Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

EntretienTransports

Vente à perte du carburant : « Une mesure injuste et néfaste »

La vente à perte permettra de revendre les carburants à un prix moins cher que le prix d'achat initial.

Le gouvernement a annoncé le 16 septembre un projet de loi autorisant la vente à perte du carburant. Une mesure anti-écologique qui profite surtout aux plus riches, selon l’économiste Maxime Combes.

Maxime Combes est économiste et membre d’Attac France.



Reporterre — Alors que l’inflation atteint des sommets, Élisabeth Borne a annoncé vouloir autoriser la vente à perte sur les carburants pendant six mois. Interdite en France depuis 1963, cette mesure permettra aux distributeurs de vendre le carburant à un prix inférieur à celui auquel ils l’ont acheté. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Maxime Combes — Il s’agit d’une politique d’affichage, visant à donner le change auprès de la population. Alors que Les Restos du cœur ont tiré la sonnette d’alarme sur l’explosion de la précarité alimentaire, que l’inflation est repartie à la hausse en août et que le prix des carburants a lui aussi augmenté, le gouvernement veut montrer qu’il mène une vraie politique de lutte contre l’inflation.

De toute évidence, le fait que Bruno Le Maire [le ministre de l’Économie] demande aux industriels de baisser leurs prix ne suffit pas. C’est sans doute ainsi que l’on peut expliquer cette nouvelle annonce. On a une mesure totalement improvisée, incohérente et qui sera certainement inefficace. Si une telle autorisation est votée par le Parlement, cela ne réglera en rien le problème de l’inflation de façon structurelle, sans compter le fait qu’une telle mesure est injuste socialement et qu’elle aura des conséquences écologiques néfastes. Bref, tout cela n’est pas bien sérieux et je pense que la population ne s’y trompe pas.


En quoi cette mesure est-elle injuste socialement ?

Elle sera appliquée de manière indifférenciée, quelle que soit la situation sociale des consommateurs. Il a déjà été démontré que la ristourne à la pompe appliquée par l’exécutif il y a deux ans était une mesure très injuste socialement, car elle profitait principalement aux gros consommateurs de carburant, qui sont en moyenne ceux qui ont le moins besoin d’être aidés. Cette vente à perte fonctionnera donc comme une subvention pour ces personnes-là.

Or, l’enjeu en 2023 n’est pas d’aider l’ensemble des personnes qui utilisent du carburant, mais de s’assurer d’un point de vue social que celles qui ont besoin de leur voiture pour aller au travail puissent le faire à court terme, avant de les aider à transiter vers des modes de transport plus écologiques.

A contrario, donner le moyen aux plus riches de consommer plus ne va pas dans le bon sens. De la même manière, cette mesure va avant tout bénéficier aux gros pétroliers, comme TotalÉnergies, et à la grande distribution, qui sont les seuls à pouvoir vendre à perte. En conséquence, les consommateurs les plus pauvres vont certainement être victimes d’un trompe-l’œil : pour compenser cette vente à perte sur le carburant, il est fort probable que ces grandes enseignes de supermarchés majorent leurs marges sur les produits en rayon.


Vous dites également qu’il s’agit d’une mesure anti-écologique...

Le gouvernement ne cesse de parler de planification écologique, laquelle a pour principal objectif de donner de la stabilité et de la prévisibilité à l’ensemble des acteurs économiques : entreprises, ménages, institutions, etc. Or dans le même temps, l’exécutif veut prendre une mesure qui déstabilise tout le monde, et qui n’est pas cohérente avec les objectifs que nous devrions nous donner sur les plans économiques, sociaux et environnementaux.

« En quoi le fait d’encourager les plus riches à prendre leur voiture va-t-il dans le bon sens ? »

En quoi une telle mesure est-elle cohérente avec l’objectif de se passer à terme des énergies fossiles ? Avec la nécessité de réduire la place des carburants dans nos déplacements ? On sait que l’inflation aujourd’hui est principalement alimentée par les marges des entreprises, que fait le gouvernement par rapport à cela ? En quoi le fait d’encourager les plus riches à prendre leur voiture pour partir en week-end dans les prochains mois va-t-il dans le bon sens ? On marche sur la tête à tous les niveaux.


Quelles pistes identifiez-vous pour permettre la mobilité des personnes les plus pauvres, mais aussi pour réduire nos émissions et notre dépendance aux énergies fossiles ?

Il faut des mesures d’urgence, car nous n’avons pas assez anticipé les choses. Il faut des aides publiques massives à destination de celles et ceux qui, aujourd’hui, sont dans une situation extrêmement difficile.

Face au réchauffement climatique et à la raréfaction des ressources, il est aussi essentiel en parallèle de mettre en œuvre des mesures de moyen et long termes afin de réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Cela passe par le développement des transports collectifs et des mobilités douces, et par des tarifications permettant à tout un chacun d’en bénéficier.

Il faut également repenser collectivement et conjointement la façon dont nous nous déplaçons, sinon nous irons droit dans le mur. Cela demande de mettre en place des politiques de planification écologique et sociale dans les mois et années à venir. On en est très loin aujourd’hui avec ce type d’annonce.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront des avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende