À cause du nucléaire, la CGT quitte l’alliance avec les écologistes

Rassemblement de salariés devant La Chapelle Darblay, le 25 juin 2020. - © Alexandre-Reza Kokabi / Reporterre
Rassemblement de salariés devant La Chapelle Darblay, le 25 juin 2020. - © Alexandre-Reza Kokabi / Reporterre
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Social NucléaireEn raison de désaccords en interne, notamment sur le nucléaire, les adhérents de la CGT ont voté la sortie du syndicat de l’Alliance écologique et sociale.
La Confédération générale du travail (CGT) tire un trait sur un marqueur fort de sa politique écologique. Le syndicat a acté sa sortie de l’Alliance écologique et sociale — initialement baptisée Plus jamais ça —, une coalition inédite de syndicats de travailleurs, d’ONG et associations écologistes. Née en pleine pandémie de Covid-19 en 2020, celle-ci vise à lutter contre la « fausse opposition » entre la préservation de la planète et la création d’emplois. La nouvelle direction a annoncé sa décision le 5 juillet à ses sept partenaires, Greenpeace, Oxfam, Les Amis de la Terre, Attac, Solidaires, FSU et la Confédération paysanne.
Cette sortie se tramait depuis des mois. Lors du congrès de la CGT à Clermont-Ferrand, en mars dernier, les adhérents de la CGT ont donné le ton. Un amendement de sortie de Plus jamais ça a été adopté à 50,37 % des voix, sous les applaudissements. Un vote purement symbolique : au cours des travaux précédant le congrès, la référence à la participation de la CGT au sein du collectif avait déjà été supprimée des orientations du syndicat.

En interne, le rapprochement orchestré par Philippe Martinez entre la CGT et les ONG passait mal auprès de certaines fédérations. Plusieurs sources rapportent des discussions « animées », notamment lors de réunions du Comité confédéral national (CCN), le parlement de l’organisation. Nœud de la discorde : le nucléaire. La présence de Greenpeace, ONG connue pour ses actions en faveur d’une sortie de l’atome, était mal vécue par la puissante Fédération nationale des mines et de l’énergie. Plusieurs voix reprochent également à la direction de s’être engagée sans avoir suffisamment consulté les instances internes.
« Je suis élue pour appliquer les décisions du congrès. Or, ce qui est indiscutable, c’est que Plus jamais ça a été supprimé des orientations de la CGT », a tranché la nouvelle secrétaire générale Sophie Binet, en avril, dans une interview accordée à Libération. Tout en précisant qu’elle serait attentive à ce que les futures décisions soient prises « collectivement entre la direction et les organisations de la CGT ».
Au sein de l’alliance, les ex-partenaires de la CGT « regrettent » ce départ. « C’est une perte importante, qui pourrait être prise comme un affaiblissement symbolique de l’alliance, puisque le rapprochement entre associations écologistes et la CGT était l’aspect le plus inédit de cette convergence sociale et environnementale, déplore François Chartier, de Greenpeace. À travers les fédérations sectorielles de la CGT, on peut discuter avec les salariés des raffineries ou de l’automobile. C’est là où il y a le plus de boulot pour faire converger les luttes sociales et écologistes. »
Une alliance nécessaire et victorieuse
Les débuts de la coalition étaient jusque-là prometteurs. Sa plus grande victoire ? Le sauvetage in extremis d’une usine de papier journal 100 % recyclé en Seine-Maritime, La Chapelle Darblay, après des mois d’une bataille menée par des salariés et des militants écologistes, mêlant rassemblements sur le site, plaidoyer et actions de désobéissance civile. « On n’en serait jamais arrivés là sans l’appui de Plus jamais ça et la force de mobilisation des organisations qui la composent », dit Cyril Briffault, délégué syndical CGT de la Papeterie Chapelle Darblay.
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Avec une moindre réussite, l’Alliance écologique et sociale s’est également opposée à la conversion de la raffinerie TotalÉnergies de Grandpuits-Bailly-Carrois (Seine-et-Marne), destinée à devenir une plateforme de production de « biocarburant » et de bioplastique, en dénonçant à la fois le « greenwashing » du pétrolier et la destruction de 200 emplois directs sur le site.
« Au départ, y compris au sein des organisations écologistes, ça pouvait faire drôle de lutter contre la fermeture d’une raffinerie, dit François Chartier. Mais à travers cette alliance, en se rendant sur les piquets de grève, tout le monde a réalisé que ce n’était pas contradictoire et qu’il fallait, ensemble, réfléchir à des plans de reconversion justes et écologiques, avec zéro suppression d’emploi. »

À plusieurs reprises, ONG et syndicats — qui ont défilé ensemble dans les manifestations contre la réforme des retraites — ont porté des propositions de rupture avec le système capitaliste, comme la mise en place d’une taxe sur les superprofits réalisés au détriment de la justice sociale et du climat. En mai 2020, pendant la pandémie de Covid-19, ils avaient élaboré un plan de sortie de crise de trente-quatre mesures « pour répondre de concert aux enjeux sanitaires, sociaux, économiques et écologiques auxquels font face nos sociétés », dont l’arrêt des soutiens publics au développement de nouveaux projets nucléaires. Plus tard, l’alliance avait apporté des propositions concrètes pour une transition écologique qui soit créatrice d’emplois.
« Cette alliance inédite peut et doit avancer »
Malgré le départ de la CGT, les sept organisations restantes ont décidé de poursuivre ensemble. « Cette alliance inédite, porteuse de l’espoir de conjuguer urgence sociale et urgence environnementale, peut et doit avancer, ont-elles réagi dans un communiqué publié le 23 août. Elle le fera avec toutes les forces disponibles, nationalement et localement, convaincue que l’union du monde du travail et des militantes et militants écologistes est la force qui peut et doit imposer les alternatives à la catastrophe sociale et à la destruction du vivant. »
Au sein de l’alliance et même de la CGT, qui n’a pas répondu aux sollicitations de Reporterre, plusieurs sources craignent que cette décision soit le signe d’un « repli » identitaire et d’une ambition écologiste revue à la baisse. Sophie Binet s’en défendait, dans Libération : « La décision du congrès, c’est aussi de dire qu’il faut continuer à travailler sur les questions environnementales en les articulant avec les questions sociales, et qu’il faut continuer à travailler avec les autres organisations syndicales mais aussi avec des ONG. »
Pour le chercheur Jean-Marie Pernot, de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), le départ de la CGT ne « tue pas » la coopération engagée. Elle symbolise avant tout les difficultés, pour le syndicat, d’aborder le thème de l’écologie, « car ses assises historiques reposent dans des industries menacées par la transition écologique, comme la métallurgie ». Or, « en engageant le syndicat aux côtés d’organisations environnementales, Philippe Martinez l’a mis face à une contradiction assez naturelle, entre un changement nécessaire et les dizaines de milliers d’emplois qui sont en jeu », complète-t-il, ajoutant que « pour un grand corps comme la CGT, il est dur d’avancer sans crise, mais le syndicat se pose les bonnes questions ».
« Les discussions ne sont pas rompues », confirme en tout cas François Chartier. Le 24 mai dernier, la CGT, Greenpeace et le Réseau Action Climat (RAC) ont coorganisé un Forum sur l’avenir de l’automobile. « Ce n’était pas directement organisé par l’Alliance écologique et sociale, mais c’est la preuve que les liens vont perdurer. Au cours de ces trois années, on a vu qu’il y avait plus de sujets qui nous liaient que de sujets qui nous divisent », dit-il.