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ReportageClimat

Au procès des décrocheurs de portraits, on plaide le « désespoir » climatique

Jeudi 22 octobre, sept activistes écologistes étaient jugés, en appel, pour avoir décroché des portraits d’Emmanuel Macron de mairies parisiennes. « Vu que les moyens légaux n’avaient pas abouti pour alerter sur la crise climatique, j’ai considéré que je n’avais pas le choix », a assuré l’un d’eux.

C’était un procès symbolique. Jeudi 22 octobre, sept activistes écologistes étaient jugés à la cour d’appel de Paris. Ils avaient été condamnés l’année dernière à 500 euros d’amende chacun, pour des faits de « vols en réunion » [1] : ils avaient décroché puis emmené des portraits d’Emmanuel Macron, les 21 et 28 février 2019, dans les mairies du 3e, 4e et 5e arrondissements de Paris. Leur but était alors de laisser un mur vide, « aussi vide que la politique climatique » du président de la République [2]. La décision de ce procès en appel a été mise en délibéré au 10 décembre 2020.

Dans la grande salle d’audience, les prévenus ont défilé pour faire face à la présidente du tribunal. Un à un, ils ont tous reconnu les faits (comme lors de leur premier procès), et détaillé l’organisation de ces « décrochages ». Très rapidement, la question des vols de portraits présidentiels a laissé place à une problématique bien plus large : comment ces jeunes activistes en sont arrivés là.

« [Pour interpeller les dirigeants sur le dérèglement climatique], j’ai rencontré des élus locaux et nationaux, j’ai fait des communiqués de presse, j’ai organisé et participé à des conférences, a énuméré Étienne Coubard, un des prévenus. Voyant que la situation n’évoluait pas (les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de 2,7 % en France en 2018), que tous les moyens légaux n’avaient pas abouti, j’ai considéré que je n’avais pas le choix. J’ai décroché ce portrait pour alerter sur la situation. »

« C’est vraiment par désespoir qu’on en arrive à faire ça », a approuvé Alma Dufour, une autre prévenue et chargée de campagne aux Amis de la Terre. Avec ce procès en appel, les militants souhaitaient faire reconnaître leur action, et toutes celles de désobéissance civile en général, comme un moyen d’expression pour interpeller les dirigeants, face à une menace importante.

« On aimerait que le Président respecte les propres lois de la France »

« On s’était engagés à restituer les portraits au moment où Emmanuel Macron tiendrait les engagements qu’il avait pris auprès des Français, au moment de son élection, quand il disait qu’il les protégerait du changement climatique », a précisé Étienne Coubard. Et la présidente du tribunal de lui lancer, d’un ton sarcastique : « Donc, vous ne comptez pas les restituer ? » « Il peut encore changer », a affirmé le prévenu.

D’un ton mi-curieux, mi-agacé, l’avocat général (représentant du ministère public) a garanti aux prévenus qu’il avait bien compris qu’ils souhaitaient interpeller le chef de l’État français, mais qu’il voulait savoir « quels actes forts » concrets ils attendaient. « On aimerait le voir respecter les propres lois de la France, a répondu sobrement Cécile Marchand, chargée de campagne aux Amis de la Terre. La France ne respecte pas sa stratégie nationale bas-carbone, qui vise à atteindre une neutralité carbone d’ici 2050, et qui est un des moyens pour faire respecter les accords de Paris. Et encore, cette stratégie ne concerne que les émissions de GES émises sur notre territoire, et pas celles que nous importons, pour lesquelles nous n’avons même pas de stratégie. »

Après le temps des déclarations des prévenus, est venu le moment des témoignages. Les bras chargés de dossiers, Jean-Pascal van Ypersele, professeur de climatologie à l’université de Louvain et ancien vice-président du Giec, s’est avancé vers la présidente du tribunal. Il a exprimé être « très très inquiet » du dérèglement climatique, thème sur lequel il travaille depuis quarante ans, et qu’il voit évoluer dangereusement d’année en année.

Dans une longue et terrible énumération, il a cité ce qu’allait signifier une augmentation du climat de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, si aucune action forte n’était prise politiquement dès maintenant : davantage de vagues de chaleur (comme celles connues ces derniers étés), des périodes de précipitations intenses (à l’image de celle ayant frappé les Alpes-Maritimes début octobre), des incendies de forêts, des glaciers qui fondent... « On n’a absolument pas le sentiment d’urgence qu’on devrait avoir », a-t-il déploré. D’une voix enrouée par l’émotion, il a conclu : « Je comprends cette frustration de constater un décalage entre l’urgence et le manque d’actions. Ces jeunes, je leur dis merci. »

« Il y a la possibilité d’éviter une catastrophe. Il y a "juste" un manque de volonté politique »

Agnès Catoire, membre de la Convention citoyenne pour le climat (lancée par Emmanuel Macron en réponse au mouvement des Gilets jaunes) s’est ensuite avancée pour témoigner. « Nous avons travaillé pendant neuf mois pour transmettre 149 propositions, raconte-t-elle. Nous devions définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 dans un esprit de justice sociale. Emmanuel Macron avait promis de les transmettre sans filtre. »

Pourtant, nombre d’entre elles ont déjà été écartées. Récemment, le président de la République a par exemple balayé la demande d’un moratoire sur la 5G, avant son déploiement. Sans discussion, il a lancé les enchères d’attribution de fréquences au mois de septembre. « J’ai totalement perdu confiance, a confié Agnès Catoire. Alors ces décrochages, ces actes sont importants. Je remercie les décrocheurs, peut-être que sans eux la Convention citoyenne pour le climat n’aurait jamais eu lieu ».

Cécile Duflot, directrice générale de l’ONG Oxfam et ancienne ministre, a également pris la parole. « Nous avons les ressources cognitives, techniques et financières pour agir, a-t-elle garanti. Il y a la possibilité d’éviter une catastrophe. Il y a "juste" un manque de volonté politique. » Elle a salué ces actions de décrochages, qui selon elle, « touchent pile poil au point douloureux : le manque d’action de l’État. » « Quand le pouvoir exécutif est défaillant, le pouvoir judiciaire doit jouer son rôle », a-t-elle poursuivi.

L’avocat général a requis les mêmes peines qu’au jugement en première instance, soit 500 euros d’amende par personne. « Nul ne conteste le danger climatique au ministère public, a-t-il assuré. Ce danger est actuel dans le sens où on peut mesurer dès à présent les changements climatiques. (...) Mais dans une société démocratique comme la nôtre, il existe d’autres moyens d’agir que la désobéissance civile. » Selon lui, les militants écologistes disposent déjà de suffisamment de moyens d’action via leurs représentants et la presse. « Les pouvoirs publics peuvent être entravés par les résistances de l’opinion publique », a-t-il même glissé, comme pour justifier le manque d’actions mises en œuvre jusqu’à présent.

« Ce procès est une affaire de symboles, tout le monde le sait, mais la justice ne se désintéresse pas des symboles », a plaidé Me Michaël Bendavid, l’avocat des sept prévenus. Prenant comme exemples des mobilisations d’Act Up — association militante de lutte contre le sida — dans les années 90 et le geste de Rosa Parks en 1955 — une femme noire qui a refusé de laisser sa place à un passager blanc dans un bus —, il a voulu démontrer que les actions de désobéissance civile pouvaient amener à des changements historiques (et bénéfiques). « Même dans une société démocratique, il y a des choses qui ne sont pas adaptées aux dangers ! », a-t-il répondu à l’avocat général.

« Nous vous invitons à prendre une décision courageuse », a-t-il ensuite demandé à la présidente du tribunal, en plaidant pour la relaxe des sept prévenus. La décision a été mise en délibéré au 10 décembre 2020. « Ce sera quasiment cinq ans après la COP21, a fait remarquer Félix Veve, un des militants, à la sortie de l’audience. Des engagements sur le climat avaient été décidés à cette date, et cinq ans après ils ne sont toujours pas respectés. »

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