« 50° C dans la caravane » : les gens du voyage souffrent de la canicule

Sue Ellen Demestre sur l’aire d’accueil des gens du voyage d’Hellemmes-Ronchin, à Lille, le 15 juillet 2022. - © Cha Gonzalez/Reporterre
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Social Climat Écologie et quartiers populairesGoudron, absence de verdure... les terrains mis à la disposition des gens du voyage sont particulièrement inadaptés, en période de canicule.
Hellemmes-Ronchin (Lille), reportage
« Si on reste ici, on va crever de chaud. C’est pas des mots. » Sue Ellen Demestre habite l’aire d’accueil des gens du voyage d’Hellemmes-Ronchin, en périphérie de Lille. En ce vendredi 15 juillet, les 270 habitants de ce terrain coincé entre une usine de béton et une concasserie bénéficient d’une accalmie dans la vague de chaleur intense qui frappe la France. Mais ils se préparent à affronter les températures de ces lundi 18 et mardi 19 juillet, qui culmineront à 40 °C, dans la métropole lilloise.

L’épisode caniculaire sera particulièrement intense pour ces habitants. Des études ont montré que les effets du dérèglement climatique touchent plus durement les plus précaires. « La caravane, c’est comme une voiture en plein soleil. S’il fait 40 °C dehors, à l’intérieur, il doit faire 50 °C. On peut pas rester dedans dix minutes, ça fait comme un sauna », explique Carmen, la sœur de Sue Ellen. Elle occupe un emplacement à quelques mètres de celui de sa sœur, qu’elle partage avec les caravanes de sa fille, Christalina, 19 ans, et de son fils, Mayron, 16 ans.

Les membres de la communauté sont habitués à passer une bonne partie de leur temps en extérieur. Seulement, le terrain est surtout constitué de goudron. « Le macadam retient toute la chaleur. Et puis il n’y a presque pas d’ombre ici. Ça va être un enfer », anticipe Sue Ellen. L’un des seuls arbres qui égayent le terrain est un saule pleureur, planté il y a dix-sept ans par le père de Sue Ellen et de Carmen lors de leur arrivée sur l’aire.

Installée dans le lieu le plus frais du terrain, un chalet construit par les hommes de la famille et isolé avec de la laine de verre, Christalina tient dans ses bras sa fille, Hortensia. Âgée d’à peine 3 mois, la nouvelle-née est la benjamine du campement. « Je ne sais pas comment faire pour elle, il n’y a pas d’air. La dernière fois qu’il a fait chaud, elle transpirait beaucoup et elle ne buvait plus ses biberons », confie la maman. Pour appuyer son propos, Christalina montre les bras et le visage de sa fille, parsemés de petits boutons rouges, « des boutons de chaleur », explique-t-elle.

Face à la chaleur et à la pollution, fuir son lieu de vie
De nombreux habitants du terrain ont acheté de petites piscines gonflables pour offrir un peu de fraîcheur à leurs enfants. D’autres arrosent le sol goudronné ou les tonnelles sous lesquelles ils s’abritent du soleil. Mais pour Christalina, pas question de laisser sa fille dehors. « Je ne peux pas la sortir, par rapport au ciment », précise-t-elle.

Depuis plus de dix ans, les femmes du campement se mobilisent en effet pour dénoncer la pollution de leur lieu de vie. L’aire d’accueil construite en 2007 par les communes d’Hellemmes et de Ronchin — depuis intégrées à la commune de Lille — se trouve au pied d’une usine de béton et d’une concasserie, dont la poussière retombe sur le terrain. De l’autre côté, le terrain jouxte un champ de blé régulièrement aspergé de pesticides. « Beaucoup d’enfants font de l’asthme ou attrapent des bronchites, et puis ici, on a le taux de cancer le plus élevé des aires d’accueil de la région », assure Sue Ellen. Avec d’autres femmes du terrain, elle fait partie d’un collectif qui demande à vivre dans des conditions dignes.

Pour supporter les journées d’intense chaleur, les membres de la famille Demestre ont donc prévu trouver refuge dans un parc ombragé, ces lundi 18 et mardi 19 juillet.
Ils ne seront pas les seuls à fuir leur lieu de vie. Nadia Schaenotz, qui vit à l’emplacement situé face à celui de Sue Ellen, a prévu de se rendre en bord de mer, à Dunkerque, au plus fort de la vague de chaleur. En attendant, elle a accroché une serviette sur la fenêtre de sa caravane pour limiter la chaleur. « On a peur que les vitres se fendent. C’est déjà arrivé », explique-t-elle.

Un peu plus loin, les époux Marie Demestre et André Demetrio, respectivement 75 ans et 64 ans ne quitteront pas leur terrain. « On reste. Ça me plaît ici. On a la clim’ dans la caravane et puis on mettra des tuyaux d’arrosage sur le sol », assure Marie dans un français approximatif. Pour rafraîchir autant que possible leur environnement, nombre d’habitants de l’aire d’accueil ont, comme ces époux, recours au système D. Ici, un matelas est posé sur le pare-brise d’une voiture pour le protéger des rayons du soleil, là, une bouteille de jus de fruits maintient ouverte la fenêtre cassée d’une caravane.

Une vulnérabilité « systémique » des aires d’accueil aux vagues de chaleur
La situation de cette aire d’accueil est loin d’être une exception. Pour William Acker, juriste lui-même issu de la communauté des gens du voyage, cette population est exposée aux vagues de chaleur « de manière systémique ». Pour un ouvrage paru en 2021, il a étudié l’emplacement et l’exposition à la pollution de plus d’un millier d’aires d’accueil. D’après ses travaux, la moitié des aires d’accueil françaises sont ainsi situées à proximité d’une source de pollution.
« On constate qu’en France, l’immense majorité des aires d’accueil n’ont pas d’arbres et sont majoritairement recouvertes de béton ou de goudron, des matières qui absorbent beaucoup la chaleur. Ce sont des conditions assez invivables. À cela, s’ajoute la pollution », s’indigne-t-il. La solution est pourtant simple, estime-t-il : « Dans la conception des aires d’accueil, il faudrait prévoir des arbres et créer des préaux. C’est le b.a.-ba. »

Assise face à sa table de jardin, à l’ombre d’une tonnelle, Sue Ellen évoque avec nostalgie son enfance : « Avant, si on n’avait pas assez d’air, on prenait les caravanes et on allait ailleurs. Je me souviens, lors de la canicule de 2003, on était du côté de Saumur. On a pris nos caravanes et on s’est mis au vert, sur un terrain sans eau ni électricité. » « C’était la belle vie. C’était la vie des Voyageurs », acquiesce Carmen.

Mais depuis la loi du 5 juillet 2000, dite loi Besson II, les communes de plus de 5 000 habitants sont obligées de prévoir des conditions de séjour pour les Voyageurs sur leur territoire. Cela permet aussi d’interdire le stationnement sur tout le reste du territoire.
La plupart des résidents de l’aire d’accueil d’Hellemmes-Ronchin regrettent la vie d’avant cette loi. « On nous force à rester sur les terrains. C’est pas une vie. Nos enfants n’ont pas vécu le voyage », se désole Sue Ellen.