Agriculteurs et écolos replantent des haies pour sauver les oiseaux

Des jeunes en décrochage scolaire aident à planter cette haie qui pourra, dans quelques années, abriter des oiseaux comme la pie-grièche. - © Moran Kerinec / Reporterre
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Nature Alternatives AnimauxPour préserver la pie-grièche et d’autres espèces, la Ligue pour la protection des oiseaux organise des plantations de haies en Haute-Loire. Habitants et jeunes en décrochage scolaire participent à ces chantiers collectifs pour la biodiversité.
Freycenet-la-Tour (Haute-Loire)
Genoux au sol, mains dans la terre, Ethan est concentré sur l’arbrisseau qu’il plante. L’adolescent tasse la terre, vérifie que les racines sont bien enfoncées, arrose. Autour de lui, d’autres petites mains s’activent. Les uns après les autres, les jeunes plants s’alignent : poirier sauvage, églantier, cassissier, groseillier, aubépine, alisier blanc. Sur les troncs nus, les bourgeons attendent encore le bon moment pour éclore. « On alterne un buisson bas et un arbre qui prendra de la hauteur », décrit Sébastien Nottelet, le coordinateur du jour, chargé de mission à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de Haute-Loire. « Avoir à la fois de la densité en bas et en hauteur va permettre à la haie de faire coupe-vent. »
En cette mi-avril, le soleil brille enfin sur la Haute-Loire, un léger vent rafraîchit ses ardeurs, quelques nuages ponctuent le ciel bleu. Au milieu des prairies bordées d’arbres, cinq jeunes de 16 à 17 ans sont présents, ainsi que leurs animateurs. En décrochage scolaire, ils font partie d’un programme spécifique d’accompagnement de la jeunesse [1]. Au programme, participation à un chantier de plantation de haies organisé par la LPO. Soixante-dix arbres, un arbre par mètre, doivent être plantés en bordure du verger et du potager municipaux de Freycenet-la-Tour.

Quelques habitants de la commune sont également venus prêter main forte. Manon Mouret, première adjointe, saisit un plant : « Entre les racines et le futur tronc, vous avez le collet. Quand vous plantez, il doit être juste au niveau de la terre. »
« Au départ, quand on m’a dit “terres, arbres”, j’avais l’impression que ça allait être dur », commente Léa, 17 ans. « Mais, pour sauver les animaux, je suis toujours présente. » Elle a retenu l’objectif principal de l’opération : replanter des haies contribue à protéger les pies-grièches.

« Il y a un fort déclin des populations depuis les années 1960, depuis que l’agriculture a commencé à s’intensifier », déplore Sébastien Nottelet. La pie-grièche aime particulièrement les milieux alternant haies, bosquets et prairies fleuries : elle nidifie dans les arbres, et se perche en bordure des espaces dégagés pour chasser insectes et campagnols. Mesurant entre 17 et 26 cm selon les espèces, un masque noir sur les yeux, le bec recourbé, l’oiseau a des allures de petit rapace. Et une habitude marquante : il empale ses proies aux épines des arbres. Une façon de pouvoir les dépecer plus facilement, ou de se constituer une sorte de garde-manger appelé « lardoir ». C’est aussi une migratrice qui ne vient sous nos latitudes que pour nidifier au printemps, sauf pour la pie-grièche grise, aussi présente en hiver.

Mais la disparition des haies et arbres des prairies, et des insectes dont elle se nourrit, en ont fait un oiseau de plus en plus rare dans l’Hexagone. Six espèces étaient présentes encore récemment en France métropolitaine [2]. Elles ne sont plus que cinq depuis l’an dernier. La pie-grièche à poitrine rose (Lanius minor), ne niche plus chez nous. La prochaine sur la liste pourrait être la pie-grièche grise (Lanius excubitor), classée en danger sur la liste rouge française des espèces menacées. Le bilan du plan national d’action pour les pies-grièches comptait à peine plus de 1 000 couples de cette espèce en 2021. 85 % d’entre eux logent dans le Massif central.

La région Aura est donc en première ligne pour la préservation des pies-grièches. La LPO Auvergne Rhône-Alpes concentre son action sur les trois espèces présentes sur son territoire : pie-grièche grise, à tête rousse (lanius senator) et écorcheur (lanius collurio). Cette dernière n’est pas encore considérée comme menacée. Ses consœurs sont moins en forme : « La pie-grièche grise et la pie-grièche à tête rousse souffrent d’une réduction drastique de leurs effectifs, ainsi que d’une contraction inquiétante de leurs aires de répartition », explique la LPO. La pie-grièche grise ne se trouve presque plus que dans le Massif central, « alors qu’elle nidifiait dans quasiment toute la France ». Quant à la pie-grièche à tête rousse, « on observe une contraction vers le Sud-Est qui s’opère depuis environ un siècle, avec une nette accélération depuis les années 1960. »
Dialogue avec les agriculteurs
Pour tenter d’enrayer le déclin, la LPO Auvergne-Rhône Alpes a tout un programme, d’abord auprès des agriculteurs. Limiter les déchets plastiques, qui, emportés dans les nids, étranglent les oisillons ; réduire les traitements antiparasitaires des bêtes « car on les retrouve dans les bouses de vaches, cela tue les insectes qui mangent ces bouses, et donc cela fait moins de proies pour les pies-grièches », dit Sébastien Nottelet ; favoriser « des prairies diversifiées au niveau de leur flore, donc une diversité d’insectes, donc une quantité de nourriture plus importante pour les oiseaux », poursuit-il. Et surtout, planter des arbres et les haies dans les champs, un habitat indispensable pour elles.

La LPO contacte agriculteurs et communes, fournit gratuitement les arbres, propose des essences adaptées à chaque cas, et organise le chantier si l’agriculteur ne plante pas lui-même. Voici comment la commune de Freycenet-la-Tour l’a sollicitée. Autour de nous, le paysage semble encore relativement préservé, les haies nombreuses. « Mais les agriculteurs voient la haie comme une contrainte, parce qu’il faut l’entretenir », note Manon Mouret, première adjointe de la commune. « Ici, on est assez protégés, mais cela pourrait vite basculer. Il est important de bien informer tout le monde [de l’intérêt des haies]. »
La LPO met donc habilement en avant l’intérêt agronomique des haies : brise-vent, ombrage pour les bêtes, lutte contre l’érosion des sols, abri pour les rapaces et autres prédateurs chasseurs de campagnols qui envahissent les champs… « La pie-grièche est une “espèce parapluie” », explique Sébastien Nottelet. « On met en place des mesures de conservation, qui profitent à plein d’autres espèces qui vivent dans ces paysages agricoles de prairies. C’est un bon prétexte pour travailler de manière plus globale pour la biodiversité des milieux agricoles. »

Les haies sont un abri, un habitat, ou un lieu de circulation à l’abri des prédateurs pour beaucoup d’animaux. Le naturaliste liste des oiseaux : chardonneret élégant, bruant jaune, linotte mélodieuse, serin cini. « Tous sont en déclin », précise-t-il. Des mammifères : hérisson, belettes, hermine. Des reptiles : vipère aspic, lézard vert. Mais aussi « la plupart des espèces d’amphibiens qui vont hiverner dans la haie ou les murets associés, comme le crapaud commun, la salamandre tachetée. Du côté des plus gros oiseaux, on trouve aussi la chevêche d’Athéna, une chouette qui peut nicher dans les vieilles haies. »
« Si on ne les entretient pas, elles peuvent disparaître »
Autant d’espèces mises en difficulté par la disparition des haies. On est passé de 2 millions de kilomètres de haies au début du XXᵉ siècle à 566 000 kilomètres en 2006, relève une étude de synthèse. Soit une diminution de 70 %. L’apogée du défrichage a eu lieu dans les années 1960 à 1980. Cela s’est depuis ralenti, et l’arrachage des haies est désormais strictement encadré. « Mais il y a des destructions sans autorisation, l’urbanisation, et un vieillissement des haies », note Sébastien Nottelet. « Si on ne replante pas les arbres, si on ne les entretient pas, elles peuvent disparaître. » Il participe donc modestement à ce travail de fourmi. Depuis 2020, la LPO a planté en Haute-Loire 4,2 kilomètres de haies en vingt lieux différents. « Et on ne peut pas satisfaire toutes les demandes », constate-t-il.

« Je ne pensais pas qu’une haie pouvait être aussi importante », reconnaît Léa. La plantation avance vite. Une deuxième ligne est démarrée en bordure du potager. La motivation des jeunes faiblit. Ça chahute, ça se taquine. « Le travail d’équipe, c’est cela qu’on aime ! » s’esclaffe Doniel, vêtu d’une combinaison de travail bleu pétard. L’adolescent prend les choses en main, tire la bâche pour éviter que poussent les herbes folles au pied des jeunes arbres. Cette fois-ci, des saules sont plantés : on se situe en bordure d’un ruisseau. « Je kiffe parce que j’aime les plantations, les espaces verts », se réjouit-il. Son camarade Damien, nonchalamment appuyé sur une bêche, le regarde s’activer.
Les têtes se relèvent, contemplent le travail accompli. Les pousses sont encore chétives. « Il faudra que vous reveniez voir quand ça aura poussé », propose Manon Mouret à la jeune bande. Avant de pouvoir y observer des pies-grièches, la patience est nécessaire : « Il faut attendre quatre à cinq ans pour constater les premiers effets des haies, et dix à quinze ans pour qu’elles remplissent toutes leurs fonctions écologiques », dit Sébastien Nottelet.
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