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À Calais, la mairie empêche les réfugiés de boire

À Calais, la guerre des citernes fait rage depuis longtemps entre la mairie et les associations venant en aide aux éxilés.

À Calais, la mairie a confisqué mi-août une cuve d’eau installée en centre-ville par une association. Le dernier épisode d’une guerre de longue date menée par la Ville contre les personnes exilées.

Calais (Pas-de-Calais), reportage

« Pour tromper ma soif, j’essaie de dormir un peu. » Ahmed, un jeune égyptien de 22 ans, essaie de se reposer à l’ombre d’un arbre en cette mi-août. Autour de lui, des dizaines de personnes sont inconfortablement allongées sur des morceaux de carton entre des rochers — des dispositifs placés là au cours des derniers mois par la mairie. « Une association distribue un repas à 17 heures, avec une bouteille de 50 cl d’eau. C’est tout », dit le jeune homme. Il ne boit que ça de la journée, n’ayant pas d’argent pour aller au supermarché. Et le point d’eau le plus proche du centre-ville se trouve à quatre kilomètres.

À Calais, la question de l’accès à l’eau est depuis longtemps une source de tension entre la Ville et les associations qui viennent en aide aux exilés.

Le 11 août, la mairie a même embarqué une cuve de 1 000 litres posée par l’organisation Calais food collective sur un parking peu fréquenté du centre-ville. Dans une vidéo de l’intervention, on voit distinctement des employés municipaux, accompagnés de la police et du cinquième adjoint au maire, en charge de la sécurité et de l’environnement, embarquer dans une fourgonnette le réservoir d’eau.

Le 11 août, les services municipaux ont confisqué la citerne installée par Calais food collective. Twitter/Calais food collective

Après un véritable jeu de piste, les bénévoles l’ont retrouvée dans le local où sont stockés les effets personnels confisqués lors des opérations d’expulsion. Un soulagement pour les militants, car le coût d’une cuve, environ 250 euros, représente un investissement important.

Interrogée par Reporterre, la Ville a refusé de répondre. Lors d’une interview donnée le 19 août au journal local Nord Littoral, l’adjoint au maire Philippe Mignonet allait jusqu’à prétendre qu’installer une cuve près des camps de fortune était une « occupation illégale du domaine public ». « Ce que je trouve hypocrite, relève Chloé Magnan, une bénévole, c’est que la mairie a déposé en mars des centaines de rochers, d’une valeur de 40 000 euros, en face du parking où nous avions posé la cuve » — et occupe donc ainsi l’espace public. Ces rochers sont des dispositifs anti-SDF qui visent à empêcher l’installation de tentes sur les espaces herbeux près des quais.

Cette année, la guerre des citernes a débuté dès janvier avec le vol d’une cuve également amenée sur un campement par Calais food collective. « Quand nous sommes arrivés le matin, elle avait disparu et des rochers avaient été placés à l’entrée du campement de fortune pour nous empêcher d’y accéder en camion », se souvient Chloé Magnan. La mairie a reconnu avoir posé les pierres mais nie, en revanche, avoir pris la cuve.

En mars, une opération d’enrochement avait encore contraint les membres de l’organisation à enlever une citerne, rendue inaccessible et donc impossible à remplir. En juin, à la suite d’une expulsion, tous les robinets des cuves avaient disparu. À chaque fois, l’intégralité du contenu des citernes est déversée au sol.

Refus d’installer des points d’eau fixes en centre-ville

« La municipalité a mis en place une politique appelée zéro point de fixation », explique Chloé Magnan. En pratique, cela signifie que les forces de police mènent des opérations tous les deux jours pour expulser les personnes exilées installées en ville ou dans des campements de fortune en périphérie. À cela s’ajoute une stratégie d’invisibilisation, qui se traduit, notamment, par le refus d’installer des points d’eau fixes en centre-ville.

À Calais, il existe un service de distribution d’eau — ainsi qu’un service de douche — proposé par l’association La Vie active, mandatée par l’État. Mais les acteurs associatifs sur le terrain soulignent ses lacunes : les douches sont éloignées des lieux de vie des personnes sans domicile fixe et les horaires sont restreints. Parfois, « des opérations d’expulsion sont menées en même temps que les distributions, précise Chloé Magnan. De nombreuses personnes n’osent pas se déplacer pour profiter de ces services, de peur de ne plus retrouver leurs affaires à leur retour. »

À peine 4,9 litres par jour

Pour la mairie, ces services de l’association La Vie active sont les seuls autorisés. La préfecture avait aussi émis une série d’arrêtés interdisant la remise de repas dans le cœur de ville entre septembre 2020 et avril 2022. Ils ont été annulés par le tribunal administratif de Lille en raison d’une insuffisance de l’offre à destination des exilés par l’État.

De fait, la situation est alarmante. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’il faut entre 50 et 100 litres d’eau par personne et par jour pour répondre aux besoins de base. À Calais, selon un rapport de la Coalition eau et solidarités international, un collectif d’organisations non gouvernementales engagées sur la question, les centaines d’exilés sur place disposent en moyenne d’à peine 4,9 litres par jour.

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