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À la manifestation contre le passe sanitaire : « On est infantilisés et on bafoue nos libertés »

La seconde manifestation contre le passe sanitaire a réuni une foule hétéroclite avec beaucoup de primo-manifestants qui scandaient leur opposition à la politique d’Emmanuel Macron.

Paris, reportage

Il est à peine 14 heures, samedi 24 juillet, sur la place de la Bastille à Paris. Le projet de loi de gestion sanitaire ne doit être adopté que dimanche soir par les parlementaires (voir l’encadré « Que dit le texte de loi final ? »), mais quelques centaines de personnes très ponctuelles sont rassemblées pour s’opposer au passe sanitaire imposé par le gouvernement le 21 juillet dernier. Elles s’élancent au pas de course vers le boulevard Beaumarchais, direction République. La foule est très hétéroclite : pas mal de Gilets jaunes, qui sont en partie à l’origine de cet appel à rassemblement, mais surtout des citoyens lambda, jeunes ou moins jeunes, seuls ou en famille, souvent primo-manifestants, non encartés dans un parti politique ou dans un syndicat. Tous scandent en cœur le même mot d’ordre : « Liberté, liberté. »

Mais au-delà de leur opposition au passe sanitaire, ils veulent surtout affirmer leur exaspération à l’encontre de la politique d’Emmanuel Macron. Une colère déjà présente lors de la première mobilisation le 17 juillet dernier, qui avait réuni 114 000 personnes selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Ce samedi, ils étaient encore plus nombreux : près de 161 000 personnes pour 168 manifestations dans toute la France.

161 000 personnes se sont réunies samedi 24 juillet dans toute la France pour s’opposer au passe sanitaire. © Tiphaine Blot/Reporterre

Au sein du cortège parisien, Jean-Michel, 76 ans, hurle des insultes contre certains membres du gouvernement dans son mégaphone. Gilet jaune sur le dos et vieille casquette de l’Union soviétique sur la tête, l’homme n’est pas vacciné et dit qu’il ne le sera jamais. « Je n’aime pas que l’on me donne des ordres et puis de toute façon, le vaccin ne sert à rien », assure-t-il. Pour nous convaincre, il sort de sa poche plusieurs petites fiches roses sur lesquelles il a inscrit divers chiffres, comme le nombre de personnes qui seraient décédées suite à des injections. Une information sujette à discussion [1], mais qu’importe : Jean-Michel fait plus confiance à ses chiffres, glanés au gré de ses pérégrinations sur internet, qu’aux autorités médicales et politiques.

Cette défiance, on la retrouve chez Lina, 25 ans, qui porte un panneau « Black Mirror, c’était sensé (sic) rester sur Netflix ». Elle manifeste pour la seconde fois de sa vie car « de la démocratie à la dictature, il n’y a qu’un pas », assure-t-elle. Souffrant de fibromyalgie, elle ne compte pas se faire vacciner car elle craint pour sa santé, estimant manquer de recul sur les conséquences du vaccin. « Les gens doivent pouvoir faire un choix éclairé sur les risques et les bénéfices pour chacun. Mais aujourd’hui, ils sont désinformés alors qu’ils souhaiteraient être rassurés. »

Lina, 25 ans, souffre de fibromyalgie. Faute de certitudes quant aux conséquences du vaccin sur sa santé, elle refuse de se faire vacciner. © Tiphaine Blot/Reporterre

Des soignants pointent les contradictions du gouvernement et le saccage de l’hôpital public

Cette suspicion revient chez quasiment toutes les personnes interrogées. Même parmi le personnel soignant, comme Johanna, qui travaille dans une structure pour personnes en situation de handicap dans l’Oise. « Depuis le début de l’épidémie, on est allé de contradiction en contradiction. Au début le masque était inutile. Puis, il est devenu obligatoire. Ensuite, nous les soignants, on a été obligés de venir travailler même si on était malades. Et aujourd’hui, on voudrait nous stigmatiser si on ne se fait pas vacciner. On est juste infantilisés et en plus, on bafoue nos libertés », explique-t-elle. Son compagnon, Morgan, avait déjà participé à la manifestation du 17 juillet sans être gêné par la présence de l’extrême droite. « On est ni de droite ni de gauche, on vient juste défendre notre consentement. Cette révolte est légitime, il faut savoir la comprendre. On nous parle de gens qui sont complotistes, mais moi, je suis simplement ici pour ma liberté. »

Un peu plus loin, un groupe de femmes soignantes ont tagué leurs blouses blanches. Angélique, qui travaille à l’hôpital de Dreux, a participé à de nombreuses mobilisations pour défendre l’hôpital public et se dit aujourd’hui particulièrement remontée. « Avant d’obliger les gens à se faire vacciner, il faudrait d’abord arrêter de fermer des lits et de saccager l’hôpital public. » Elle assure ne pas être anti-vaccin « sinon, ni ma fille ni moi ne serions vaccinées et nous vivrions au fond d’une grotte », mais n’a pas confiance dans celui contre le coronavirus. « J’attends d’être convaincue. Et surtout, que les députés se fassent aussi vacciner et soient soumis au passe, comme tout le monde. »

Des soignantes dénoncent l’obligation vaccinale, le passe sanitaire, mais surtout le saccage de l’hôpital public. © Tiphaine Blot/Reporterre

Les soignants ne sont pas la seule profession présente dans le cortège. Karine est pompier volontaire dans le Loiret. Elle est venue en uniforme manifester pour la première fois de sa vie car elle estime intolérable qu’on touche à sa liberté, tout en se désolant de la couverture médiatique des précédentes mobilisations. « Cela voudrait dire que nous sommes des milliers à ne pas comprendre grand-chose ? Je pense surtout que cultiver la peur chez les gens, cela permet de mieux les manipuler. » Sept syndicats représentatifs des sapeurs-pompiers ont demandé le retrait, pour leur profession, de l’obligation de la vaccination. 

Défiance envers le vaccin

Le décret d’application promulgué par le gouvernement le 19 juillet dernier permettait aux entreprises de licencier les salariés récalcitrants. Si le Sénat a tempéré cette mesure le dimanche 25 juillet, cela n’a pas empêché les manifestants d’être très inquiets. « Les représentants syndicaux, où sont-ils ? Ce passe va pourtant s’attaquer au droit du travail ! » tempête Angélique, la soignante de Dreux.

Pourtant, aucun ballon de la CGT ne flottait au-dessus du cortège. Aucun drapeau de syndicat ou de parti n’était visible, sauf celui d’Alexandre [*], qui portait les couleurs de la Confédération nationale du travail (CNT). Ce militant habitué des mouvements sociaux s’est senti à l’aise tout au long du parcours. « Ce n’est pas une manifestation de complotistes. Les gens ont simplement peur et sont perdus. Mais ils sont bien conscients que pendant qu’on ne fait que parler du passe sanitaire, il y a un recul social sans précédent avec la réforme du chômage et des retraites. La crise sanitaire sert de prétexte pour mettre en place un panel de mesures sociales et liberticides qui remettent dangereusement en question le Code du travail et les travailleurs vont s’en prendre plein la figure. »

Beaucoup de manifestants ont raconté leur peur à l’encontre du vaccin. © Tiphaine Blot/Reporterre

Au milieu de l’après-midi, le cortège marque une pause au croisement du très chic boulevard de Courcelles, dans le 8e arrondissement. Deux femmes, la soixantaine élégante, regardent passer les manifestants avec bienveillance. Elles sont vaccinées, mais assurent comprendre leurs inquiétudes à propos du passe sanitaire. « C’est vrai que c’est un peu gênant, car certains ne pourront plus faire des choses, comme aller au restaurant », concède la première. « Certes, mais sans vaccin on ne va jamais s’en sortir », lui rétorque son amie.

Alors que la foule reprend son chemin vers la porte de Champerret, l’objectif officiel de cette marche, beaucoup tentent de s’échapper en manifestation sauvage sur les Champs-Élysées, tout proches. Certains groupes réussissent à passer les barrages des forces de l’ordre et à bloquer la circulation sur la célèbre avenue. Ils seront dispersés à coup de canons à eau et de lacrymogènes. Un épisode qui n’est pas sans rappeler les débuts du mouvement des Gilets jaunes. Certains n’hésitent pas à dresser le parallèle comme Gilles, un militant de longue date. S’il est resté en retrait au début du cortège, craignant de défiler avec l’extrême droite, il a rapidement rejoint les rangs. « Les gens sont globalement venus contre les injonctions de Macron et le flicage généralisé, pas contre le vaccin. Même si parfois, ce n’est pas forcément très clair dans leur esprit. Certains sont même persuadés que le Covid n’est pas dangereux. » Il espère que cette mobilisation, d’une envergure inhabituelle en cette période estivale, se poursuivra à la rentrée et tissera des connexions avec le mouvement social « ce qui permettrait d’éviter les dérives complotistes », assure-t-il.

À la fin de la manifestation, certains participants sont partis en manifestation sauvage sur les Champs-Élysées. © Tiphaine Blot/Reporterre

Place du Maréchal Juin, au métro Pereire, ceux qui n’ont pas envie de jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre décident d’en rester là, fatigués par la chaleur et les 7 kilomètres déjà parcourus. John et Mathias, membres du parti La Gauche révolutionnaire, tentent d’écouler les derniers numéros de leur journal L’Égalité. « Au début, on avait un peu hésité à sortir le journal. Et très rapidement, on s’est sentis en accord avec les slogans qu’on lisait sur les pancartes », explique John. Pour eux, cette manifestation est une illustration de la lutte des classes. « Avec ce passe sanitaire, Macron veut diviser les travailleurs en créant de la méfiance. Et cela va aussi permettre la répression dans les quartiers populaires, comme cela a été le cas avec les attestations pendant les confinements. » Il estime également que cette obligation vaccinale est totalement contre-productive : « Même l’OMS estime que ce n’est pas sous la contrainte qu’on va convaincre les gens. Il faudrait plutôt créer des équipes sanitaires pour faire du porte-à-porte et expliquer les choses. »

Pendant ce temps, de l’autre côté des Champs-Élysées, Florian Philippot, l’ancien numéro deux du Front national, a rempli l’esplanade du Trocadéro, haranguant la foule à coup de « Macron démission » et appelant au boycott du passe sanitaire et des lieux qui l’appliquent. « Cela faisait des années que je n’avais plus entendu parler de lui. Il en profite pour récupérer ce mouvement, confie Gilles. Je pense qu’il faudrait avoir plus de gens de gauche dans ces manifestations avec un discours sensé sur les vaccins et un discours anti-répressif qui s’oppose au flicage généralisé. » De quoi ne pas laisser cette colère populaire tomber dans l’escarcelle de l’extrême droite.

  • Regarder notre reportage photographique de la manifestation


QUE DIT LE TEXTE DE LOI FINAL ?

Dimanche 25 juillet, députés et sénateurs, réunis en commission mixte paritaire, ont adopté le projet de loi de gestion de crise sanitaire. Le texte prévoit l’obligation vaccinale pour les soignants, pompiers et professionnels travaillant auprès des personnes âgées, l’obligation de présenter un passe sanitaire pour accéder à de nombreux lieux et événements (restaurants, foires et salons, établissements médicaux, transports publics pour les longs trajets) et un isolement strict de dix jours pour les personnes testées positives au Covid-19. Si ses grands principes de la loi ont été conservés (voir l’encadré de Reporterre « Que dit le texte de loi ? » dans l’article « Le passe sanitaire, un pas de plus dans “l’autoritarisme” et la “société du contrôle” »), le texte a été quelque peu modifié depuis son vote par les députés, vendredi 23 juillet. Ainsi, la date de sortie de l’état d’urgence sanitaire a été fixée au 15 novembre, là où le gouvernement et les députés l’envisageaient au 31 décembre (et les sénateurs au 31 octobre). Le passe sanitaire ne sera pas automatiquement exigé à l’entrée des centres commerciaux, à moins que le préfet ne l’exige.

S’ils risquent toujours de voir leur contrat de travail et leur rémunération suspendus, les salariés en CDI qui ne présenteraient pas de passe sanitaire pendant plus de deux mois ne seront plus licenciés ; mais la possibilité de licencier un salarié en CDD ou en contrat de mission qui n’aurait pas de passe sanitaire a été maintenue. Les établissements qui ne respecteraient pas les nouvelles règles ne feront plus l’objet de sanctions pénales mais seront mis en demeure par l’autorité administrative, puis le lieu pourra être fermé pour sept jours maximum ; en revanche, si plus de trois manquements sont constatés en quarante-cinq jours, la sanction d’un an d’emprisonnement et 9.000 euros d’amende est maintenue.

Les mineurs de plus de douze ans, qui pour rappel sont exemptés de passe sanitaire jusqu’au 30 septembre, n’auront plus besoin que de l’autorisation d’un seul titulaire de l’autorité parentale — et non des deux comme le prévoyaient les députés — pour se faire vacciner ; les mineurs âgés de plus de seize ans pourront décider seuls de leur vaccination. Les personnes à l’isolement seront contrôlées par des agents de l’Assurance maladie et non plus par les forces de l’ordre.

Ce projet de loi devrait entrer en vigueur début août. Le Conseil constitutionnel, qui doit être saisi par le Premier ministre, Jean Castex, et par les groupes parlementaires de gauche, devrait rendre sa décision le 5 août.

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