Agriculture : « La question des prix est fondamentale »

Des légumes à Monoprix, en 2016. - © Christophe Archambault/AFP
Des légumes à Monoprix, en 2016. - © Christophe Archambault/AFP
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Agriculture PolitiqueLes députés discutent aujourd’hui à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi « visant à protéger la rémunération des agriculteurs ». Dans cet entretien, Vincent Chatellier explique que ce texte ne réglera pas la question des revenus et des prix agricoles, tant la question est complexe.
Mettre fin à la « guerre des prix », améliorer le revenu des agriculteurs : ce sont les ambitions de la proposition de loi « visant à protéger la rémunération des agriculteurs », discutée jeudi 24 juin par les députés. « Il est temps de mettre plus d’authenticité dans la définition d’un prix juste et éthique entre le monde agricole, l’industrie agroalimentaire et les acteurs de la grande distribution », annonce-t-elle en préambule.
Le gouvernement avait déjà adopté, en octobre 2018, la loi Égalim, qui affichait les mêmes objectifs. Force est de constater, deux ans plus tard, que l’exécutif se sent contraint de corriger le tir, ou plutôt d’accentuer le trait, les premières mesures n’ayant pas eu l’effet escompté. La nouvelle loi, sorte d’Égalim no 2, prévoit donc désormais de rendre obligatoires les contrats entre les producteurs et le premier acheteur. Elle interdit à cet acheteur d’inclure dans les négociations avec les intermédiaires suivants le prix de la matière première agricole. Elle crée aussi un comité qui pourra sanctionner les acteurs qui ne respecteraient pas ces nouvelles règles de contractualisation.
De nouvelles règles qui resteront insuffisantes, selon la Confédération paysanne, qui estime que le rapport de force entre petits producteurs et géants de l’agroalimentaire restera toujours aussi déséquilibré. « Rien n’empêchera aux industriels d’imposer des prix bas à leurs fournisseurs paysans afin d’accroître leurs marges », estime le syndicat dans un communiqué.
Bref, le fond de l’affaire, c’est-à-dire le revenu paysan et l’achat des produits agricoles à des prix justes, risque de ne pas être réglé par cette nouvelle loi. C’est que le problème est extrêmement complexe, explique Vincent Chatellier, économiste spécialiste du revenu paysan à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).
Reporterre — Où en est aujourd’hui le revenu des agriculteurs ?
Vincent Chatellier — Tout d’abord, il ne faut pas confondre le revenu des ménages agricoles et le revenu de l’exploitation. Ce dernier ne dit pas le niveau de vie d’un agriculteur. Sa femme peut être pharmacienne, ou il peut avoir eu gratuitement sa maison parce que c’est celle de sa grand-mère. Donc, on peut avoir un revenu peu élevé en agriculture tout en ayant un standard de vie convenable. Je me méfie des comparaisons misérabilistes entre les actifs lambda et les agriculteurs.
Après, il ne faut pas oublier que l’agriculteur dégage un revenu, mais capitalise aussi. Certaines exploitations dégagent un revenu faible, mais si on regarde le patrimoine de celui qui la dirige, ça va. Certains agriculteurs ne prélèvent pas grand-chose en revenu, parce qu’ils n’en ont pas besoin. Ils réinvestissent dans leur ferme.
Enfin, les revenus sont très hétérogènes selon les régions et les secteurs productifs. Là où les revenus sont les moins bons, c’est en élevage bovin viande. Dans le secteur de l’horticulture ou le secteur porcin, certains revenus sont très élevés. Dans le nord de la France, les revenus de grande culture sont aussi meilleurs. Il y a de telles différences que dire « les agriculteurs » est un langage trop globalisant. En fait, on peut estimer que 30 % des exploitations agricoles en France sont dans une situation économique tendue. Mais c’était déjà vrai il y a 25 ans. Il y a toujours eu une fraction des agriculteurs qui ne gagnaient pas leur croûte. Et d’une année à l’autre, ce ne sont pas les mêmes. Selon les filières, les chocs climatiques par exemple.
Les agriculteurs ont-ils alors raison de mettre en avant un problème de revenus ?
Oui, parce que c’est une activité prenante, où les niveaux de prélèvement privés, c’est-à-dire ce qu’ils s’autorisent à prendre pour faire vivre leur famille, n’est pas élevé.
Et puis, le revenu moyen des exploitations agricoles, lui, a bien un problème : il n’a pas beaucoup augmenté alors que les exploitations ont grandi depuis dix ans. Donc, il faut travailler plus pour gagner autant. Et le deuxième problème, c’est que ce revenu est très dépendant des aides de la Politique agricole commune (PAC). En moyenne française, elles représentent 77 % du revenu des agriculteurs, d’après nos calculs sur une période de dix ans. Donc on comprend qu’ils se disent : « On travaille de plus en plus sans voir augmenter nos revenus, et on est dépendant des aides alors que l’on voudrait vivre de la vente de nos produits. »

Est-il donc nécessaire de légiférer sur la question des prix payés aux producteurs ?
Oui, il faut se poser cette question des prix pour au moins trois raisons.
La première, c’est qu’un renouvellement générationnel va être très important dans les dix ans à venir. Si on souhaite que les jeunes reprennent les outils de production, qu’ils puissent racheter les fermes, il faut qu’ils gagnent leur vie, et donc avoir de bons prix. C’est une responsabilité collective que l’on a.
La deuxième raison est que l’on souhaite que l’agriculture soit davantage compatible avec les exigences environnementales. Cela demande un effort technique et une prise de risque des agriculteurs. Pour accompagner ce mouvement là, la question des prix est fondamentale. Si on ne reconnaît pas, par exemple, que l’on produit en France la viande bovine dans de meilleures conditions qu’en Amérique, on tue le match.
Et puis le troisième défi au niveau des prix, c’est que les agriculteurs sont bien plus dispersés que la grande distribution. Donc on peut imaginer un monde dans lequel la grande distribution exige sans arrêt des baisses de prix. Cela amène le système agricole vers des pratiques moins-disantes.
Les politiques publiques ont une responsabilité sur cette notion de prix, parce que c’est ce qui permet de transformer l’agriculture, de l’adapter, de la pérenniser.
La nouvelle proposition de loi débattue aujourd’hui par les députés est-elle à la hauteur de ces enjeux ?
La première loi Égalim a été un échec. Pour l’instant, les agriculteurs n’ont pas vu la couleur des améliorations annoncées. Le président de la République dit que la loi Égalim marche dans le secteur laitier. Mais le secteur laitier va mieux parce que la conjoncture internationale s’améliore, cela n’a rien à voir avec les Égalim.
Ils ont quand même pris acte que la loi avait des défaut, c’est très bien. Mais ils sont en train de mettre un coup de sparadrap dans la perspective de la présidentielle, histoire de dire qu’ils s’en occupent, alors qu’il manque encore un bilan scientifique de cette loi permettant d’évaluer ce qui a fonctionné ou pas.
Je ne pense pas qu’on puisse dire que cette loi Égalim numéro deux va être la solution. J’attends de voir l’an prochain, quand on pourra faire un premier retour d’expérience.