Sommés de partir, les jardiniers d’Aubervilliers résistent au Grand Paris

Les jardins d'Aubervilleirs, espace préservé aux pieds des immeubles de la cité des Courtillères. - © Alexandre-Reza Kokabi/Reporterre
Les jardins d'Aubervilleirs, espace préservé aux pieds des immeubles de la cité des Courtillères. - © Alexandre-Reza Kokabi/Reporterre
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Luttes Étalement urbainDepuis deux mois, les jardins des Vertus, à Aubervilliers, sont occupés pour empêcher leur bétonnage. Grand Paris Aménagement, qui a pour projet de construire en lieu et place des terres nourricières un solarium et un centre de fitness, a demandé leur expulsion à partir du vendredi 16 juillet, à 17 heures.
Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), reportage
Les « jardins à défendre » d’Aubervilliers vont-ils être coulés dans le béton du Grand Paris ? Jeudi 15 juillet, dans les venelles des jardins ouvriers des Vertus, les éclats des rires et des ateliers de construction se mêlaient encore aux cris des oiseaux qui nichent sur les parcelles verdoyantes. De temps à autre, le soleil perçait les nuages. Ses rayons illuminaient les cabanes et caressaient les feuilles des tomatiers, d’arbres fruitiers et d’œillets d’Inde orange vif plantés sur un îlot de paille.
Ces terres nourricières, écrin de végétation au milieu d’un décor urbain, subsistent uniquement grâce à la ténacité de leurs défenseurs, qui les occupent jour et nuit depuis près de deux mois et les ont baptisées « jardins à défendre » (Jad). Dix-neuf parcelles, 4 000 m² de terres en tout, sont menacées par les bulldozers de Grand Paris Aménagement (GPA), qui souhaite construire un solarium et un centre de fitness, adossés à la future piscine d’entraînement des Jeux olympiques de Paris 2024 — construite sur le parking voisin —, et d’une gare du futur Grand Paris Express.

Le couperet d’une expulsion se rapproche pour les occupants. Saisi à la demande de GPA, un huissier de justice leur a adressé un « commandement de quitter les lieux ». Cette injonction s’appuie sur une ordonnance de référé rendue par le tribunal d’Aubervilliers le 25 mai. Les activistes sont sommés de plier bagage avant vendredi 16 juillet, 17 heures. À défaut, les intentions de l’huissier sont explicites : « Je me verrai contraint de procéder à votre expulsion, et à celle de tous occupants de votre chef, si nécessaire avec l’assistance de la force publique. »
« Promoteurs, hors de nos vies ! »
« Nous ne partirons pas de notre propre chef », rétorque Dolorès, 58 ans, occupante des Jad. Cofondatrice du collectif de défense des jardins ouvriers d’Aubervilliers, elle assure que les activistes tiendront et défendront « ces terres fertiles et cet espace de vie collectif jusqu’au bout ». « Le procès et l’expulsion représentent une mascarade judiciaire, poursuit la « jadiste ». Ces procédures se sont déroulées en l’absence du collectif de défense et des occupants, qui n’étaient même pas au courant ! » C’est en effet l’Association des jardins de Vertus, qui soutient le projet de piscine et ne fait pas partie des occupantes de la Zad, qui est visée par la procédure. L’avocat des activistes espère pouvoir invalider l’ordonnance en s’appuyant sur cette erreur. « Mais ce faisant, Grand Paris Aménagement invisibilise le collectif et nie le projet alternatif d’autogestion et les liens que nous avons noués avec le quartier », déplore Dolorès.

Depuis leur installation, le 23 mai dernier, les écologistes, dont la plupart sont vingtenaires, se sont enracinés sur les 19 parcelles vouées à la destruction. « Nous sommes les jardins qui se défendent », « Promoteurs, hors de nos vies ! » est-il écrit sur les murs des cabanes et des clôtures en bois. Des bottes de paille enduites de terre et recouvertes de bâches imperméables font office de muraille, donnant aux jardins des allures de forteresse. Les anciennes cabanes des jardiniers ont été aménagées, des tentes ont été posées, une bibliothèque composée de planches de récupération a germé et les corps défendant des activistes se sont aguerris à force d’être en prise avec ces terres, de les cultiver au milieu des chats, des lapins de garenne, des hérissons, des écureuils roux, des perruches et des renards.

« Cet endroit symbolise la vive tension qui existe entre deux mondes : celui des jardins qui se défend contre l’appétit des promoteurs, leur béton et leurs profits qui nous emmènent dans le mur, dit Dolorès. Aujourd’hui, l’urgence n’est pas de bétonner, l’urgence est de ne pas bétonner. Nous devons consacrer toute notre énergie à apprendre à vivre autrement, et c’est ce que nous mettons en œuvre ici. » La jadiste se languit de pouvoir manger, « très prochainement », les premières courgettes, tomates et patates plantées sur les Jad.
« Et si nous devions être chassés d’ici, tout ce que nous aurons appris pourra être recréé ailleurs »
« Quoi qu’il arrive, nous aurons aussi réussi à marquer les imaginaires », se réjouit-elle. Ces dernières semaines, l’expérience vécue aux Jad a attiré plusieurs classes, de la maternelle au lycée, venues visiter cet espace préservé aux pieds des immeubles de la cité des Courtillères. « Des enfants sont même revenus avec leurs parents et leurs grands-parents », sourit Dolorès.

Les Jadistes accueillent également des habitants d’autres zones à défendre comme Laura et Camille, venues de la forêt de Hambach, dans l’ouest de l’Allemagne, où elles luttent contre une mine géante à ciel ouvert. « Nous construisons des ponts entre tous ces lieux sauvés de la prédation et de l’avidité sans fin du capitalisme, dit Laura [*] à Reporterre. Les pièces du puzzle sont éparpillées, charge à nous d’en gagner de nouvelles et de les recoller. » « Dans ces lieux, nous apprenons à construire de nos mains, ensemble, et nous partageons de la joie, des expériences et des savoir-faire, raconte Camille [*]. Et si nous devions être chassés d’ici, tout ce que nous aurons appris pourra être recréé ailleurs. Nous répandrons le virus de la rébellion ! »

Les activistes espèrent encore ouvrir le dialogue avec Grand Paris Aménagement et les élus pour sauver les terres. Mais si les forces de l’ordre viennent expulser les activistes, « chacun réagira en son âme et conscience, affirme Dolorès. Moi, je ne bougerai pas, s’ils veulent me tirer de là, ils devront le faire de force. » « S’ils nous délogent samedi matin, nous serons déjà revenus le samedi soir », promet Camille. « Et comme une plante cherchant la lumière, nous n’arrêterons pas de grandir », renchérit Laura.