À Marseille, « Airbnb tue nos quartiers »

Des militants opposés à Airbnb, à Marseille, le 26 novembre 2022. - © Théo Giacometti / Reporterre
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Luttes Habitat et urbanismeDes manifestants ont dénoncé le 26 novembre l’explosion des annonces Airbnb et la gentrification d’un quartier de Marseille. Le prix des loyers a largement augmenté ces dernières années.
Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage
« Vous deviez me donner les clés en main propre ! » Valise à roulettes dans une main, téléphone dans l’autre, Mickaël [*] mime sous les rires du public une scène devenue familière aux habitants du quartier : des touristes qui débarquent pour le week-end et patientent devant la porte de l’immeuble, en attendant de récupérer leur Airbnb.
Depuis quelques années, ce genre de scènes s’est multiplié. Marseille attire. Longtemps jugée « sale », « dangereuse » et « polluée », la ville est devenue « hype ». Il est tout à fait banal pour des Parisiens, des Lyonnais ou des Nantais de débarquer « dans le sud » pour le week-end. La mer et le soleil 300 jours par an et à 3 heures de TGV : au lendemain du confinement, la promesse a de quoi séduire. Conséquences directes : la ville connaît depuis quelques années une hausse continue de ses loyers (le prix du m² a augmenté de 30 % en trois ans) et voit le nombre de ses Airbnb exploser.

C’est pour défendre le quartier de la Plaine face à la « airbnbisation » et à la gentrification en cours que quelques centaines de personnes se sont réunies samedi 26 novembre après-midi, armées de valises à roulettes — symbole des locations en Airbnb — pour une déambulation joyeuse, un charivari. « Pour foutre le zbeul [désordre] dans le quartier », traduit Blaise. Beaucoup se sont costumés pour l’occasion, animant une ambiance festive. Ici on peint des pancartes, là on improvise des chants contre la société de consommation, là encore, on joue de la musique.

« Montée en gamme » du quartier
Le lieu de rassemblement est tout sauf un hasard. La Plaine est un quartier populaire emblématique, situé en plein centre-ville, qui est parvenu au fil des ans à maintenir une vraie diversité sociale : artistes, forains, étudiants et habitants historiques s’y côtoient. La place a connu une rénovation houleuse. En 2018, des travaux ont été lancés par l’ancienne municipalité, alors dirigée par Jean-Claude Gaudin, maire (LR) indétrônable vingt-cinq ans durant. Sur des projections architecturales, on parle « piétonnisation », on vante la « montée en gamme » prochaine du quartier. Les habitants, rassemblés au sein de l’Assemblée de la Plaine, se sont mobilisés pour refuser ce nouveau quartier qu’on veut leur imposer. Le chantier a été perturbé, forçant la mairie à ériger un mur en béton enserrant toute la place. « Un mur de la honte », selon les opposants.
Quatre ans plus tard, la place a été « livrée ». Avec quelques changements sur les avis de paiement des locataires. « On voit les effets de la gentrification. Depuis deux ans, les loyers ont explosé », soupire Arthur, immeuble en carton sur la tête. « On défend simplement une vie de quartier. On ne veut pas devenir la Croix-Rousse à Lyon, devenu un quartier post-bobo, précise Blaise, pancarte autour du cou. Si le tourisme n’est pas contrôlé, il va nous péter à la gueule. »

La foule se met en marche, se dirige vers le Cours Julien, récemment nommé dixième « quartier le plus cool du monde » par le magazine anglais Time Out. Le titre vante ses « magasins de vêtements vintage, ses librairies d’occasion et ses anciens entrepôts reconvertis en galeries d’art branchées » avant de proposer un lien vers… les meilleurs Airbnb sur place.
« Entre l’été 2021 et l’été 2022, on est passé de 180 à 225 annonces Airbnb à la Plaine, dont plus de la moitié sont postées par des multipropriétaires qui n’habitent pas les lieux », précise Pierre [*]. Avec plusieurs habitants du quartier, il recense des données au sein d’un observatoire de la gentrification, un groupe informel qui souhaite documenter la gentrification du quartier par des données factuelles et informer.

« Interdire Airbnb à ces multipropriétaires »
Alors, que faire face à la multinationale étasunienne ? « Ce qu’on veut, c’est interdire Airbnb à ces multipropriétaires qui possèdent quinze appartements et qui se foutent de la vie de quartier », détaille Marie, habitante du quartier depuis vingt ans. L’encadrement strict des loyers, la défense des commerces de proximité, la réquisition des logements vacants font aussi partie des revendications évoquées par les manifestants. De quoi donner quelques idées à la mairie de Marseille, au moment où s’ouvrent les états généraux du logement, voulus par la Ville.

La déambulation s’est poursuivie par la rue d’Aubagne. C’est là, aux numéros 63 et 65, que deux immeubles se sont effondrés le 5 novembre 2018, tuant huit personnes et révélant l’ampleur du mal-logement dans cette ville. Aujourd’hui, à l’heure où marchent les militants, l’on peut trouver à une rue de là cette annonce sur Airbnb : « Maison digitale et engagée de 18 chambres refaites à neuf », 550 euros la nuit. Une affaire.
La déambulation est ensuite passée devant une conciergerie Airbnb, dont la vitrine a été prise d’assaut à coups de bombes de peinture et de jets de bouteilles. Puis les manifestants ont remonté la Canebière, où, devant le commissariat, des manifestants ont collé des autocollants sur les camions de CRS. Trois personnes ont été interpellées, et relâchées le lendemain matin.