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ReportagePollutions

Au pied du Mont-Blanc, les habitants ne supportent plus la pollution de l’air

Sur les hauteurs de Passy, le nuage de pollution est visible à l'œil nu en hiver.

Dans les Alpes, la vallée de l’Arve accumule les preuves de son haut degré de pollution. Début 2021, de nouvelles analyses alarmantes ont été dévoilées par le collectif de citoyens Coll’Air Pur. Mais les réactions des pouvoirs publics semblent avoir beaucoup de mal à dépasser le stade du discours.

Vallée de l’Arve (Haute-Savoie), reportage

« On est des réfugiés climatiques. » Ketty Bertolotti a quitté la vallée de l’Arve en octobre 2020, pour fuir « le dôme de pollution persistant » qui flottait au-dessus de Domancy, la commune où elle résidait dans le bas de la vallée. « Tout l’hiver en sortant de chez moi avec mes trois enfants et en voyant cette brume épaisse de pollution, je me disais que ce n’était plus possible de vivre ici. Je culpabilisais. »

L’hiver 2016 a fini de convaincre Ketty et sa famille de quitter la vallée. Durant trente-cinq jours consécutifs, la pollution de l’air avait atteint des niveaux records, bien supérieurs aux valeurs limites européennes. Les enfants ne pouvaient parfois plus sortir à la récréation, et des manifestations éclataient partout dans la vallée de l’Arve, de Chamonix à Passy. « Honnêtement, si j’avais eu une bouteille d’oxygène à portée de main, j’en aurais pris », dit-elle en repensant à cet épisode.

Le nuage de pollution et la fumée de l’incinérateur de Passy. © Coll’Air Pur

Désormais installée dans la région niçoise, Ketty Bertolloti ne regrette pas son départ. « Cet hiver j’ai regardé l’indice de la qualité de l’air autour de Saint-Gervais-les-Bains, le niveau de pollution était souvent au rouge, alors qu’ici, à Nice, on a passé presque toute la saison dans le vert. »

Avant de quitter la vallée, elle a accepté de faire participer ses trois enfants à l’étude menée par le collectif de citoyens Coll’Air Pur. En septembre 2020, trois centimètres de cheveux ont été prélevés à soixante-seize enfants de la vallée et à six adultes, avant d’être envoyés au laboratoire indépendant toxSeek. Les résultats de cette analyse, obtenus au début de l’année 2021 « sont très inquiétants », dit Mallory Guyon, cofondatrice en 2018 du collectif, et médecin généraliste dans la commune des Houches, voisine de celle de Chamonix-Mont-Blanc.

Des taux anormaux de cadmium cancérigène dans les cheveux des enfants

« On a retrouvé un taux de cadmium en moyenne trois fois plus élevé dans les cheveux des enfants de la vallée que dans le groupe témoin du laboratoire », souligne-t-elle. « C’est une claque puisqu’on sait que le cadmium est une substance cancérigène, qui a des effets notamment sur les os, les reins, l’appareil respiratoire et la reproduction. Il y a là un enjeu sanitaire majeur. »

En plus du cadmium, le laboratoire a informé le collectif que neufs profils d’enfants étaient particulièrement à risques, surexposés aux « terres rares » [1] et que certains profils étaient à surveiller en raison d’une présence anormale de plomb et de mercure, qui sont tous deux des substances neurotoxiques. La fille de Ketty Bertolloti faisait partie de ces profils « à risque », selon le laboratoire toxSeek. « On s’est demandé pourquoi c’était la seule de nos enfants qui présentait des taux aussi inquiétants. On s’est rendu compte que c’était la seule de nos trois enfants qui allait en classe près de l’incinérateur. »

Sur les hauteurs de Passy, le nuage de pollution est visible à l’oeil nu en hiver. L’inversion de température et l’aérologie nulle empêche aux polluants de se disperser. © Coll’Air Pur

L’incinérateur de Passy est en effet régulièrement pointé du doigt par les écologistes de la vallée. Cette structure brûle en moyenne 60 000 tonnes de déchets par an et rejetterait un grand nombre de polluants dans l’air, selon les militants, en particulier à Passy et dans les communes alentour, un territoire très encaissé où la circulation de l’air est presque nulle.

En 2019, Coll’Air’Pur avait fait tester des œufs de la commune de Passy près de l’incinérateur par un laboratoire indépendant. Conclusion : une majorité d’entre eux dépassait les taux de dioxines et de PCB autorisés pour la consommation.

« Ici on ne cherche pas à trier les déchets mais à les brûler. »

« Les élus remettent sans cesse en cause nos analyses, alors qu’ils connaissent très bien ces chiffres. Seulement, il ne faut pas faire peur aux habitants ou aux touristes », déplore Muriel Auprince, autre militante au collectif. « On demande de prendre en compte ces analyses pour réfléchir à des solutions. »

Le collectif tente d’apporter des solutions dans la vallée avec la création d’une recyclerie du Mont-Blanc et d’un Repair Café pour recycler les déchets et ainsi éviter leur incinération. Le tri des déchets dans la vallée de l’Arve est pour le moment « quasi inexistant », selon Muriel Auprince. « On se croirait à la préhistoire par rapport à d’autres régions, puisque ici on ne cherche pas à trier les déchets mais à les brûler. »

Une file de camions sur la route qui mène au tunnel du Mont-Blanc. © Justin Carrette/Reporterre

Un constat partagé par l’association Alternatiba ANV-COP21 qui multiplie les actions spectaculaires depuis le début de l’année pour réclamer plus d’actions en faveur de la qualité de l’air. « S’il y avait des politiques publiques plus ambitieuses pour le compost et le tri, on brûlerait moins de déchets », affirme Nicolas Orsier, militant à Alternatiba ANV-COP21.

Contacté par Reporterre, Jean-Marc Peillex, maire de Saint-Gervais-les-Bains et président de la communauté de communes du Mont-Blanc, se dit prêt à agir sur le dossier de l’incinérateur : « Il faut agir là-dessus car l’incinérateur est en fin de vie et d’un autre temps. Il n’est plus aux normes et il est polluant, donc l’enjeu, c’est de diminuer nos déchets, et ça c’est le rôle des élus locaux. »

Le transport routier joue lui aussi un rôle dans la qualité de l’air de la vallée. Plus de mille camions montent chaque jour dans la vallée vers le tunnel du Mont-Blanc. Le 13 mars 2021, les militants d’Alternatiba ANV-COP21 ont mis en place un faux péage sur l’autoroute pour réclamer plus de ferroutage et des moyens pour financer le report modal, c’est-à-dire permettre aux poids lourds d’emprunter les rails plutôt que le tunnel. « Les structures qui permettraient de mettre les camions sur les rails existent, mais on ne les utilise pas. On se demande s‘il y a une volonté politique sur cette question », dit Nicolas Orsier.

Macron passé, rien n’a changé

En février 2020, Emmanuel Macron s’était rendu dans la vallée, à Saint-Gervais-les-Bains, et avait affirmé que « l’État souhaite prendre ses responsabilités et investir dans le ferroviaire ». Plus d’un an plus tard, rien n’a changé pour les poids-lourds, et l’aire de régulation des camions du Fayet dans le bas de la vallée, a même été refaite à neuf. Jean-Marc Peillex, maire de Saint-Gervais-les-Bains qui avait accueilli le président de la République dans sa commune, dit que « ça ne va certainement pas assez vite, et je suis le premier à le dire à chaque réunion. Seulement ceux qui croient qu’on peut tout arrêter avec un bouton magique sont naïfs ou ils nous trompent. »

L’inertie des pouvoirs publics dans la vallée a d’ailleurs été reconnue en novembre 2020 par le tribunal administratif de Grenoble, qui avait souligné une « carence fautive de l’État » dans sa lutte contre la pollution de l’air.

L’action coup de poing d’Alternatiba pour bloquer les camions sur l’autoroute menant au tunnel du Mont-Blanc, le 13 mars. © Alternatiba Vallée de l’Arve

D’autres sources de pollutions existent dans la vallée de l’Arve, notamment l’industrie métallurgique et le chauffage individuel au bois. Ces polluants s’ajoutent à ceux de l’incinérateur et du trafic routier pour constituer un cocktail toxique pour les habitants. Jean-Marc Peillex le reconnaît : « Le problème de la qualité de l’air est un problème de santé publique dans la vallée. » Selon Santé Publique France, la pollution de la vallée de l’Arve causerait à elle seule 85 décès par an. En juin 2020, une fille de douze ans résidant à Sallanches, juste à côté de Passy, est morte de plusieurs tumeurs au cerveau. Sa disparition pourrait en partie être due, selon certains médecins, à la pollution de l’air.

« Lors des pics de pollution, on a des pics de consultations, observe la docteure Mallory Guyon, principalement pour des problèmes pulmonaires, cardiovasculaires ou ORL. De l’asthme, des bronchites, des otites ou des toux de laryngites par exemple ». Cette toux est d’ailleurs si répandue au pied du Mont-Blanc qu’elle a gagnée le nom de « toux de la vallée ».

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