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À Marseille, le fast-food qui « pense aux humains et pas aux bénéfices »

Sophia, équipière salariée de L'Après M, un fast-food social des quartiers nord de Marseille.

La lutte des salariés et de militants associatifs pour créer un lieu solidaire a payé : dans les quartiers nord, un ancien McDonald’s, rebaptisé L’Après M, est désormais un « fast-food social ».

Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage

Entre deux clients, sur la terrasse du restaurant, Hakim, 24 ans, s’octroie une pause clope. En contrat d’insertion, le jeune homme a été condamné à trois ans de prison pour « stups et défaut de permis ». Sa peine prendra fin le 6 janvier 2023. Elle a été aménagée — il a un bracelet électronique — grâce à son embauche à L’Après M. Comme de nombreux jeunes des quartiers alentour — il vient de la cité des Flamants —, il s’était tourné vers le trafic de drogue faute de « projection de vie. Je n’allais pas à l’école, malheureusement ».

L’Après M, fast-food du quartier de Saint-Barthélemy dans le 14e arrondissement de Marseille, sert à nouveau la clientèle depuis le 10 décembre. Ici, l’équivalent du sandwich mythique de McDonald’s a été rebaptisé « Maouss costo », le menu enfant « Minot » et le sandwich au poisson « Pescadou », en provençal dans le texte. Les prix sont abordables : de 7,50 à 9,60 euros pour les menus. Mais surtout, l’Après M est un « fast-food social » — il a ouvert avec 30 salariés, dont 23 en insertion — né grâce à une lutte acharnée.

Premiers clients à L’Après M le soir de l’inauguration officielle le samedi 10 décembre 2022.

Tout s’est passé très vite. En 2019, le Macdo d’alors n’étant plus assez rentable, il a été mis sous liquidation judiciaire — malgré la lutte des salariés qui voulaient sauver 70 emplois. En 2020, les salariés et des soutiens ont réquisitionné le lieu, devenu une fourmilière de projets solidaires« on aide 600 à 700 familles par semaine », nous explique Mohamed Fahem, coordinateur des distributions de colis. Et voilà qu’aujourd’hui, on y sert à nouveau des burgers.

Le fast-food, et surtout ceux qui ont permis son existence, est adoubé de toute part. Les habitants de ces quartiers ont conquis « le droit d’exister dans une ville qui pendant trop longtemps ne les a pas regardés », a lancé le maire de Marseille (DVG, ex-socialiste) Benoit Payan lors de l’inauguration officielle, le 10 décembre. Outre le député insoumis local Sébastien Delogu, le chef trois étoiles Gérald Passédat complétait la liste des officiels à la tribune. C’est lui qui a créé la recette de « l’Ovni », deux tranches de pain soudées en forme de soucoupe volante fourrées de bœuf ou de poisson.

« Ne pas pointer du doigt, tendre la main »

Tandis que Macha, une réfugiée ukrainienne, nettoie le sol, Sophia prépare la caisse. La jeune femme dit avoir perdu plusieurs de ses anciens boulots dans l’hôtellerie parce qu’elle est mère célibataire d’un petit de 6 ans. « Quand tu as ton fils malade, une fois, deux fois... À la quatrième fois tu es mise dehors », dit-elle. À L’Après M elle se réjouit de bénéficier d’horaires aménagés compatibles avec sa vie de famille. « C’est plus chaleureux qu’avant. On pense aux humains et pas aux bénéfices », se réjouit celle qui fréquentait l’ancien McDonald’s comme cliente.

« On ne veut pas que les salariés fassent des burgers comme des moutons. On leur propose une formation complète pour qu’ils puissent ensuite voler de leurs propres ailes », explique Kamel Guemari, ancien délégué syndical Force ouvrière et leader de la réappropriation. Son mantra : « Ne pas pointer du doigt, tendre la main. » Un écho à son histoire personnelle. Il est entré au McDonald’s à 16 ans, en 1998. « J’étais en échec scolaire. J’avais du mal à lire », rembobine celui qui était directeur adjoint jusqu’au douloureux conflit social. Désormais, il cite le philosophe Michel Foucault pour définir l’expérimentation en cours : « C’est une hétérotopie. Là où on réalise nos rêves. Comme on le ferait dans une cabane d’enfant. »

Un spectacle pyrotechnique pour l’ouverture en grande pompe de L’Après M, trois ans après la liquidation judiciaire du restaurant.

Président de la Scic (société coopérative d’intérêt collectif), il a fait le choix de rester bénévole pour accompagner la structure jusqu’à sa rentabilité. Le démarrage a été permis grâce à une souscription populaire. Lancée au printemps 2021, initialement pour racheter le lieu, elle a permis de rassembler près de 100 000 euros grâce à plus de 3 700 souscripteurs.

Un lieu solidaire « par et pour les quartiers »

« On vient de passer une étape cruciale. On a redonné vie à ce lieu par et pour les quartiers », s’enthousiasmait Yazid Bendaïf lors de l’inauguration. Dans la continuité de son engagement à L’Après M pour transformer les abords du lieu en jardin nourricier, le sexagénaire a fondé l’association Terre d’entraide et de partage. Celle-ci crée des potagers dans les 13 et 14e arrondissements et veut désartificialiser des sols de ces quartiers. « Quand je suis arrivé ici en 1967, il n’y avait que des fermes autour. Après, des bidonvilles, puis la bétonisation des hauts de Marseille ont recouvert le maraîchage », témoignait-il dans un diaporama sonore diffusé sur grand écran lors de la cérémonie d’inauguration.

Les militants de L’Après M n’ont pas fini de lutter. Au surlendemain des réjouissances de l’inauguration, une longue file d’attente se formait le long de la façade repeinte en un motif camouflage bleu et mauve. « C’est la première fois que je viens. La vie est devenue si chère », souffle une dame avec un enfant en bas âge dans une poussette. Des containeurs ont été installés sur le parking pour stocker les denrées qui seront distribuées gratuitement. Les bénéfices de l’activité commerciale de l’Après M doivent financer les activités sociales et l’achat de denrées locales et bio. « C’est unique au monde ça non ? Au lieu de pratiquer l’évasion fiscale, nos bénéfices iront directement aux plus souffrants », dit, avec fierté, Mohamed Fahem, coordinateur du Village des initiatives d’entraide (VIE).

Yazid Bendaïf, bénévole à L’Après M et fondateur de l’association Terre d’entraide et de partage.

Dans quelques mois, le lieu devrait accueillir toute une chaîne de transformation, jusqu’à l’installation d’un méthaniseur associé à un générateur électrique pour créer de l’électricité grâce au compostage des déchets. « La conserverie populaire permettra de trier les fruits et légumes trop mûrs ou abîmés pour préparer des soupes, des confitures et même des produits secs », prévoit Fathi Bouaroua, le président de l’association La part du peuple, qui encadre le VIE. Pourquoi populaire ? « Les gens qui participeront aux transformations repartiront avec la moitié. L’autre moitié sera ajoutée à la composition des colis alimentaires », détaille celui qui fût directeur régional de la fondation Abbé Pierre. Une cuisine professionnelle complétera l’ensemble, pour préparer des repas chauds distribués aux personnes de la rue.

L’équipe du restaurant espère également améliorer la qualité et la diversité des produits servis. Pour l’instant, la plupart des ingrédients sont surgelés, à part ceux de l’Ovni. « L’urgence c’était de recréer de l’emploi. On aimerait proposer un sandwich végétarien et puis améliorer les approvisionnements, notamment pour les frites avec une production locale. Mais il faut qu’on le fasse sans flinguer les marges », détaille Pierrick, un cuisinier écolo qui soutient bénévolement L’Après M.

Kamel Guemari soutient les salariés en cuisine lors de l’inauguration.

Au bord du bruyant rond-point du chemin de Sainte-Marthe, L’Après M affiche fièrement son nom avec des lettres réagencées de l’enseigne du feu McDonald’s. « C’est une œuvre d’art collective qui ne peut pas être désolidarisée de son socle qui est le restaurant », précise avec malice Pierrick, qui est aussi membre de la compagnie Rara Woulib qui a relooké le resto. En d’autres termes, la multinationale, qui était chagrin que l’on utilise son nom, même détourné, aurait bien du mal à chercher des noises à ce qui est désormais une « œuvre d’art », enregistrée officiellement comme telle. Une sorte de détournement artistique qui symbolise la reprise en main sociale et écologique en cours.

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