Au Pays basque, les résidences secondaires mangent les terres agricoles

Durée de lecture : 8 minutes
Étalement urbain Habitat et urbanismeLes habitants des littoraux basques s’insurgent contre l’emprise croissante des propriétaires de résidences secondaires. Elle entraine une spéculation immobilière qui chasse les habitants et stimule l’artificialisation des terres.
Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), correspondance
La question du logement fait un retour remarqué sur les planches de la côte basque. Depuis quelques semaines, les dénonciations d’une spéculation immobilière hors de contrôle se multiplient : actions avec banderoles devant des agences immobilières par des groupes abertzales, constitution d’un nouveau mouvement baptisé BAM sur la question (Baiona Angelu Miarritz – Bayonne Anglet Biarritz), tags anonymes ou défilé humoristique de « riches » demandant plus de résidences secondaires dans le cortège du 1ᵉʳ mai à l’appel de Bizi. Le non-accès au logement est (re)devenu un sujet central, et la côte basque n’est pas une exception.
Les littoraux attractifs, qu’ils soient bretons, corses ou proches du bassin d’Arcachon, connaissent le même phénomène. Et si celui-ci n’est pas nouveau, il s’est amplifié avec le Covid-19 et la volonté des habitants à hauts revenus des métropoles de se mettre au vert. Selon les derniers chiffres, au Pays basque nord (partie située en France, dans les Pyrénées-Atlantiques, du Pays basque), sur les 198 000 logements que compte le territoire, plus de 40 000 sont des résidences secondaires et environ 12 000 sont des logements vacants, c’est-à-dire non-occupés sur l’année. La ville de Guéthary décroche la palme avec un logement sur deux concerné, devant Biarritz ou Saint-Jean-de-Luz qui dépassent les 40 % de secondaire. Ailleurs en France, d’autres communes atteignent le chiffre de 70 % du parc de logement en secondaire.

Les aspects sociaux de ce phénomène, et notamment l’expulsion des populations vivant sur place, attisent le plus le ressentiment, mais les conséquences écologiques inquiètent également. Pour Txetx Etcheverry, militant écologiste fondateur de Bizi, « ces questions du logement sont typiquement des batailles où justice sociale et urgence climatique et écologique se rencontrent, sont indissociables. »
Ruée sur le littoral
Premier responsable de la flambée des prix, le foncier proche du littoral est l’objet de toutes les convoitises. Cela crée une concurrence entre la construction immobilière, les espaces agricoles qui se réduisent et les espaces naturels.
Pour Isabelle Capdeville, administratrice de Lurzaindia, une structure qui défend la terre agricole et l’agriculture paysanne au Pays basque, « le foncier agricole, c’est la dernière roue du carrosse, tout le monde se sert ». Récemment, la justice a tranché en faveur de Lurzaindia dans le différend qui l’opposait à la commune d’Arbonne à propos de l’implantation d’un lotissement de dix logements sur des terres agricoles. Une victoire en demi-teinte pour Johanne Foirien, l’une des paysannes de Lurzaindia : « On a gagné au niveau juridique mais on a perdu dans la pratique puisque les maisons sont en train de se construire, les terres sont déjà perdues. » Lurzaindia combat aussi la spéculation immobilière : « Les délégués cantonaux de Lurzaindia ont aussi un travail de surveillance. Quand ils voient des terres qui se vendent à des prix parfois dix fois supérieurs à ce qu’elles devraient se vendre, ils demandent à la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) de préempter pour réviser le prix à la baisse. »

Avec la montée des prix au Pays basque, la structure est de plus en plus confrontée à ces cas où des propriétaires de terrains agricoles cherchent à les vendre à des prix incompatibles avec leur destination. Isabelle Capdeville revient sur un cas qui a attiré leur attention : « À La Bastide-Clairence, un bien a été remis en vente après deux ans, en ayant pris 78 % de plus ! Il y a trente-huit hectares de terres et une maison. Le propriétaire l’a séparé en deux, il veut vendre trente-trois hectares de terre d’un côté à 155 000 euros, il me semble, et la maison avec cinq hectares de l’autre à 420 000 euros. » Lurzaindia a saisi la Safer afin que celle-ci revoie le prix. Pour l’administratrice, une vente à prix aussi élevé empêche de garder une fonction agricole. La maison pourrait ainsi devenir un gîte avec des artificialisations annexes comme la construction d’une piscine ou d’un parking.
Un constat que d’autres ont fait ailleurs. Yves Lebahy est un géographe breton engagé qui se bat depuis des années contre la spécialisation des littoraux, notamment de sa région, en espaces dédiés à « une économie de villégiature ». Il a participé à des réflexions autour de ces questions et en est persuadé, « il faut que l’agriculture, notamment littorale, subsiste et offre du travail au plus grand nombre. Cela fait partie de l’équilibre d’une société. Ces espaces à monofonction sont une hérésie, il faut garder une vitalité des milieux pour des circuits courts de production. »
Espace VIP et jets privés
L’artificialisation des terres est l’un des postes importants d’émissions de gaz à effet de serre (GES), mais maintenir des logements fermés toute une partie de l’année aggrave également ces émissions. Chassés par l’installation de populations à plus hauts revenus, les habitants locaux partent du littoral vers les zones rétro-littorales, parfois loin dans les terres, Comme l’explique Txetx Etcheverry, « construire, ça veut dire envoyer les gens de plus en plus loin de la côte basque qui est de plus en plus saturée et où il y a de moins en moins d’endroits pour construire. Qui dit de plus en plus loin, dit des mobilités pendulaires. Or, aujourd’hui cela signifie des mobilités en voiture car il y a très peu de transports en commun. Des mobilités ultracarbonnées qui augmentent sans arrêt. »
Sur la côte, le premier responsable d’émissions de GES est le secteur du transport et les files de voitures qui rejoignent les côtes y contribuent fortement. Txetx Etcheverry pointe un autre problème lié aux mobilités : « Les personnes qui viennent, pour certaines le font en avion et même en jet privé. On assiste à une explosion des jets privés. Il y a quelques années, l’aéroport de Biarritz a dû agrandir le coin VIP pour l’accueil des jets des personnes qui viennent passer le week-end dans leur résidence secondaire. »

Pour Yves Lebahy, il faut revoir l’idée selon laquelle, le tourisme fait vivre les territoires : « Quand la crise du covid s’est déclenchée, cela a montré la fragilité de cette économie de villégiature. Des pans entiers du tourisme ont été mis en carafe, ce qui montre bien qu’elle n’est pas viable, elle est ponctuelle. C’est une économie consommatrice : d’espaces, de paysages, mais aussi des sociétés. On ne peut rien construire de stable sur une économie de villégiature. » Pour lui, elle doit rester une économie d’appoint, en complément des autres activités d’un territoire. Pour cela il propose de repenser les « biens communs ».
Du côté du Pays basque, la coalition de partis de gauche Euskal Herria Bai (EH Bai, Pays basque Oui) mène depuis longtemps la bataille du logement. Peio Etcheverry-Ainchart, historien membre d’EH Bai s’est intéressé au sujet depuis plus de vingt ans. Il dénonce la logique actuelle qui veut que, face au manque de logements pour les habitants, on construise toujours plus : « On doit se poser la question du mode de production pour créer de nouveaux logements. La solution ne peut être de construire car cela signifie artificialiser des sols pour les bâtiments, pour le stationnement, pour les réseaux afin de relier ces zones à l’emploi. Le logement est construit à un endroit et l’emploi à un autre. Entre les deux il faut utiliser la voiture. »
« On a de quoi loger tout le monde. Sauf qu’il y a 42 % de résidences secondaires. »
Le Plan local de l’habitat (PLH) voté au début de l’année 2021 par la communauté d’agglomération Pays basque (CAPB) va dans ce sens : il prévoit la construction de 2 600 nouveaux logements par an sur les six prochaines années soit 15 600 d’ici 2026. « Nous disons qu’il ne faut pas construire davantage, poursuit-il. Ces logements-là ne manquent pas, c’est faux. Si on regarde Biarritz c’est 30 000 habitants pour 26 000 logements. On a largement de quoi loger tout le monde. Sauf qu’il y a 42 % de résidences secondaires et 6-7 % de logements vacants. Près de la moitié des logements sont vides alors que dans le même temps on recherche du foncier pour construire davantage. Dans un contexte d’urgence climatique est-ce qu’il est normal qu’on aille artificialiser toujours plus de sols pour préserver le droit de quelques privilégiés à avoir un deuxième ou un troisième logement ? »
Un constat partagé par Txetx Etcheverry. Mais comment remettre sur le marché des logements laissés vides tout ou une partie de l’année ? Les dispositifs légaux ne sont pas adaptés. Des mouvements tentent de faire émerger des idées de nouvelles lois. En Bretagne et en Corse, ils proposent un statut de résident. D’autres réfléchissent à faire évoluer la fiscalité pour surtaxer les résidences secondaires. Pour le moment, une loi permet de surtaxer jusqu’à 60 % la part communale de la taxe foncière. Mais alors qu’elle est appliquée depuis 2015, elle n’a pas permis de remettre sur le marché locatif les habitations concernées car cela ne représente au maximum que quelques centaines d’euros par an. Pour les militants, la bataille du logement ne fait que commencer.