Village mondial des alternatives, ce week-end, un rayon de soleil face à l’orage

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Alternatiba Climat : de COP en COPCe week-end, à Montreuil, aux portes de Paris, se tenait le Village mondial des alternatives, un sommet citoyen en marge de la COP 21. Un succès, avec près de trente mille personnes venues discuter des solutions pour éviter le changement climatique. Et dire que l’argent pour les mettre en œuvre existe : chez les banques et dans les paradis fiscaux.
- Montreuil (Seine-Saint-Denis), reportage
En sortant de la bouche de métro, entre la mairie de Montreuil et les tours de verre qui surplombent le centre commercial, on a l’impression d’un village gaulois : petites tentes blanches à toits pointus, gens devisant ici, gens déguisés là, mais le village encercle le centre commercial, son Mac Do et ses enseignes à marques, avant de se ramifier dans les petites rues adjacentes rendues piétonnes. L’événement, qui se prépare depuis des mois - animations de rue festives, marché, buvettes, très nombreux débats… -, regroupe au cœur de la ville onze quartiers thématiques de l’alimentation et l’agriculture à l’énergie en passant par la solidarité et les migrations ou l’habitat. Et un quartier Médias et Culture, où Reporterre tenait un stand. But de l’événement, qui s’est tenu samedi 5 décembre et dimanche 6 : montrer, en plein milieu de la COP 21, que les alternatives permettant d’éviter l’aggravation du changement climatique existent déjà et sont réalistes.
« Que ne voulez-vous pas perdre ? »
Devant l’entrée du centre commercial, un drôle d’arbre composé de panneaux mobiles de bois, a poussé : The Climate Ribbon, ou arbre du climat. Des rubans multicolores attirent le regard. Cédric, un bénévole parmi la centaine mobilisés pour Alternatiba, explique aux curieux : « Réfléchissez à ce qui vous est cher et que vous ne voudriez pas perdre face au réchauffement climatique ! Écrivez-le sur un ruban, accrochez-le. » L’arbre a germé dans la tête d’Andrew Boyd, artiste écrivain newyorkais, qui l’avait conçu à l’occasion de la marche Climat de New-York en 2014. Pour Cédric, « c’est un bon point de départ d’échanges. Le dialogue, c’est la clef pour avancer non ? »

Plus loin, à l’entrée du quartier consacré à la justice sociale, aux migrations et à la solidarité, un autre artiste, le sculpteur danois Jens Galschiot, en combinaison d’ours polaire, prend la pose avec un groupe d’Africains sous son installation artistique, une réplique kitsch de 6 mètres de haut de la statue la Liberté.
Un homme passe, s’arrête, saisi par la représentation. De la torche tendue vers le ciel de la statue se dégage de la fumée, tandis que, d’un bras, elle tient un panneau « permis de polluer », le nom de l’installation. À ses pieds, des statues d’hommes symbolisent des réfugiés climatiques victimes de notre mode de vie non durable.

Dany Bruet, membre des Déconnomistes, venu d’Aix-en-Provence, réagit : « Tout est dit. Je vois un résumé saisissant, des pays qui imposent un système s’arrogeant la liberté de polluer. En dessous, muets, ceux qui paient. » Qu’est-ce qui pourrait se perdre à cause du réchauffement climatique ? Dany répond sans hésiter : « Notre humanité ! Le dérèglement climatique nous conduit vers des temps barbares. »
« Bravo Reporterre ! »
Mais à 12 heures trente, sur le parvis de la mairie, les tigres, les ours, le chef de paix et le cortège de la parade de rue s’ébrouent joyeusement, en fanfare. Myrtille, bénévole d’Alternatiba, accompagne le cortège. Elle est venue de Toulouse, où elle étudie à la fac Jean Jaurès. Elle fait partie du Grappe, réseau d’associations d’étudiants engagées dans l’écologie, avec lequel elle s’investit sur le potager et à l’Amap du campus, participe à des conférences gesticulées et aux ateliers De la Fourche à la fourchette, sur l’alimentation, sa relocalisation notamment et… oups, pas le temps de continuer, « On se recause plus tard hein !? Et bravo Reporterre, vous assurez grave ! »

Plus loin, quartier de l’agriculture et de l’alimentation, ça fleure la saucisse rustique, le coup de rouge sur frometon, et ça palabre troc de graines, semences populations ou hybrides et meilleur moyen de préserver la biodiversité, autour d’un distributeur rempli de sachets de semences. Martial Gronnier, membre des Massyculteurs qui habite… Massy (91) en banlieue parisienne, explique à quatre personnes venues du Sud-Ouest comment il a récupéré la PLV (panneau publicitaire) d’une parfumerie pour fabriquer le distributeur. Il rêve de voir ce type d’étagère de trocs fleurir dans tous les commerces, les lieux publics, afin que chacun puisse participer au brassage des graines et au maintien de la biodiversité.

Devant le stand voisin, Sonia rêve plus modestement de faire pousser sur son mini balcon une courgette, au moins une ! Sophie Guillement de l’association Dedale, [Démarche dynamique pour des alternatives éthiques>www.dedaleasso.org] dans les Yvelines, lui assure que c’est possible ! Et de montrer le trognon de salade et de poireau amenés pour la démo qui racinent dans leur bouteille en plastique. Si on les place dans une palette de commerce on obtient un jardin vertical.
Plus loin, dans le quartier de la mobilité Guy et Marie-Noëlle, agriculteurs lyonnais à la retraite, commentent le prix et les performances d’un vélo deux places à assistance électrique conçu par une petite société montreuilloise naissante, JetBaïk. « À peine plus long et large qu’un Vélib, assure Soraya Sekkouri, il répond aux gens que freinent l’utilisation du vélo et prennent pour X raisons la voiture pour des petites distances ! Toutes les pièces sont fabriquées en France, où nous ambitionnons de créer des emplois. »
Un des locaux du centre commercial a été investi par les bénévoles. « Un ancien restaurant qu’on a mis quatre jours à nettoyer », explique le responsable, Antoine. Ça entre et ça sort en permanence. « C’est un rythme de folie ! s’enthousiasme le militant. J’accueille chaque personne qui veut participer et je les répartis en fonction des postes. Pour ce week-end, on a besoin d’un peu plus de six cent bénévoles. Là, il est dix-sept heures, on en a déjà quatre cents rien que pour la première journée et il y a encore des gens qui viennent s’inscrire ! Au début ils s’engagent pour trois heures, puis ils sont lancés, et finalement ils restent jusqu’à la fin. Toute cette énergie positive crée une émulation et de l’envie. »

De l’accueil des artistes à la gestion du compost des toilettes sèches, les tâches sont plus ou moins gratifiantes, mais tout le monde trouve sa place. « On a des bénévoles très jeunes, de dix-sept, dix-huit ans, jusqu’aux retraités », observe le jeune homme.
Florent et Juliette profitent de leur pause café. « Ici c’est festif, joyeux et on rencontre des gens », se réjouit le premier. « Je viens en tant que citoyenne, poursuit la seconde. Et j’aime l’idée que chacun puisse s’emparer des questions écologiques, même s’ils n’ont pas une conscience écologique très élevée. »
Le jetable au musée
La lumière décline et le vent pince. Les rues sont encore remplies. Bien malin qui pourrait distinguer le militant du badaud. Dans le quartier Fabriquer, réparer, zéro déchet, petit attroupement devant le Musée du Jetable, ou du Jetable au musée, une exposition de Jeanne Guien, doctorante en philo.
Plus loin, Camilo Sanchez invite à pédaler sur un vélo pour recharger une batterie de téléphone. Le jeune urbaniste d’origine colombienne a monté une société de transport à vélo de personnes et de marchandises et officie sur les Champs Élysées. « Pédaler permet de prendre conscience et de mesurer concrètement l’énergie immatérielle… » Et toi, Camilo, qu’aurais-tu peur de perdre à cause du réchauffement climatique ? « Je crois que je pourrais me passer de tout. Sauf des arbres et des fleurs ! Sans eux, il n’y a pas d’intérêt à vivre. De plus, nous ne sommes pas des observateurs extérieurs de la nature. Nous sommes la nature. La perte de l’équilibre de la nature équivaut à la destruction de l’homme. C’est la loi de Pachamama ! »
Yvelines en transition met de son côté à disposition un vélo équipé d’une turbine produisant en direct du courant… pour faire tourner un presse-agrume et ses oranges bios, pour le plus grand plaisir des enfants ! Un peu plus loin, une association yvelinoise, Beynes en transition, présente son projet de service d’auto-stop pour « désenclaver les petits villages franciliens mal desservis par les transports en commun ».
Dans le quartier de l’énergie, Dominique Béroule et Philippe Denegel, deux ingénieurs, commentent une maquette qui représente le château de la Madeleine surplombant un village, près de Rambouillet, en Ile-de-France. Sur le modèle de couplage énergétique expérimenté sur l’île de Hierro aux Canaries, ils montrent comment produire de l’énergie électrique à partir de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes à taille humaine reliés à un bassin d’eau. Ce système permet le stockage et la réutilisation locale d’énergies intermittentes. Ce qu’il ne veut pas perdre à cause du dérèglement du climat, Dominique, c’est « la beauté des glaciers de montagne qui donnent tant d’émotion… ». Philippe, lui, est touché par « ces millions de réfugiés climatiques… »

18 heures et des poussières. Il fait nuit et froid. Dernier vin chaud avant les concerts du soir. Retour à l’arbre du Climat rempli de rubans multicolores. Cédric s’est décidé à accrocher le sien. Il ne veut pas « perdre la beauté des relations humaines, la sensibilité dans le cœur des hommes ». Mais c’est une excuse pour parler des solutions alternatives, insiste-t-il. « C’est ce qui nous rassemble ici. Nous voulons faire remonter ce que les gens ne voient pas. Montrer qu’il y a pleins de solutions et elles sont en marche. Nous ne sommes pas un lobby alternatif ou écolo ! Mais des centaines de milliers mobilisés pour défendre des biens communs ! »
Je quitte le Village mondial avec la pêche, de circonstance puisque c’est le nom de la monnaie locale de Montreuil, et en poche, la pensée d’une autre que je ne connais pas : sur un ruban, Bryana Amberst, du Massachussetts, a écrit « My home…
Mother Earth » et dessiné un cœur.

Dimanche, le Village rouvre dans la même atmosphère joyeuse et bruissante. Mais l’événement du matin, c’était le Sommet des 196 chaises. Celles-ci, réquisitionnées dans des agences BNP ou HSBC de toute la France depuis le 30 septembre, se sont retrouvées à Montreuil dimanche 6 décembre. Le symbole : dénoncer l’évasion fiscale pratiquée par ces banques, et dire que l’argent caché dans les paradis fiscaux pourrait financer la transition écologique pour éviter l’aggravation du changement climatique. Et pourquoi 196 ? Parce qu’il y a 196 parties à la COP 21, qui se déroule au Bourget !
À quelques rues du Village mondial des alternatives, les bénévoles s’organisaient pour cadrer au mieux le transport des chaises jusqu’à la place Jean-Jaurès, centre du Village mondial. « Nous agissons à visage découvert, nous sommes tous responsables de nos actions », explique l’un des Faucheurs de chaises. À midi, toutes et tous se placent en file indienne et commencent à marcher jusqu’au lieu de l’Assemblée des peuples. Sous les applaudissements de la foule, des gens de tout âge, au sourire malicieux, ont relevé le défi, parfois dur pour certains, de porter les lourdes chaises des banques sur le trajet long de 700 mètres.

Au son d’une fanfare, la file se fraie un chemin à travers la foule, qui applaudit. Sur la place, plusieurs cercles ont été tracés à la craie jaune, et les quatre rangées de chaises, fauteuils, tabourets se mettent en place. Les premiers faucheurs, comme Patrick Viveret, des représentants d’associations – et notamment Attac, Bizi, Les Amis de la Terre, qui ont lancé le mouvement -, des économistes, des porteurs de chaises, s’assoient solennellement pour écouter les discours.

Après une danse basque de bienvenue, Susan George, présidente d’Attac, Marcos Arruda, économiste brésilien, Hindou Oumarou Ibrahim, de l’association des femmes peules du Tchad et Annabella, du syndicat…, lisent les demandes de « l’Assemblée des peuples » aux gouvernants : des solutions concrètes et réalisables pour financer la transition sociale et écologique. Dans ces propositions, l’Assemblée demande l’arrêt de l’évasion fiscale, l’annulation des dettes multilatérales, une taxe mondiale sur les transactions financières, la fin des subventions aux combustibles fossiles. En conclusion de cette action, un appel à l’internationalisation des réquisition de chaises a été lancé.
REPORTERRE À LA RENCONTRE DE SES AMIS

Le Village comprenait un quartier Culture et Médias, afin de montrer que, dans l’information aussi, l’alternative existe et peut changer le paysage. Aux côtés de nos amis de L’Age de faire, Basta, L’Humanité, Kaizen, Lutopik, Politis, Silence, le stand de Reporterre n’a pas désempli pendant les deux jours. Avec les bénévoles qui ont superbement répondu à notre demande, on a pu discuter avec les lecteurs, faire découvrir le quotidien de l’écologie à ceux qui ne le connaissaient pas, expliquer notre travail, recueillir des informations, vendre les livres que nous publions (et notamment le dernier, Les saboteurs du climat. Un beau et grand moment, qui a réjoui toute l’équipe et préparé l’essor en 2016 des Amis de Reporterre.