À la COP26, les hommes monopolisent la parole

Laurence Tubiana, négociatrice de l’Accord de Paris, à la COP26 de Glasgow le 8 novembre 2021. - © Pierre Larrieu/Reporterre
Laurence Tubiana, négociatrice de l’Accord de Paris, à la COP26 de Glasgow le 8 novembre 2021. - © Pierre Larrieu/Reporterre
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COP26 Libertés Climat PolitiqueÀ Glasgow, la voix des femmes a moins de place que celles des hommes : les délégations des États participants sont composées à 65 % d’hommes, contre 35 % de femmes. Pourtant, ces dernières sont davantage affectées par les conséquences du changement climatique.
Glasgow (Écosse), reportage
« Nous vivons tous dans un monde brisé, mais il l’est encore plus pour les filles et les femmes. Nous sommes affectées de façon disproportionnée par le changement climatique », a déclaré Brianna Fruean, activiste venue des Samoa, en préambule d’une séance plénière sur le genre à la COP26, mardi 9 novembre. À la tribune, elle était épaulée par la Petite Amal, une marionnette géante qui représente une jeune réfugiée syrienne. Du haut de ses trois mètres cinquante, la poupée articulée accomplit en ce moment un voyage de 8 000 kilomètres pour mettre en lumière le sort des exilés du monde entier. Brianna Fruean lui a offert une fleur. « Cette fleur représente, chez moi, l’espoir et la lumière, a expliqué la jeune Samoane. L’espoir et la lumière, c’est ce que nous portons toutes les deux, même si nous ne venons pas des mêmes régions du monde. Nos voix de femmes doivent être entendues. »

Or, à la COP26, les voix des femmes sont moins nombreuses que celles des hommes. Si l’égérie du mouvement climatique est la jeune militante suédoise Greta Thunberg, les couloirs du Scottish Event Campus grouillent d’hommes en costume. Les négociations internationales visant à lutter contre le changement climatique ont récemment été qualifiées d’« espace pour les mecs », par la femme politique britannique Claire O’Neill, qui devait présider la COP26 mais fût limogée en janvier 2020 [1]. L’ex-ministre d’État pour le changement climatique, interviewée par le média étasunien ABC News, a évoqué « un problème sans fin pour que les femmes soient mieux représentées dans les délégations des États ».
« Les hommes ont tendance à parler plus souvent et plus longtemps que les femmes »
Les chiffres sont éloquents : les délégations des États participants sont composées à 65 % d’hommes, contre 35 % de femmes, comme l’a révélé le site d’information britannique Carbon Brief [2], qui a analysé la liste des participants au sommet international. La répartition entre les genres est certes moins inégale que lors des premières COP, dans les années 1990. Un temps où les délégations étaient composées en moyenne de 88 % d’hommes et de 12 % de femmes. Néanmoins, la COP26 de Glasgow est plus masculine que ses trois prédécesseures (en moyenne 62 % d’hommes et 38 % de femmes). La liste fournie par la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ne permet pas de comptabiliser les personnes non-binaires, puisqu’elle n’utilise que les étiquettes « homme » et « femme ».
- Évolution de la représentation des femmes et des hommes lors des COP (infographie produite par Carbon Brief) :
« Beaucoup d’entre elles [les équipes de négociation] sont encore entièrement masculines » a regretté Claire O’Neill. C’est le cas de quatre délégations — le Yémen, le Turkménistan, la Corée du Nord et le Saint-Siège —, entièrement composées d’hommes. A contrario, aucune délégation n’est entièrement féminine, même si 27 parties comptent plus de femmes que d’hommes parmi leurs délégués, comme la République de Moldavie (89% de femmes), les Samoa (79%) et le Mexique (78%). La France, elle, a inscrit 115 hommes pour 82 femmes.
- Taille des délégations et équilibre entre les sexes pour tous les pays inscrits à la COP26 (infographie produite par Carbon Brief) :
De plus, dans les négociations internationales pour le climat « les hommes ont tendance à parler plus souvent et plus longtemps que les femmes », fait remarquer à Reporterre Sascha Gabizon, directrice de l’ONG Women Engage for a Common Future, qui s’appuie sur un rapport publié, cet été, par la CCNUCC. Dans ce document, la convention-cadre précise que « la composition des délégations permet certes de connaître le nombre d’hommes et de femmes qui participent aux conférences et aux négociations relatives à la convention », mais ces données « ne permettent pas d’avoir une idée plus précise de la participation effective des représentants ». Pendant une série de sessions préparation à la COP26, du 31 mai au 17 juin 2021, plus de 1 367 minutes de prises de parole ont été analysées. Résultat : alors que 51 % des membres des délégations étaient des hommes, ces derniers représentaient 60 % des prises de parole en séance plénière et 63 % du temps de parole total en séance plénière.
Dans le monde, 70 % des pauvres sont des femmes
Les filles et les femmes sont pourtant parmi « les populations les plus sévèrement affectées par les effets du changement climatique », a déploré Anne-Marie Trevelyan, secrétaire d’État britannique au Commerce international, qui présidait la plénière consacrée au genre. Selon le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), les femmes et les enfants ont quatorze fois plus de chance que les hommes de mourir en cas de catastrophe naturelle.

« Les femmes ont souvent la charge de chercher et de produire de la nourriture, de collecter de l’eau et de ramasser du bois pour se chauffer et faire à manger », explique à Reporterre Priscilla Achapka, membre de la délégation nigériane et activiste. Lors des épisodes de sécheresse, ces tâches deviennent plus ardues, car les femmes doivent se déplacer de plus en plus loin pour subvenir aux besoins de leurs proches. Elles sont alors plus susceptibles de subir des violences fondées sur le genre.
De plus, les femmes sont surreprésentées parmi les populations les plus pauvres de la planète. Dans le monde, 70 % des pauvres sont des femmes. Selon Priscilla Achapka, cela signifie qu’elles ont « un accès moindre à la propriété, aux ressources financières, à l’éducation, et sont éloignées des sphères de décision politique, ce qui les empêche de jouer pleinement leur rôle dans la lutte contre le changement climatique ». Et c’est un cercle vicieux : « Les femmes étant moins bien représentées dans les négociations, celles qui subissent les conséquences du changement climatique ne reçoivent quasiment rien de l’aide financière internationale », dit Sascha Gabizon. Selon la plateforme Women and Genre Constituency, seul 0,01 % des financements internationaux sont distribués à des projets qui s’occupent en même temps des changements climatiques et des droits des femmes.
D’où l’urgence, pour de nombreuses activistes mobilisées lors de la COP26, « d’instaurer une justice climatique qui prenne en compte le genre », dit Sascha Gabizon. Pour Jennifer Allan, spécialiste des relations internationales sur le climat, « l’action climatique et le combat pour l’égalité des sexes doivent être menés conjointement. Les COP sur le climat vont bien au-delà des négociations techniques. Continuer à marginaliser les femmes dans les négociations internationales signifie que leurs difficultés, leurs préoccupations, mais aussi leurs solutions sont moins prises en compte », a-t-elle dit à Reporterre.
Coalition contre le gaz et le nucléaire, la France à contre-courant de l’action, vers un monde à 2,7 °C… les autres actualités de la COP :
- Une coalition d’investisseurs privés refuse une taxonomie verte européenne incluant le gaz et le nucléaire
Alors que la France se bat toujours pour faire reconnaître le gaz et le nucléaire comme des énergies « vertes » au niveau européen, la Net Zero Asset Owner Alliance, soit un groupe international de 61 investisseurs privés, a annoncé qu’elle mettrait son véto à ce projet. Pour rappel, les membres de cette alliance soutenue par l’ONU ont fait partie des 450 acteurs financiers (représentant 130 000 milliards de dollars d’actifs) qui se sont engagés, la semaine dernière, à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
« L’alliance soutient une taxonomie qui est crédible, utilisable et qui se fonde sur des éléments scientifiques », a-t-elle expliqué dans un document consulté par le média Bloomberg. « L’inclusion du gaz serait incohérente avec le niveau d’ambition élevé porté par l’Union européenne concernant sa taxonomie. » Quant à l’ajout du nucléaire dans classification verte européenne, l’alliance a estimé qu’elle ne pourrait advenir qu’à une condition : « appliquer des critères stricts s’agissant de l’évaluation » de l’absence de dommages significatifs.
Questionnée sur le rôle de la France, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a estimé que le gaz pouvait servir d’énergie de transition dans les pays particulièrement dépendants du charbon, comme la Pologne ou l’Afrique du Sud. « Si vous fermez toutes les centrales à charbon et que n’avez pas suffisamment développé les énergies renouvelables, comment faire pour assurer un approvisionnement en énergie correct dans ces pays tout en leur demandant de baisser drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre dans les dix prochaines années ? Il y a par ailleurs des territoires où des populations entières sont dépendantes de cette économie-là », a-t-elle précisé. La ministre a estimé que le gaz, « moins pire que le charbon », devait être une énergie « transitoire » servant à « compléter les énergies renouvelables ».
- Barbara Pompili refuse un financement spécifique pour les pertes et préjudices

À l’occasion d’une conférence de presse mardi 9 novembre, la ministre de la Transition écologique a estimé que les « pertes et préjudices », ces dommages inévitables causés par des cyclones ou la montée du niveau de la mer, ne devaient pas faire l’objet d’un financement spécifique de la part de la France. La ministre a estimé que ces dégâts étaient déjà couverts par les financements dédiés à « l’adaptation », une stratégie qui doit permettre aux pays les plus touchés de construire des sociétés plus résilientes au changement climatique. « Nous considérons que multiplier les canaux n’est pas forcément le plus efficace. Nous préférons que les pays nous disent ce dont ils ont besoin afin que les financions », a-t-elle jugé. Pour rappel, les pertes et préjudices sont les ravages inéluctables dus au changement climatique que les petits pays insulaires subissent déjà.
- L’Allemagne rejoint la coalition contre le financement des fossiles à l’étranger
Petit à petit, les États européens rejoignent le groupe des pays ayant renoncé à financer les énergies fossiles à l’étranger. Après les Pays-Bas lundi, l’Allemagne est venue mardi apposer sa signature. La semaine dernière à la COP26, au moins dix-neuf pays, dont le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada, se sont engagés à ne plus financer les énergies fossiles à l’international d’ici 2022. La France a fait partie des abonnés absents. Interrogée sur ce point, Barbara Pompili s’est défendue en estimant que l’unique texte contraignant était « celui de l’Accord de Paris », le reste relevant de « campagnes de mobilisation ». La ministre a estimé que la France soutenait le principe d’un arrêt des financements fossiles à l’étranger mais que la date butoir de 2022 ne correspondait « pas tout à fait au tempo » de la France. Pour rappel, le pays n’a prévu de mettre un terme aux financements gaziers qu’en 2035. Mais la ministre reste optimiste sur l’agenda : « Évidemment que cela s’accélérera, on ne peut pas imaginer que l’on reste avec la date de 2035 sur le gaz. »
- Un monde à + 2,7 °C
On est loin de l’optimisme de l’Agence internationale de l’énergie. Alors que l’AIE prévoyait la semaine dernière que l’on pourrait rester à un réchauffement de + 1,8 °C, le groupe de recherche Climate Action Tracker (CAT) a révélé mardi 9 novembre un tableau beaucoup plus sombre. Quand bien même les contributions nationales déterminées (CND) pour 2030 seraient véritablement tenues, le monde se dirigerait tout de même vers un réchauffement à + 2,4 °C d’ici la fin du siècle. Pire, en regardant en détail les politiques véritablement mises en place, la température pourrait augmenter de + 2,7 °C d’ici 2100. « À mi-parcours, la COP26 souffre d’un manque criant de crédibilité, d’action et d’engagement », a dit le CAT.