Restos du cœur : « L’aide alimentaire est à bout de souffle »

Banque alimentaire des Pyrénees-Orientales. La demande en aide alimentaire explose : 32~% des Français peinent à se procurer une alimentation saine leur permettant de faire trois repas par jour. - © Jc Milhet / Hans Lucas via AFP
Banque alimentaire des Pyrénees-Orientales. La demande en aide alimentaire explose : 32~% des Français peinent à se procurer une alimentation saine leur permettant de faire trois repas par jour. - © Jc Milhet / Hans Lucas via AFP
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Face à l’inflation, « plutôt que de repenser le système alimentaire dans son ensemble, l’État va chercher de l’argent à droite à gauche pour faire pansement », dénonce la sociologue Pauline Scherer. D’autres initiatives émergent.
Pauline Scherer est sociologue-intervenante spécialiste de la lutte contre la précarité alimentaire et des enjeux d’accès à une alimentation durable. Cofondatrice de l’association Vrac & Cocinasà Montpellier (Hérault), elle y coordonne et anime les activités de recherche et d’expérimentation.
Les Restos du cœur et La Croix rouge sont en grande difficulté face à l’explosion de la demande d’aide alimentaire. Dans son baromètre de la pauvreté publié le 6 septembre, le Secours populaire note que 32 % des Français peinent à se procurer une alimentation saine leur permettant de faire trois repas par jour. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Pauline Scherer — Je m’intéresse depuis plusieurs années à cette problématique de la précarité alimentaire et des dispositifs d’aide alimentaire. Nous sommes plusieurs à avoir observé que ce système n’était pas durable, que ce soit dans le temps, dans son mode d’organisation ou ses résultats. Ce qui se passe aujourd’hui est la preuve que ce système ne tient pas. L’aide alimentaire est totalement imbriquée avec le système alimentaire industriel. Ce dernier s’est mondialisé, est devenu très capitaliste, très inégalitaire, et a un fort impact environnemental.
Ainsi, non seulement l’organisation de l’aide alimentaire n’est pas durable, mais, de nos jours, elle n’arrive plus à répondre aux besoins. Ce système est à bout de souffle, et il est nécessaire d’inventer autre chose. D’un côté, de plus en plus de personnes n’arrivent pas à se nourrir, sachant que la précarité alimentaire englobe le nombre de repas par jour, mais aussi la qualité et la diversité des produits auxquels on peut avoir accès. De l’autre, l’État, main dans la main avec le système économique, essaye de sauver, en urgence, une association caritative qui fait ce qu’elle peut face à l’accroissement des problèmes. Plutôt que de repenser le système alimentaire dans son ensemble, on va chercher de l’argent à droite, à gauche pour faire pansement.

À quoi est due l’explosion de la précarité alimentaire ?
Il y a eu le Covid, ainsi que la hausse de l’inflation des produits alimentaires. Mais c’est avant tout notre système économique qui creuse les inégalités. Les salaires n’augmentent pas suffisamment, les écarts de revenus se sont accrus, et des personnes qui travaillent ne peuvent pas payer leurs charges, dont l’alimentation. Quand on touche les minimas sociaux ou un petit salaire, l’alimentation est en effet l’une des variables d’ajustement dans un budget, avec des effets (et des coûts) importants sur la santé et le bien-être. Tout cela devrait nous enjoindre à réfléchir au problème de façon globale : que veut dire se nourrir ? De quelle alimentation parle-t-on ? Quelle est la vie des paysans, à l’autre bout de la chaîne ? Bref, il est important d’appréhender ces enjeux de façon systémique, plutôt que de se pencher seulement sur une partie du problème.
Quelles pistes identifiez-vous pour lutter contre la précarité alimentaire de façon structurelle ?
Il y a la proposition du collectif national pour une Sécurité sociale de l’alimentation (SSA), auquel nous participons, qui propose de faire de l’alimentation un droit universel pour tous. L’idée de la SSA est d’ajouter une branche au régime général de la Sécurité sociale, de façon à garantir à chacun un budget alimentaire tous les mois. La proposition initiale était de 150 euros par mois et par personne, avec un budget alimentaire dépensé dans un circuit de distribution ou dans des produits conventionnés, c’est-à-dire choisis de manière démocratique. Cela implique, au préalable, de faire de l’alimentation un vrai sujet de démocratie.

C’est ce que l’on essaie de faire, à notre petite échelle, avec la caisse alimentaire commune à Montpellier. Nous avons été étonnés de l’écho autour de cette expérimentation. Il y a un enjeu à pousser cette idée-là : il s’agit d’une vraie voie de réflexion collective qui peut embarquer le monde paysan, les habitants, notamment des quartiers populaires, les militants, les élus… Bref, il s’agirait de fédérer tout ce monde-là autour d’un sujet qui devient crucial. Nous avons une transition alimentaire et écologique à faire, et il faut qu’elle soit juste. Nous avons besoin d’un sursaut, ou plutôt d’une dynamique démocratique.