À Rouen, une mini-Zad expulsée du couvent

© Webzine Dans ton Rouen (danstonrouen.fr) - Les jardins du couvent occupé.
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Luttes Habitat et urbanismeLes militants rouennais des Jardins joyeux ont été expulsés. Ils occupaient cet ancien couvent depuis juin pour éviter sa destruction par un promoteur immobilier.
C’était une semi-surprise pour les militants des Jardins joyeux de Rouen (Seine-Maritime). Mardi 11 janvier à 8 heures du matin, ils ont été expulsés de cet ancien couvent et de ses jardins, qu’ils occupaient depuis juin dernier pour empêcher sa destruction. Le tribunal leur avait pourtant donné un sursis jusqu’en février prochain. « Cette expulsion est-elle légale ? Nous n’en savons rien encore », explique à Reporterre Jean-Michel Bérégovoy, adjoint au maire (Europe Écologie-Les Verts) venu sur les lieux pour soutenir les activistes, car huit d’entre eux ont été arrêtés. « C’est le préfet qui a ordonné l’expulsion et nous avons tous été surpris. Le propriétaire devait se dire qu’il commençait à y avoir trop de soutiens dans cette affaire. »

Cela faisait presque sept mois que les Jardins joyeux, situés dans le quartier populaire de Saint-Nicaise, étaient devenus une mini-Zad (zone à défendre) au cœur de Rouen. Une vingtaine de personnes, dont des familles, avaient trouvé refuge dans ses bâtiments historiques. Elles ont donc été jetées à la rue malgré la trêve hivernale. « Ces personnes n’ont pas de solution de relogement à part de l’hébergement d’urgence chez des particuliers, donc dans des situations encore plus précaires [qu’avant] », résume une militante interrogée par 76 actus.
« Cet espace vert naturel a cet aspect depuis le XVIIe siècle »
Certes, les conditions de vie dans cet ancien couvent, reconverti au XXe siècle en foyer pour jeunes étudiantes, étaient rudimentaires. Mais l’endroit permettait au moins d’avoir un toit. Le site était abandonné depuis 2015 et avait été vendu en 2018 au promoteur immobilier Sedelka [1] qui souhaite y construire une centaine d’appartements neufs de standing. C’était sans compter le refus des militants qui ont initié l’occupation le 13 juin 2021. Ils souhaitent en effet sauver ce site historique, qui est, en plus, un poumon vert au cœur du centre-ville. Derrière une austère façade se cache en effet plus de 3 000 m2 de jardin exposés plein sud et cultivés depuis le Moyen Âge. Les occupants ont planté quelques légumes et installé un poulailler. Un rouge-queue noir, oiseau migrateur protégé, a trouvé refuge dans les murailles médiévales au nord du jardin. Des orchidées sauvages ont été observées. « Cet espace vert naturel a cet aspect depuis le XVIIe siècle. C’est un jardin historique, on ne peut pas construire une barre d’immeuble en travers », explique à Reporterre Bertrand Rouziès, membre de l’association de sauvegarde du patrimoine La Boise de Saint-Nicaise. Pour les militants, le moindre espace vert est vital pour Rouen, une ville particulièrement minérale, avec seulement 32 m2 de verdure par habitant, contre 48 m2 en moyenne nationale. « Il faudrait aménager 2 km2 d’espaces verts supplémentaires pour améliorer cela. C’est une entreprise colossale. Certes, ce n’est pas seulement en sauvant ce jardin qu’on va y arriver, mais autant commencer par là », poursuit Bertrand Rouziès.

De son côté, la mairie affiche aussi une franche volonté de « renaturer la ville » avec un budget de 10 millions d’euros. Une politique mise en avant dès la première page de son site internet avec au programme la création de corridors écologiques ou encore l’inventaire de la biodiversité…
Alors, pourquoi la mairie n’a-t-elle pas empêché ce projet immobilier en préemptant le site ? « Cette vente a été conclue sous la précédente municipalité et nous n’en avions pas connaissance », assure Fatima El Khili, adjointe chargée de l’urbanisme et du patrimoine. Pourtant, Nicolas Mayer-Rossignol, le maire socialiste de Rouen, était déjà conseiller municipal sous l’ancienne mandature. De plus, son ancien employeur a des liens avec le promoteur immobilier, selon un article du média d’investigation local Le Poulpe [2] S’il s’est défendu de tout soupçon de conflit d’intérêts, Nicolas Mayer-Rossignol n’a jamais pris publiquement la parole pour défendre les Jardins joyeux. Il a également signé le permis de construire modificatif issu des négociations entre le promoteur, Sedelka, et les associations des riverains. « S’il ne l’avait pas signé, le permis initial aurait pu s’appliquer et il était encore pire », assure Jean-Michel Bérégovoy. Sa collègue Fatima El Khili s’est d’ailleurs félicitée des concessions promises par Sedelka dans un article du média Actu.fr.
« Une véritable leçon d’urbanisme qui nous vient du Moyen Âge »
Insuffisant pour convaincre les militants. « Si le maire avait refusé de signer le permis de construire modificatif, le promoteur aurait peut-être reculé. De plus, c’est le monsieur écolo de la campagne d’Anne Hidalgo. Si, dans sa propre commune, il est en contradiction avec les principes qu’il défend nationalement, cela va finir par faire tache », poursuit Bertrand Rouziès. En attendant et malgré l’expulsion, son association a adressé un courrier de seize pages au ministère de la Culture dans lequel sont listés tous les éléments patrimoniaux remarquables, notamment une chapelle très bien conservée du XIXe siècle, qui pourraient faire l’objet d’un classement. « Dans ce dossier, le Code du patrimoine est piétiné car le site est cerné par des monuments classés qui empêchent toute destruction, y compris celle des jardins », poursuit Bertrand Rouziès. D’ici le 27 janvier, son association compte déposer un recours gracieux auprès du maire puis, le cas échéant, auprès du tribunal administratif.

Tout cela permettra-t-il de gagner du temps ? Militants et élus écolos comme Fatima El Khili s’activent pour trouver un autre repreneur. « Une foncière qui n’aurait pas les objectifs de rentabilité spéculative à court terme d’un promoteur et qui serait ouverte à un projet alternatif élaboré avec les occupants et les riverains », imagine Bertrand Rouziès. Reste à trouver les fonds. En 2018, le couvent a été vendu aux enchères pour 4 millions d’euros. L’article du Poulpe estime que le promoteur pourrait dégager un chiffre d’affaires, après revente, d’environ 25 millions d’euros.
Les occupants, en tout cas, ne comptent pas lâcher l’affaire. D’autant qu’ils sont implantés dans un quartier particulièrement vindicatif. Une première Zad avait été lancée en 2016 pour sauver l’église Saint Nicaise de la destruction. Elle va bientôt devenir une brasserie locale. « Si un coup d’arrêt est donné au projet, le signal sera très fort vis-à-vis des autres promoteurs et de l’habitus des services de l’urbanisme. Cela constituera un échec pour eux, qui ont traité le dossier par-dessus la jambe », assure Bertrand Rouziès. « D’autant que ce quartier est une véritable leçon d’urbanisme qui nous vient du Moyen Âge et duquel il faudrait s’inspirer plutôt que de le détruire. »