À Dijon, les jardins de l’Engrenage détruits par les tractopelles

Les occupants des Jardins de l'Engrenage ont été expulsés le 20 juillet 2021. - Facebook Jardins de l'Engrenage
Les occupants des Jardins de l'Engrenage ont été expulsés le 20 juillet 2021. - Facebook Jardins de l'Engrenage
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Luttes Étalement urbainDernier espace naturel commun du nord de Dijon, les jardins de l’Engrenage viennent d’être détruits et ses occupants délogés. Dans cette tribune, ils dénoncent cette décision prise par le maire, François Rebsamen, et annoncent poursuivre leur lutte.
On le savait entêté, inflexible dans ses décisions passéistes. François Rebsamen, maire de Dijon, s’est de nouveau illustré mardi 20 juillet en ordonnant la destruction des jardins de l’Engrenage, dernier espace naturel du nord de la ville, pour y construire 330 logements dans un quartier déjà surdensément peuplé. Utilisant la manière forte, les forces de l’ordre ont délogé les occupants pour laisser la place au ballet des camions et des tractopelles, qui ont constitué des norias de terre et de déchets verts jusqu’au soir. Cette expulsion est intervenue au moment même où allait être révélée une affaire de malversation dans la cession de ce terrain municipal à un promoteur peu scrupuleux.
Depuis le 17 juin 2020, des Dijonnais·es occupaient et cultivaient ce terrain en friche de près de 2 hectares pour le soustraire à l’appétit bétonneur du maire, François Rebsamen, et de ses amis du BTP, qui prévoient la construction de 330 logements dans un quartier déjà très densément peuplé. Véritable épine dans le pied du maire, cet espace nommé les jardins de l’Engrenage était un lieu de rencontres, d’échanges et de jardinage pour de nombreux habitants du quartier. Ces considérations de bien-vivre ensemble n’ont visiblement pas séduit François Rebsamen, tout à ses ambitions de concentration des activités et de la population dans la métropole, qui a lancé en août 2020 une procédure judiciaire pour l’expulsion du site.

S’appuyant sur le droit au logement des personnes précaires, les jardiniers ont pu reculer l’échéance fatidique durant plusieurs mois au cours desquels ils se sont employés à tenter d’entrer en dialogue avec la municipalité pour démontrer le nécessaire besoin de concertation des riverains autour d’un projet d’une telle ampleur. Tantôt argumentatives, scientifiques, provocatrices ou même politiques, les différentes approches ne sont pas parvenues à faire infléchir les plans écocidaires d’un maire qui semble avoir exclu de son logiciel le dérèglement climatique et ses conséquences sur le bien-être des habitants.
Un grand gaspillage
Parvenus déjà par deux fois, en juillet 2020 et avril 2021, à repousser les assauts des tractopelles, les militants n’ont rien pu faire ce mardi 20 juillet lorsque, à 7 heures, les policiers de la brigade anti-criminalité sont venus les déloger de la maison, en tirant des grenades lacrymogènes qui ont mis le feu au logement. Sauvant leur vie avant tout, les occupants se sont résolus la mort dans l’âme à quitter la maison, laissant le terrain à la merci des engins.
Chacun pourra remarquer le communiqué flatteur de la préfecture et le discours policé du directeur de cabinet du préfet, qui s’est réjoui d’une « opération qui s’est parfaitement déroulée ». Il faut dire que l’État avait mis les grands moyens : treize cars de CRS, soit une débauche de moyens humains aux frais du contribuable, face à des jardiniers qui s’étaient formés fin juin à la résistance non violente et avaient réalisé des travaux dans la maison afin de pouvoir tenir un siège de plusieurs heures.

Simple exécution d’une décision de justice ou folie écocidaire, selon le point de vue que l’on adopte, le résultat de cette funeste journée est le même : les arbres arrachés sont définitivement perdus, la petite maison, point de rendez-vous pour les jardiniers, abri pour les visiteurs et aussi lieu de distribution alimentaire, est devenue un tas de gravats. Devant ce gaspillage de ressources, François Rebsamen peut désormais afficher à son palmarès le sacrifice du dernier espace naturel commun des quartiers du nord de la ville. Espérons que ce bilan viendra ternir ses ambitions politico-médiatiques et sa recherche de la reconnaissance de « capitale verte européenne », titre qui lui est fort heureusement passé sous le nez en 2020 !
Faire avancer le droit de la nature
En ce lendemain de l’expulsion et du saccage du terrain, le réveil des jardiniers est quelque peu groggy. Place au travail de deuil. Parce que la vie reste plus forte que la mort semée par les machines infernales des lobbies du BTP, le défi à venir est d’inventer les moyens de maintenir les liens créés entre personnes tout au long de ces mois de résistance. C’est bien cela, le véritable fruit de la lutte. Les biens immatériels sont une véritable richesse qui ne peut pas être subtilisée par le pouvoir, mieux, qui le contrarie.

Soutenus par l’association des Ami·es des jardins de l’Engrenage, les jardiniers n’en ont probablement pas terminé avec cette affaire. D’abord, ils se défendent dans les assignations en dommages et intérêts portés à leur encontre par la Ville de Dijon en guise d’intimidation pour atteinte à son image. Ensuite, et à l’issue de plusieurs semaines d’enquêtes, nous avons révélé le 20 juillet un dossier très sensible pouvant mettre en cause le maire pour soupçons de favoritisme dans la vente du terrain au promoteur. Un signalement a été déposé auprès du procureur de la République, qui pourra faire toute la lumière sur cette affaire.
Que ce soit à Dijon avec les jardins de l’Engrenage et les Lentillères, à Aubervilliers avec les Jardins à défendre, ou partout ailleurs où des luttes s’engagent pour s’opposer à une inexorable et définitive bétonisation du vivant, l’enjeu est de faire avancer le droit de la nature. Faire reconnaître la personnalité morale d’un cours d’eau, d’une forêt, c’est la voie que tracent certains pays pour préserver des espaces de respiration, si nécessaires pour faire face au dérèglement climatique. Gageons que les échéances électorales à venir permettront un sursaut en ce sens.