Après Sainte-Soline, Loïc, poète maraîcher, risque 7 ans de prison

Le maraîcher Loïc Schneider (ici en 2020) risque sept ans de prison pour sa participation au rassemblement contre les mégabassines. - © Franck Dépretz / Reporterre
Le maraîcher Loïc Schneider (ici en 2020) risque sept ans de prison pour sa participation au rassemblement contre les mégabassines. - © Franck Dépretz / Reporterre
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Luttes Justice Mégabassines Libertés Soulèvements de la TerreIncarcéré depuis le 20 juin pour sa participation à la manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline, le maraîcher Loïc Schneider risque sept ans de prison. Portrait d’un militant total, qui garde son « âme d’enfant ».
Le mouvement écologiste traverse une semaine éprouvante : après les arrestations et perquisitions menées par la sous-direction antiterroriste (Sdat) mardi et la dissolution des Soulèvements de la Terre mercredi, deux militants ont été incarcérés jeudi 22 juin. L’un a été condamné à dix mois de prison ferme et l’autre devra rester en détention provisoire d’ici à son procès, le 27 juillet. Ce dernier se nomme Loïc Schneider. C’est un poète et maraîcher de 28 ans, que Reporterre avait rencontré en juillet 2020. Il risque sept ans de prison pour avoir participé à la manifestation de Sainte-Soline, le 25 mars dernier.
Le maraîcher est suspecté d’avoir « fait partie des groupes actifs de la manifestation ayant pour objectif de dégrader la réserve de substitution (…) et de commettre des violences sur les militaires de la gendarmerie ». La justice estime également qu’il a pu inscrire les lettres « ACAB » (ce qui signifie « all cops are bastards », « tous les flics sont des bâtards ») sur un des camions qui a brûlé et aurait « sciemment recelé une veste de gendarmerie volée dans un des camions ». Pour l’heure, Loïc garde le silence sur les faits reprochés.
Le jour du « coup de filet », le jeune homme se trouvait à Montiers-sur-Saulx (Meuse), près de Bure (Meuse), où il réside. Aux alentours de 8 h 40, vingt-deux gendarmes du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) ont fait irruption dans le petit chalet de jardin, 9 m2 chichement aménagé avec un matelas et une table, où il dormait avec sa compagne, Manon.
« C’était d’une brutalité inouïe »
« Quand ils ont défoncé la porte, je venais d’entendre des bruits inhabituels et j’essayais de réveiller Loïc », témoigne la jeune femme. Le souvenir est encore vif. Sa voix se tord. Parce qu’en un rien de temps, elle a senti les militaires fondre sur eux. « C’était d’une brutalité inouïe : ils nous ont attrapés, puis jetés par terre. » En caleçon, Loïc Schneider n’a opposé aucune résistance. Il a été menotté et maintenu au sol. « Des armes et de la lumière étaient braquées sur sa tête, souffle Manon. Avec mes pieds, je parvenais à le toucher et je tentais de le caresser pour le rassurer. »
Sur la propriété, il y a aussi Johan, colocataire et ami de Loïc, qui occupe la maison attenante. Lui aussi a eu droit au réveil en fracas. « C’était tout pour le spectacle : ils portaient des cagoules, des casques, des protections pare-balles et certains avaient des boucliers », relate-t-il. Il a été mis en joue par trois militaires. « À ce moment-là, je croisais les doigts pour qu’ils n’éternuent pas, ironise-t-il. J’avais l’impression d’être dans le film Léon, quand Léon est assiégé. Sauf que je ne suis pas Léon. »
« Ils n’ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient, visiblement des vêtements »
Pendant près d’une heure, la propriété a été perquisitionnée, « assez grossièrement », observe Johan. Les agents ont saisi le téléphone de Loïc. « Mais ils n’ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient, visiblement des vêtements ». En revanche, se remémore le colocataire, « Loïc a pris le temps d’expliquer que les petites graines qui tombaient des poches de son pantalon, c’étaient des graines de framboisiers, qu’il plante partout. Il est comme ça, toujours à chercher une lueur d’humanité chez les gens qu’il croise, même dans ces conditions. » « Il trimballe toujours son âme d’enfant », complète Manon, attendrie.
C’est le début d’un long transfert. Le maraîcher a été conduit chez ses parents en périphérie de Nancy, où les gendarmes ont procédé à une deuxième perquisition. Il a ensuite été emmené à la gendarmerie de Revigny-sur-Ornain, avant d’être transféré à 550 kilomètres de chez lui, à la maison d’arrêt de Poitiers (Vienne), comme quatre autres militants. Déjà condamné par le passé, il a été déféré au parquet de Niort (Deux-Sèvres), qui a ordonné jeudi 22 juin son placement en détention provisoire à Poitiers.

Une décision « purement politique », dénonce Maître Hanna Rajbenbach, avocate au barreau de Paris. « Mon client présentait toutes les garanties pour être laissé en liberté », assure-t-elle. « En instrumentalisant l’antiterrorisme, Gérald Darmanin cherche à le faire passer pour quelqu’un de dangereux et à justifier la dissolution des Soulèvements de la Terre », dit Me Christophe Sgro. L’avocat au barreau de Nancy, qui le représentait durant sa garde à vue, affirme « ne pas comprendre comment l’autorité judiciaire peut tomber dans ce panneau ».
Après l’audience, Me Hanna Rajbenbach a immédiatement demandé la remise en liberté de Loïc, qui sera examinée le jeudi 29 juin — par le même procureur. Elle a aussi fait appel : cette procédure sera étudiée sous vingt jours.
Une décision « purement politique »
Libre ou pas, Loïc Schneider sera jugé le 27 juillet. Contactés par Reporterre, ses amis expriment leur inquiétude et leur colère face à la répression « brutale » que leur camarade subit. Et dont il possède, depuis près de huit ans, une longue expérience.
Un militant antinucléaire de longue date
Dès 2015, alors âgé de 20 ans, il a bloqué avec deux camarades les sites Internet de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), de Cigéo, du conseil général de Meuse ou encore du conseil régional de Lorraine. Il dénonçait alors le gaspillage d’argent public et le déni de démocratie liés au projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Meuse). Il avait été condamné à quatre mois de prison avec sursis et 5 000 euros de dédommagement collectif.
En février 2017, il a manifesté au sein du cortège de 400 personnes qui a fait tomber les grilles de l’écothèque de l’Andra. Il a été arrêté et inculpé pour participation masquée à un attroupement, dégradation ou destruction des grilles et rébellion. Devant le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc (Meuse), le 6 juin suivant, il a cité le philosophe Henry David Thoreau : « Je rêve d’un peuple qui commencerait par brûler les clôtures et laisser croître les forêts ! » Suite à ce procès, il a écopé de 4 mois de prison avec sursis.
La même année, il a participé aux manifestations contre le G20 à Hambourg (Allemagne). Il a été accusé d’avoir lancé un pétard dans une banque et de faire partie des quelque 220 personnes portant des cagoules noires qui ont mis le feu à des voitures et à des bâtiments sur l’Elbchaussee le matin du 7 juillet 2017. Un mandat d’arrêt européen a été émis contre lui alors qu’il avait cavalé jusqu’à la zad de Notre-Dame-des-Landes. Il a finalement été arrêté en août 2018, à Nancy, où il était rentré pour fêter son anniversaire avec sa famille. Renvoyé en Allemagne, il a été condamné à trois ans de prison ferme et a passé seize mois derrière les barreaux.
« Loïc, c’est la nature qui se défend »
« Loïc, c’est la nature qui se défend, quitte à affirmer une certaine détermination dans ses actes, résume Angélique Huguin, membre de la coordination Stop Cigéo avec lui. Il a pris conscience très tôt du drame que l’humanité vivait à travers la catastrophe écologique et les injustices sociales. Il est prêt à mettre son corps entre la machine qui nous détruit et le vivant qu’il protège. »
Après son passage en prison, il est revenu à Bure et a continué de militer. Il cumule aussi deux emplois à mi-temps. Le premier avec la coopérative les Semeuses, où il cultive les terres confisquées par le nucléaire. Le second dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Son engagement venait d’être reconnu par le juge d’application des peines de Nancy, qui l’a placé en liberté conditionnelle vendredi 16 juin.

« Il restait un reliquat de peine concernant le G20, et après cette audience, il était pratiquement libre comme l’air », dit Me Christophe Sgro. Le juge nancéien avait même décidé de ne pas suivre une demande du parquet, qui voulait l’interdire de manifester pendant un an. « Ça sentait plutôt bon, il se projetait de nouveau dans sa vie, dit Camille [1], un ami proche. Ma crainte, c’est que cet épisode lui remette un coup… mais on sera toujours là. »
« On le voit à travers son histoire, la répression ne l’a jamais dissuadé de défendre chèrement ses idées » dit Me Hanna Rajbenbach, qui l’a trouvé « combatif ». Dans un communiqué, ses amis ont appelé à multiplier partout les gestes de soutien, les pensées et les actions en appui à leur camarade. « Nous ne laisserons pas le pouvoir nous isoler et nous séparer », assurent-ils.