Au Brésil, toujours plus de violences contre la société civile et les communautés autochtones

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Monde Libertés LuttesLa pression sur la société civile brésilienne et les communautés autochtones s’accroit. ONG et représentants de peuples autochtones appellent à la résistance et à l’alliance face à la politique de Bolsonaro, qui aggrave le sort des groupes les plus vulnérables.
L’alerte est lancée. Composé de 17 organisations, la coalition Solidarité Brésil a présenté le jeudi janvier un baromètre sur les droits humains au Brésil depuis 2016, visant « à alerter la société française sur les violences et pressions subies par les mouvements et organisations sociales ».
Abordant diverses thématiques — racisme et violence policières, féminicides, homophobie, accès au logement et à la terre ou bien encore l’éducation, la liberté d’expression et les droits des communautés autochtones —, il est produit à partir du témoignage, des rapports et des analyses des organisations partenaires de la coalition, engagées sur le terrain.
- Télécharger le baromètre des droits humains :
Que nous dit ce baromètre ? « Tout s’aggrave », résument les organisations. « Colonisation, esclavage, concentration des richesses et des ressources entre les mains d’une minorité sont autant de facteurs expliquant les inégalités et violences actuelles. » Mais la situation s’est « aggravée depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. Le président brésilien est porteur d’une gouvernance néolibérale et autoritaire qui accentue la pression sur les populations les plus exclues ».
« La première chose est de mobiliser la société civile au Brésil, que les gens sachent ce qu’il s’y passe »
La coalition Solidarité Brésil a été formée en décembre 2018 dans un contexte de criminalisation croissante des mouvements sociaux au Brésil pour que les différentes organisations, dont Attac France, Autres Brésils, CCFD Terre Solidaire et le Secours catholique puissent faire « converger leurs actions en soutien aux acteurs de la société civile brésilienne qui luttent pour la démocratie dans leur pays », indique le document.
Selon les chiffres des organisations, le nombre de victimes des violences policières est passé de 4.222 en 2016 à 6.220 en 2018, soit 47,3 % d’augmentation. Entre les mêmes années, les féminicides ont augmenté de 29,8 %, et les assassinats homophobes de 113 %. Cette augmentation générale des violences envers les populations les plus vulnérables de la société brésilienne est accompagnée d’une dégradation significative de la liberté d’expression depuis l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir : les associations dénombrent 27 cas de censure au cours des 11 premiers mois de 2019 contre 6 cas répertoriés en 2018, soit une augmentation de 350 %.

Cet outil est la première étape d’une campagne plus large de la coalition Solidarité Brésil : « Le Brésil résiste. Lutter n’est pas un crime ! » lancée le même jour durant une conférence de presse. « La première chose est de mobiliser la société civile au Brésil, que les gens sachent ce qu’il s’y passe », affirme Juliette Gallou, du Secours catholique ; « Il y a un désert statistique aujourd’hui, les données sont très peu connues au Brésil ».
Pour Célina Whitaker, cofondatrice du collectif Richesse, le baromètre vise notamment à mettre en lumière la question de l’intersectionnalité — un concept soulignant la pluralité des discriminations et des dominations de classe, de sexe et de couleur de peau. « Quand on croise les critères, nous constatons l’augmentation générale des violences, dit-elle. Cette violence s’est institutionnalisée sous Bolsonaro, à la fois par des politiques d’État et par un discours, une attitude d’un chef de l’État qui banalise ces violences. » Pour elle, « il faut donner du lien à toutes les questions évoquées dans le rapport, car aujourd’hui les campagnes de sensibilisation ne sont pas faites de manière articulée et coordonnée ».
« Bolsonaro propage un discours assimilationniste qui efface toutes les différences »
Interrogée par Reporterre, Floriane Louvet, chargée de mission Brésil au CCFD Terre solidaire, partage le constat : « Les délégations sont porteuses de combats particuliers. Il faut avoir une analyse plus globale, rassembler les données. Comment peut-on travailler ensemble ? Il nous faut pour cela avoir un discours articulé qui dénonce un système, qui va au-delà de Bolsonaro. » Pour elle, il s’agit de « résister à différents niveaux. Au niveau des territoires, en revenant sur les préoccupations du quotidien, qu’il faut repolitiser. Cela peut aussi se faire au niveau des politiques publiques, que la société civile brésilienne n’a toujours pas totalement abandonnées. Mais il y a surtout une bataille culturelle à mener, car Bolsonaro a instauré une bataille idéologique ».
Dans les récentes violences subies par les groupes minoritaires brésiliens, « les autochtones sont très emblématiques », estime-t-elle. « Bolsonaro propage un discours assimilationniste qui efface toutes les différences. Il faut pour lui rentrer dans la norme de l’homme blanc. Des politiques publiques commençaient à corriger cela, mais elles sont en train d’être démantelées. » Pour Glauber Sezerino, le coprésident d’Autres Brésils, les autochtones sont ainsi des « symboles de la résistance du Brésil, depuis sa naissance. Comme ils disent, cela fait 500 ans qu’ils se battent ».

Pour les neuf premiers mois de 2019, 160 cas d’invasions pour l’exploitation illégale de ressources naturelles sur les territoires autochtones ont été rapportés, contre 96 durant toute l’année 2017, selon le baromètre. Le phénomène n’est pas prêt de s’améliorer, alors que Bolsonaro a proposé une nouvelle loi visant à ouvrir les territoires autochtones à l’exploitation minière et d’autres ressources, y compris les territoires des peuples sans contacts avec l’homme blanc. Cette aggravation des droits autochtones à la protection et la démarcation de leurs territoires a été accompagnée d’une augmentation drastique des attaques envers leurs communautés : en 2018, 135 autochtones auraient été assassinés, contre 56 en 2016, soit une augmentation de 141 %.
« Vous, peuples extérieurs, contribuez à détruire les peuples indigènes »
Mercredi 29 janvier, deux témoins directs de ces violences étaient invités à la conférence « Le combat des peuples amérindiens : comprendre un enjeu planétaire » à Sciences Po Paris : Davi Kopenawa, chaman et porte-parole des Indiens Yanomami, et Almir Narayamoga Surui, représentant des Indiens Paiter Surui.
Davi Kopenawa est une figure de la défense des droits autochtone depuis qu’il a obtenu la reconnaissance légale d’un territoire de quelque 96.650 km de forêt tropicale, réservé à l’usage exclusif des Yanomami et garanti par un décret présidentiel. Entre 1987 et 1990, plus d’un millier de Yanomami avaient été tués à la suite des violences et des maladies qui accompagnèrent l’invasion de leurs terres par 40.000 chercheurs d’or. Mais le territoire Yanomami a subi une nouvelle invasion de 20.000 chercheurs d’or, en juillet 2019.

Selon Almir Surui, qui se bat pour défendre la forêt Amazonienne de l’abattage illégal, « les peuples indigènes au Brésil traversent une crise politique, une crise de respect : le Brésil revient en arrière concernant les droits des peuples indigènes ». Le représentant autochtone appelle à ce que « le gouvernement mette en place des politiques publiques », car « aujourd’hui, nous sommes en risque de mort alors que nous défendons nos droits ».
Pour lui, la résistance est aussi un devoir des peuples européens : « Par un marché de l’or et du soja à l’extérieur du pays, vous, peuples extérieurs, contribuez à détruire les peuples indigènes. » Interrogé par Reporterre, Almir Surui en appelle aux choix de consommation européens : « La société consomme sans savoir quelles sont les origines de ses aliments. C’est ça ce qui affecte la vie des régions comme l’Amazonie. Peu de Français savent comment les produits du Brésil sont faits et comment ils arrivent jusqu’à eux. » Pour le représentant autochtone, la résistance à Bolsonaro et à son monde dépasse les frontières amazoniennes : « Il est nécessaire de nous unir. Vous, Européens, pouvez faire beaucoup plus que nous, peuples amérindiens. »