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ReportageDéchets nucléaires

Vote tendu à Mandres-en-Barrois pour abandonner un bois aux déchets nucléaires

Jeudi 18 mai, le village de Mandres-en-Barrois, dans la Meuse, était en ébullition : sous forte présence de gendarmes, le conseil municipal a voté, à une voix près, la cession du bois Lejuc à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

-  Mandres-en-Barrois (Meuse), reportage

Après une semaine émaillée par différentes manifestations sur place, il y avait bien jeudi soir 18 mai plus de gendarmes mobiles dans les rues de Mandres que d’habitants du village. Des barrages aux différentes extrémités, empêchant tout le monde de circuler, y compris les paysans, des grilles bloquant l’accès des ruelles, des nuages de gaz lacrymogènes et du sang lors des charges : voilà pour le décor de ce qui s’est joué lors du nouveau vote de cession du bois Lejuc, en réunion publique.

Les conseillers municipaux avaient en effet été invités par le maire à redonner leur avis sur cette forêt où l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) veut implanter des puits d’accès vers les galeries où s’entasseraient des déchets nucléaires. Un pique-nique festif avait réuni 150 personnes à une centaine de mètres de la mairie, bien gardée pour l’occasion. Plusieurs moments de tension ont émaillé la journée, d’abord lorsque les opposants ont tenté de franchir certains barrages, en dénonçant « une démocratie sous surveillance policière ». Vers 19 h 30, alors qu’un hommage était rendu au militant parisien Jean-Pierre Petit récemment décédé, et dont l’enterrement avait lieu le jour même, le mégaphone de la gendarmerie a résonné, provoquant la colère des manifestants. « Vous ne respectez rien ! », ont crié les opposants, avant de faire quelques pas puis de se faire charger violemment par les forces de l’ordre.

Quelques minutes plus tard, les élus réussissaient à franchir les obstacles pour rejoindre la mairie, sous les huées. « On ne fera rentrer que 42 personnes, pas plus », prévenait Xavier Levet, le premier magistrat, avant de faire le décompte. Dans une salle des délibérations remplie de journalistes, d’élus locaux proches de l’Andra, et d’habitants du secteur, la réunion a pu débuter. « Pensez à nos enfants, à vos enfants », « Vous allez engager des milliers de générations sur votre décision de ce soir », « Tous les projets d’enfouissement se sont soldés par des catastrophes », « C’est complètement déloyal de faire peser sur onze personnes un tel engagement », « Ton père n’aurait pas aimé que tu vendes ta terre et ta forêt comme ça » : le public a su mettre la pression aux conseillers, et les placer face à leurs responsabilités. Et a rappelé également la consultation de 2013, qui n’avait pas été écoutée par le maire.

Ce dernier s’est défendu : « Les termes de l’échange n’étaient pas les mêmes, et les bois qu’on récupérerait ne sont pas les mêmes ! » Après le rappel de l’annulation de la délibération par le tribunal administratif de Nancy, le vote à bulletin secret a été demandé, dans un isoloir. « Et les personnes qui ont des liens avec l’Andra, interpelle un assistant, comme par exemple leurs enfants qui travaillent là-bas, vont voter ? Une nouvelle procédure judiciaire est en cours et pointe les conflits d’intérêt, donc ce vous faites aujourd’hui sera de nouveau déclaré illégal. »

La pression n’est pas redescendue durant les quarante minutes qu’a duré la séance. Et les quelques blagues de certains élus, comme certaines de leurs remarques, ne sont pas passées. Il fallait voir cet homme expliquer qu’« on n’a pas le choix » pour prendre la mesure de ce qui pesait sur ses épaules au moment de voter.

Par six voix pour et cinq contre, la cession du bois Lejuc contre un autre bois a de nouveau été validée, après un suspense intenable. « Il faut féliciter ceux qui ont eu le courage de dire non », ont commenté les spectateurs, avant de réserver une haie de « déshonneur » aux conseillers municipaux de Mandres.

Juste devant la mairie, plusieurs habitants étaient venus dire leur façon de penser à ceux « qui sacrifient notre village. Vous avez divisé, et ce n’est qu’un début. Le climat va continuer à se tendre ici ». Xavier Levet a quant à lui listé les « intimidations » dont il aurait été victime ces derniers jours, avant de partir sous bonne escorte.

En soirée, plusieurs charges de la gendarmerie, souhaitant disperser les opposants, se sont terminées par des nuages de gaz lacrymogènes étouffants. Et les manifestants ont été aidés par les habitants. « C’est devenu irrespirable ici », commentait une dame, native de la commune, avant de rentrer chez elle et de fermer ses volets.

« Le premier grand événement environnemental du nouveau gouvernement s’est donc conclu par l’envahissement d’un tout petit village par des dizaines de gendarmes », selon un opposant à l’enfouissement des déchets radioactifs.

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