du temps en plus. »

Il faut également prévoir le renouvellement des assiettes. « Il y a de la casse. Dans l’établissement où j’étais précédemment, à Niort, nous avions sous-évalué ce facteur. Il faut compter un taux de renouvellement de 20 % en moyenne tous les ans, ce qui n’est pas neutre. » Pour autant, le jeu en vaut la chandelle, selon elle : « L’investissement devient rentable au bout de quelques années. »

Le recours à l’assiette pourrait s’accélérer encore avec l’entrée en vigueur le 1er janvier 2025 d’une nouvelle disposition de la loi Egalim, qui interdira « l’utilisation de contenants alimentaires de cuisson, de réchauffage et de service en plastique » dans un certain nombre de services : pédiatrie, obstétrique, maternité, périnatalité... Cette nouvelle réglementation, même si elle ne concernera qu’une petite partie des services à l’hôpital, pourrait jouer un rôle de « levier », espère Rudy Chouvel.

Encore beaucoup de bouteilles d’eau en plastique

Mais les hôpitaux ne seront pas tous prêts début 2025. D’ailleurs, nombre d’entre eux ne respectent toujours pas l’interdiction des bouteilles d’eau en plastique. Une mesure qui devrait pourtant être appliquée depuis déjà deux années. Rudy Chouvel estime que « ça ne devrait plus être un sujet. Les établissements qui n’ont pas encore abandonné les bouteilles d’eau en plastique n’ont pas trop d’excuses ».

Lucile Battais constate, elle, que cette disposition n’est pas très connue dans les établissements. « Elle est aussi difficile à faire adopter, car l’idée que l’eau du robinet est moins bonne que l’eau en bouteille est encore très ancrée, et même exacerbée à l’hôpital. » Là encore, mettre en place des carafes qu’il faudra réfrigérer ou des fontaines d’eau demande beaucoup d’adaptations. « C’est un combat que je n’ai jamais réussi à mener à bien dans mon ancien établissement », conclut-elle.



La lutte contre le gaspillage alimentaire avance

Si l’offre Prélude de Sodexo n’éradique pas le plastique, elle a au moins le mérite de réduire le gaspillage des aliments. À hauteur de 30 %, selon Sodexo : « Il n’y a plus de déchets de production en cuisine et on ne subit plus les variations d’activité. » Antoine, responsable de restauration Sodexo, confirme : depuis le passage à l’offre Prélude, le volume de déchets dans sa cantine est carrément passé de 250 kg par semaine à seulement 125 kg. La mise en place d’une « liaison froide » (le plat surgelé est réchauffé une heure avant d’être servi) permet en effet d’ajuster au mieux le nombre de repas à la demande. Sodexo propose même dans certains établissements un système de pesée des déchets, baptisé « Waste watch », qui permet d’identifier les aliments sur lesquels des efforts doivent être réalisés.

Maison gourmande et responsable, Mon restau responsable, Manger durablement… De multiples outils ont été développés et expérimentés dans les hôpitaux pour améliorer la qualité des repas, adapter les grammages et réduire les pertes.

En bout de chaîne, là encore, les choses bougent, même si récupérer les restes de repas dans tous les services reste une gageure en matière d’organisation. La collecte de biodéchets commence à se développer, d’autant que la réglementation l’impose désormais aux établissements produisant plus de 5 tonnes de biodéchets par an depuis janvier.

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