Auprès d’Élisabeth Borne, deux « macronistes pur jus » pour l’écologie

Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, Première ministre et Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. - Montage Reporterre. E.Borne : © AFP/Ludovic Marin / A. de Montchalin : Wikimedia / Jonathan Sarago / CC / A. Pannier-Runacher : Wikimedia / Gézelin Grée
Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne, Première ministre et Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique. - Montage Reporterre. E.Borne : © AFP/Ludovic Marin / A. de Montchalin : Wikimedia / Jonathan Sarago / CC / A. Pannier-Runacher : Wikimedia / Gézelin Grée
Amélie de Montchalin est désormais ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, et Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture. L’une est néo-libérale, l’autre vient des milieux d’affaires fossiles, le troisième défend l’agro-industrie.
C’est sur le perron du palais présidentiel, menacé par un ciel orageux, que le suspens a pris fin. Vendredi 20 mai, près d’un mois après la réélection d’Emmanuel Macron et cinq jours après la nomination d’Élisabeth Borne comme Première ministre, le secrétaire général de l’Élysée a présenté la composition du nouveau gouvernement. C’est donc Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, et Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui épauleront la Première ministre Élisabeth Borne dans sa mission de « planification écologique ». Marc Fesneau récupère le portefeuille de l’Agriculture. Le ministère des Transports disparaît et celui de la Mer se transforme en un secrétariat d’État, confié à Justine Bénin.
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Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires
Auparavant titulaire du portefeuille de la Transformation et de la Fonction publique, Amélie de Montchalin, 36 ans, devient donc ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Elle aura la tâche de conduire l’un des ministères les plus importants dans l’ordre du protocole. Son parcours ne témoigne pourtant d’aucun intérêt particulier pour les questions d’écologie - elle a par exemple voté contre l’interdiction du glyphosate -, et est même inquiétant vu son néolibéralisme assumé.
Fille d’un cadre supérieur de grands groupes (Elf, Danone, Coca-Cola), diplômée de HEC et de la Kennedy School de Harvard en politiques publiques, elle a débuté sa carrière en 2009 dans le privé comme économiste junior chez Exane BNP Paribas avant de rejoindre Axa en 2014. Elle a épousé Guillaume de Montchalin, consultant pour de grandes entreprises au sein du Boston Consulting Group.

Son parcours politique a commencé à l’UMP auprès de Valérie Pécresse, qu’elle a suivi de l’Assemblée nationale au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Elle a participé à la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, puis à la campagne pour la primaire de 2016 d’Alain Juppé – elle participa ainsi à la conception du programme économique de l’ancien maire de Bordeaux. Après la défaite de son candidat, elle a rejoint En Marche en décembre 2016, séduite par le côté « start-up » du mouvement lancé par Emmanuel Macron. Elle a été élue députée (La République en marche) de la sixième circonscription de l’Essonne et s’est fait rapidement remarquer dans l’Hémicycle pour son intérêt pour les sujets économiques et financiers.
« Amélie de Montchalin incarne de façon chimiquement pure la pensée économique du macronisme, la décrit Romaric Godin, journaliste économique à Mediapart. Son obsession, [...] jusqu’au vote de la loi de finances pour 2018, c’est la réduction de la fiscalité sur le capital et notamment la fin de l’ISF. […] Ses arguments étaient absolument ceux du gouvernement : l’impôt sur la fortune aurait été un frein à l’investissement. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’elle s’est fait remarquer par l’exécutif. »
« Amélie de Montchalin incarne de façon chimiquement pure la pensée économique du macronisme »
En mars 2019, elle a rejoint le gouvernement d’Édouard Philippe comme secrétaire d’État chargée des Affaires européennes, avant d’être nommée ministre de la Transformation et de la Fonction publique en juillet 2020 dans le gouvernement de Jean Castex. Elle y a notamment porté le projet d’ordonnance de réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique, en 2021, qui comprenait la transformation de l’École nationale d’administration (ENA) en un Institut national du service public en 2022, la suppression de nombreux corps de hauts fonctionnaires, fondus en un corps unique des administrateurs de l’État.
Souvent décrite comme une « bosseuse » et un « bon soldat de l’exécutif », elle est loin de faire l’unanimité, notamment à gauche. « Elle n’a pas de projet politique, la critique auprès de l’AFP la sénatrice communiste Éliane Assassi, rapporteuse de la commission d’enquête sur l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques, qui a auditionné la ministre en janvier. C’est une techno pur jus, un soldat, elle est en mission plutôt qu’en fonction », décrit l’élue de Seine-Saint-Denis, qui a dénoncé dans son rapport l’ampleur « tentaculaire » du recours par l’État aux cabinets de conseil.
Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique
Dans le remodelage du portefeuille de l’écologie, Agnès Pannier-Runacher hérite du ministère inédit de la Transition énergétique. Sous la supervision de Matignon, cette haute fonctionnaire de 47 ans s’empare ainsi du dossier brûlant qu’est le nucléaire. Et autant dire que la diplômée de HEC a déjà un avis bien tranché sur la question. Le 13 octobre 2021, elle qualifiait le nucléaire d’indispensable pour répondre aux enjeux du défi climatique : « Ceux qui disent le contraire sont des menteurs, affirmait-elle au micro de France Inter. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Monsieur Jancovici par exemple, qui est expert au Haut Conseil pour le climat. »
Recourir à l’injure n’a cependant jamais tenu lieu d’argumentation. Le nucléaire n’est pas indispensable pour répondre au réchauffement climatique, il est même sans doute une impasse, comme l’a montré notre enquête, et comme le confirme l’état piteux du parc nucléaire français. Quant à M. Jancovici, référence de la nouvelle ministre macronienne, c’est un euphémisme de dire qu’il n’est pas une autorité en la matière.
En 2016, Agnès Pannier-Runacher était l’une des premières à afficher son soutien à Emmanuel Macron, à l’aube de la campagne présidentielle. Tous les deux avaient fait connaissance lors d’un déjeuner de l’Inspection des finances, quelques années auparavant. Le 16 octobre 2018, elle a été nommée secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire. Trois mois plus tard, le 7 janvier 2019, un décret paru au Journal officiel la déchargeait de tout rôle auprès de diverses entreprises. La raison ? Son passé de cadre supérieur.

Avant son entrée politique, Agnès Pannier-Runacher a en effet multiplié les postes dans le secteur privé. En décembre 2011, elle a rejoint l’équipementier automobile Faurecia Interior Systems, où elle a travaillé pour des clients comme General Motors ou Volvo. Entre 2010 et 2018, elle était également présidente du comité d’audit du groupe Bourbon, une compagnie maritime française intervenant sur les champs pétroliers, gaziers et éoliens. Son ex-mari dirigeait par ailleurs les opérations d’une filiale d’Engie. À sa nomination comme secrétaire d’État, elle a mis un terme à ses mandats, abandonnant une rémunération de plus de 500 000 euros par an, selon Libération.
La nouvelle ministre de la Transition écologique est la fille de Jean-Michel Runacher, qui a dirigé la société Perenco et en est toujours administrateur. Perenco, deuxième compagnie pétrolière française, est spécialisée dans le rachat de puits de pétrole en fin de vie, qu’elle exploite jusqu’à la dernière goutte, contribuant à accroître les émissions de gaz à effet de serre. Perenco est particulièrement connue pour exploiter ses puits sans égards pour l’environnement ni pour les droits des travailleurs ou des indigènes, en RDC, au Pérou et au Guatemala, comme l’a raconté Nicolas d’Allens dans Les saboteurs du climat (Seuil-Reporterre,2015). La holding Perenco est domicilié à Nassau, aux Bahamas.
Le 6 juillet 2020, Jean Castex a nommé Mme Pannier-Runacher ministre déléguée chargée de l’Industrie, toujours sous la houlette de Bercy. Pendant la pandémie de Covid-19, et alors que l’économie mondiale est en berne, elle a déclaré sur CNews que « c’est plutôt le moment de faire des bonnes affaires en Bourse aujourd’hui ». Une intervention qui lui vaudra l’attribution du titre honorifique de « secrétaire d’État à la spéculation », par le Parti communiste français. Elle s’est enfin attiré les foudres des syndicats ouvriers en déclarant, à l’automne 2021, « aimer l’industrie » qui serait « l’un des rares endroits, au XXIe siècle, où l’on trouve encore de la magie ».
Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire
Marc Fesneau, 51 ans, récupère donc le portefeuille de ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Une revanche pour celui qui avait été pressenti pour ce poste en 2017 puis en 2020, avant de se faire coiffer au poteau par Stéphane Travert puis Julien Denormandie.
Le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement dans les gouvernements d’Édouard Philippe et de Jean Castex, issu du Mouvement démocrate (MoDem) de François Bayrou, est réputé bien connaître les questions agricoles. Fils de l’ancien directeur général de l’Association française des comités économiques de fruits et légumes (Afcofel), François Fesneau, titulaire d’un diplôme d’études universitaires générales (Deug) de sciences de la vie et de la nature, a commencé sa carrière dans une entreprise de conseil pour le ministère de l’Agriculture. Il a ensuite rejoint la chambre d’agriculture du Loir-et-Cher, d’abord au service de développement local en 1996, puis à la direction du service chargé des politiques de développement local et des fonds européens à partir de 2000.
Certaines de ses prises de position ne manqueront toutefois pas de faire grincer les dents des écologistes. Alors député (MoDem) de la première circonscription du Loir-et-Cher, il avait voté contre l’interdiction du glyphosate — pourtant reconnu comme toxique pour l’environnement et classé comme « cancérigène probable » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) — en mai 2018. Plutôt qu’une interdiction en France, il plaidait pour une mesure globale à l’échelle européenne et la possibilité de continuer à importer des produits traités avec cet herbicide. Il avait également défendu les distances de sécurité entre les zones d’épandage de pesticides et les habitations instaurées par l’arrêté de décembre 2019 [1], jugées dérisoires par les associations. « On a des gens, comme M. Jadot, qui remettent en cause la science quand ça les arrange », s’était-il indigné sur RMC, arguant que ces distances avaient été validées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).

L’homme à l’épaisse tignasse rousse se présente volontiers comme un élu « rural ». D’abord conseiller municipal du village de Marchenoir (600 habitants environ), dans le Loir-et-Cher, il a été élu maire en 2008 et réélu en 2014. Lui-même chasseur à l’arc, il s’était opposé à la proposition de l’écologiste Yannick Jadot d’interdire la chasse les week-ends et les vacances scolaires. « Il faut regarder la sociologie des chasseurs par exemple dans un territoire comme le mien à Marchenoir. Ce sont des actifs, des ouvriers, des commerçants. C’est une chasse populaire, au premier sens du terme. La réduire à quelques jours en semaine, c’est en faire un rendez-vous élitiste, déclarait-il ainsi au Figaro en novembre 2021. Ne faut-il pas rappeler que la chasse est un droit révolutionnaire, un acquis du tiers état sur la noblesse ? » Il avait également soutenu l’accord sur les dégâts de gibier signé entre les organisations agricoles et les fédérations de chasse, qui prévoyait une aide de l’État pour faciliter la gestion administrative des dossiers par les chasseurs.
Le casting laisse sceptiques les écologistes. Pour Greenpeace, « dans l’ensemble, les personnalités choisies sont dénuées de poids politique, ils et elles sont des macronistes pur jus, sans toujours avoir une expérience spécifique de leur sujet ni vision des enjeux globaux, si ce n’est une croyance aveugle dans les chimères de la croissance verte et des technologies qui n’existent pas. Il n’y aura pas de “renaissance” de ce côté-là. Notons aussi que ce gouvernement signe l’échec d’Emmanuel Macron à débaucher une personnalité crédible pour l’écologie : c’est le signe que plus personne ne croit en la sincérité de sa conversion écologique. » « Ce gouvernement avec des ministres libéraux à des postes clés est une preuve de plus de l’opportunisme de Macron quand il parle de planification écologique, ont tancé sur Twitter Les Amis de la Terre. Rendez-vous les 12 et 19 juin pour voter en masse pour une Assemblée nationale à la hauteur des enjeux sociaux et environnementaux ! »