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ReportageSocial

À Lyon, on expérimente un « RSA pour jeunes »

Un jeune homme prépare ses démarches administratives auprès d'une conseillère emploi-formation dans une mission locale, à Lyon.

Depuis un an, la Métropole de Lyon expérimente un Revenu de solidarité jeune dédié aux 18-25 ans précaires. Objectif : proposer un appui financier et un suivi personnalisé pour stabiliser et réinsérer les jeunes en situation de grande pauvreté.

Lyon (Rhône), reportage

Musicien de profession, Gabriel [*] vivait en 2020 de ses cours de batterie et de ses prestations, déclarées ou non. Un train de vie fragile, brisé par le Covid-19 qui a paralysé la scène culturelle lyonnaise. Faute de ressources, le jeune homme de 22 ans a dû retourner vivre chez ses parents à Vénissieux. Un job alimentaire comme seul horizon pour remettre le pied à l’étrier. Domicilié sur le territoire de la Métropole de Lyon, le batteur a eu l’opportunité de bénéficier du Revenu de solidarité jeunesse (RSJ) mis en place par l’exécutif écologiste aux manettes de la collectivité. « Ça m’a permis de recouvrer une autonomie par l’aide financière, de reprendre un appartement en colocation, de poursuivre mon développement professionnel », ébauche-t-il aujourd’hui.

« 22,6 % des moins de 30 ans de la métropole vivent sous le seuil de pauvreté », chiffrait l’agence d’urbanisme de Lyon à l’été 2020. Une statistique amplifiée par l’impact de la crise sanitaire. Pour aider ces jeunes précaires, la Métropole de Lyon a acté en juin 2021 un dispositif pour les emmener sur les chemins de la réinsertion. Nom de l’opération : le Revenu de solidarité jeune. Un faux-nez sémantique pour expérimenter le RSA jeune cher à Europe Écologie-Les Verts (EELV), et tenter de raccommoder les trous dans la raquette sociale. « Ce dispositif est fait pour répondre aux besoins des moins de 25 ans, pour lesquels il n’y avait aucune autre solution et le risque de tomber dans l’extrême pauvreté », assure Bruno Bernard, le président écologiste de la collectivité.

Les critères pour en bénéficier sont précis : être âgés de 18 à 24 ans, percevoir moins de 400 euros par mois, résider sur le territoire du Grand Lyon depuis au moins six mois, ne pas bénéficier d’un soutien financier des parents ou d’un tiers, ne pas bénéficier d’un dispositif déjà existant (allocation aux adultes handicapés, contrat d’engagement jeune, etc.), et être sorti du système éducatif. Les bénéficiaires perçoivent alors une allocation de 300 à 400 euros en fonction de leurs ressources financières. Chaque participant peut bénéficier de ce dispositif pendant deux ans, avec un renouvellement de contrat tous les trois mois.

Pour détecter les jeunes précaires hors des radars de l’aide sociale, la collectivité s’est appuyée sur ses dix missions locales et six associations spécialisées. Charge à eux d’aller à la rencontre des jeunes en rupture, d’instruire leurs dossiers et d’assurer leur suivi. « On travaille avec les centres sociaux, l’aide sociale à l’enfance et les acteurs locaux qui voient les jeunes devant leurs structures sans en passer les portes, explique Martial Duperdu, référent RSJ à la mission locale du Plateau Nord Val de Saône. On voit bien la difficulté : malgré une campagne de communication sur les abribus, à la radio et sur les réseaux sociaux, le RSJ n’attire pas tant que ça les jeunes. Il leur faut un premier contact avec une personne de confiance pour leur faire passer les portes des missions locales. »

« Peu importe les petits pas, l’essentiel c’est d’avancer »

Pour Sarah Jeannin, cheffe de service d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale et membre de l’association Acolea, partenaire du dispositif, celui-ci touche « tout type de profils : des jeunes dans des structures d’hébergement, qui n’ont pas de logement ; des jeunes qu’on peut trouver dans des zones très isolées, loin du droit commun ; des jeunes en attente de reconnaissance du statut de travailleur handicapé... » Beaucoup ont connu un parcours scolaire chaotique, où sont issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Parmi les 1 018 bénéficiaires du programme, 20 % ont vécu des situations de grande précarité, précise l’équipe de l’élu, soit vivant en foyer, soit à la rue.

Les premiers mois d’accompagnement sont dédiés à stabiliser ces parcours de vie difficiles. Objectif : lever les freins liés à la mobilité, au logement et à l’accès aux soins. « Le but du jeu, c’est de mettre en action le jeune : aussi bien de déposer un dossier à la Maison départementale pour les personnes handicapées, de prendre un rendez-vous en centre médico-psychologique, de s’inscrire dans une auto-école sociale ou de passer des étapes d’inscription sur des offres d’emplois, liste Martial Duperdu. Peu importe les petits pas, l’essentiel c’est d’avancer. » Une fois le cadre de vie pérennisé, « le RSJ permet d’avoir le temps pour élaborer un projet professionnel, artistique ou d’entreprise », assure Bruno Bernard.

Bruno Bernard (au centre), le président de la Métropole de Lyon, présente le RSJ à des jeunes demandeurs d’emploi, le 11 mars 2021. © Moran Kerinec/Reporterre

Pour beaucoup, le volet financier du RSJ permet de payer les dépenses alimentaires, de soulager les besoins d’un foyer précaire et de s’émanciper financièrement de ses parents. « Je voulais reprendre une autonomie, ce dispositif me l’a accordé en subvenant à mes besoins de base. L’accompagnement m’a permis d’obtenir une carte TCL [les transports en commun lyonnais] gratuite », témoigne Gabriel.

Mois après mois, le dispositif expérimental a ajusté ses rouages aux réalités du terrain. « On a beau avoir un règlement, il faut faire preuve de souplesse et se baser sur la confiance avec les travailleurs sociaux », appuie Bruno Bernard. Pour faire en sorte que les jeunes sans compte bancaire puissent percevoir l’allocation, son versement a été étendu au livret A. La nécessité d’être en rupture familiale a également été assouplie, comme celles d’être domicilié sur la Métropole de Lyon et d’avoir une pièce d’identité. « Si le jeune vit en squat ou dans la rue, il ne dispose pas forcément de ces justificatifs, souligne Sarah Jeannin. Ça fait partie des objectifs qu’on va lui fixer, et on va travailler ensemble pour qu’il les obtiennent. »

Au lancement du dispositif, les écologistes annonçaient viser sur le long terme 2 000 jeunes en grande précarité sur la Métropole. Un an plus tard, le RSJ a soutenu 1 018 d’entre eux, précise l’équipe de Bruno Bernard. Parmi les 355 bénéficiaires qui en sont sortis, 149 ont retrouvé le chemin de l’emploi ou de la formation, 85 n’ont pas renouvelé leur demande, 60 ont accédé à des dispositifs de droit commun ou d’aides sociales, et 14 n’ont pas respecté leurs engagements et ont été exclus. Au mois de mai, 555 bénéficiaires étaient toujours accompagnés.

Le RSJ et le contrat d’engagement jeune, deux dispositifs concurrents ou complémentaires ?

Seule ombre au tableau, la potentielle concurrence du contrat d’engagement jeune (CEJ), auparavant nommé « garantie jeune », mis en place par l’État le 1er mars 2022. En apparence, les deux dispositifs s’adressent au même public : des jeunes de 16 à 25 ans, en rupture, sortis du système scolaire, et au foyer fiscal fragile. En échange de 15 à 20 heures de travail hebdomadaire, ils peuvent recevoir jusqu’à 500 euros d’allocations mensuelles pendant six mois.

Bruno Bernard l’assure : son dispositif ne ferraille pas contre celui de l’État, mais le complète en s’adressant à un public qui ne peut remplir l’engagement nécessaire au CEJ. « Se mobiliser pendant 15 à 20 heures par semaine, c’est extrêmement compliqué pour des jeunes en très grande précarité, abonde Sarah Jeannin. Les bénéficiaires d’un contrat d’engagement sont déjà dans une démarche plus avancée. »

D’après les services de la Métropole, un quart des bénéficiaires du RSJ seraient déjà passés sans succès par le CEJ, sans que celui-ci ne les aide à retrouver un parcours d’insertion stable. Sur le terrain, charge à l’éducateur de trancher en faveur du dispositif le plus adéquat au jeune en rupture. Comme le rappelle Martial Duperdu : « L’objectif, c’est de trouver le meilleur angle d’approche, le meilleur dispositif pour son avancement dans sa vie personnelle et professionnelle. »

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