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Aux États-Unis, Joe Biden reste vague sur sa politique climatique

Après le retrait de Bernie Sanders de la course à la présidentielle, Joe Biden est devenu, avec le ralliement de Sanders, le candidat du Parti Démocrate. Mais s’il affiche des ambitions écologistes - objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050 —, son programme n’intègre pas le Green New Deal.

  • Washington, correspondance

Le retrait du socialiste Bernie Sanders de la course aux primaires démocrates a attristé le milieu écologiste aux États-Unis. C’est désormais sur le centriste Joe Biden qu’il faudra compter pour défendre l’environnement face au climato-sceptique Donald Trump en novembre.

La vision politique modérée de l’ex-vice-président américain ne séduit guère la gauche du Parti démocrate. Son programme environnemental, cependant, est salué au moins pour son ambition. « Son plan est en fait assez agressif, autant que celui de Bernie Sanders en matière d’objectif de réduction des émissions. Là où Sanders et Biden diffèrent fondamentalement, c’est sur la manière d’y arriver », juge le climatologue de l’université de Pennsylvanie Michael E. Mann, interrogé par Reporterre.

Joe Biden souhaite en effet parvenir à zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050. Il va ainsi plus loin que Barack Obama, qui promettait seulement une réduction de 80 % par rapport aux niveaux de 2005. Pour ce faire, le candidat propose un investissement fédéral de 1.700 milliards de dollars sur dix ans ainsi que 3.300 milliards émanant du secteur privé et des collectivités locales.

Flou sur la taxe carbone

Ces investissements seront financés en revenant sur certains cadeaux fiscaux de l’administration Trump aux entreprises et en mettant fin aux subventions à l’industrie des énergies fossiles. Une certaine forme de taxe carbone n’est pas non plus exclue, bien que le terme ne soit pas proposé noir sur blanc dans le programme de Joe Biden.

L’ONG environnementale 350.org reconnait qu’il y a du positif dans les propositions du septuagénaire. « Il soutient un moratoire sur les nouvelles autorisations d’exploitation pétrolière et gazière sur les terres et les eaux fédérales. Il compte rejoindre l’accord de Paris sur le climat. Il veut contraindre les entreprises cotées en bourse à faire connaître les risques climatiques et les émissions de gaz à effet de serre liés à leur activité. Joe Biden souhaite réinstaurer le crédit d’impôt pour les voitures électriques que l’administration Trump n’a pas prolongé et déployer quelque 500.000 bornes électriques publiques d’ici 2030 », énumère pour Reporterre Natalie Mebane, directrice associée sur les questions politiques pour l’association.

Pourtant, les efforts du candidat restent insuffisants. Il ne va « pas assez loin et pas assez vite », résume Natalie Mebane, qui juge la somme de 1.700 milliards de dollars trop légère et l’objectif à 2050 trop lointain pour éviter une hausse des températures de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. « Par ailleurs, Joe Biden ne soutient pas l’interdiction de la fracturation hydraulique. En matière de justice environnementale, son plan n’est pas assez clair ni robuste. Et il ne s’est pas affiché comme un partisan du Green New Deal. »

Des bassins d’eau ayant servi à la fracturation hydraulique (« fracking ») dans le Wyoming.

Ce plan à plus 16.000 milliards de dollars, inspiré du New Deal « Nouvelle donne » en français) du président Franklin D. Roosevelt après la Grande dépression dans les années 1930, et dont Bernie Sanders est le champion, s’attaque de concert à la crise climatique et aux inégalités économiques et sociales. Joe Biden en a chanté les louanges, assurant qu’il agissait d’un « cadre crucial pour s’attaquer aux défis climatiques » mais il n’intègre pas dans son programme les éléments les plus radicaux du Green New Deal, comme Medicare for All, l’assurance santé publique universelle.

« On survit, ou pas »

Le Green New Deal est pourtant beaucoup cité ces dernières semaines par la gauche américaine comme un moyen de reconstruire l’économie post-coronavirus. Le plan est particulièrement populaire chez les plus jeunes. Or cet électorat clé a jusqu’ici boudé Joe Biden. « Pour éviter de répéter les erreurs de 2016, Joe Biden doit montrer aux jeunes qu’il les soutient en embrassant des politiques comme l’ambitieux Green New Deal », a déclaré dans un communiqué Aracely Jimenez, porte-parole du Sunrise Movement, une coalition de jeunes promouvant le Green New Deal. « S’il ne le fait pas, alors notre travail pour pousser notre génération vers les urnes afin de battre Trump cet automne devient beaucoup plus difficile. »

Jamie Margolin, activiste climatique de 18 ans basée à Seattle, n’est franchement pas convaincue par les propositions de l’ex-vice-président. « Il a évoqué la recherche d’un "terrain d’entente" entre l’industrie des combustibles fossiles et l’action climatique… mais ça ne marche pas comme ça. Soit on sauve la vie sur Terre, soit on ne la sauve pas. On survit, ou pas », affirme-t-elle à Reporterre. Selon la jeune militante, qui sortira en juin Youth to power, un livre préfacé par Greta Thunberg, il est impossible de « résoudre cette crise en trouvant un compromis entre les forces qui détruisent la planète et celles qui tentent de la sauver ».

Des membres du Sunrise movement, devant le siège du parti démocrate américain à Washington, en 2019.

« J’ai demandé à ma campagne de faire participer davantage de voix du mouvement pour le climat »

Ces dernières semaines, Joe Biden a fait quelques pas vers l’électorat de Bernie Sanders. Il a par exemple inclus dans son programme la gratuité des universités publiques pour les classes moyennes et populaires. Il a aussi formé des groupes de travail, dont un sur le climat, avec les équipes du sénateur du Vermont, qui lui a apporté son soutien officiel. Et lundi 20 avril, il a annoncé qu’il allait étoffer son plan climat afin de répondre aux appels des ONG environnementales.

« J’ai demandé à ma campagne de faire participer davantage de voix du mouvement pour le climat, y compris des leaders de la justice environnementale et des organisations de travailleurs », a déclaré le candidat dans un communiqué. L’objectif est de « collaborer sur de nouvelles politiques dans des domaines allant de la justice environnementale à de nouveaux objectif concrets atteignables en dix ans, en passant par davantage d’investissements pour une économie basée sur l’énergie verte ».

Si l’intention est là, le communiqué reste vague. Les partisans de Joe Biden rappellent toutefois qu’une fois les promesses de campagnes passées à la loupe, il faut s’intéresser aux mesures qui ont une chance de passer au Congrès et de ne pas être annulées par une Cour de justice. C’est l’avis de Paul Bledsoe, conseiller stratégique auprès du Progressive Policy Institute, interrogé par le site insideclimatenews.org. « La bonne nouvelle, c’est que Joe Biden est apprécié au Congrès. Tout le monde dit que c’est une figure de l’establishment, ce qui sonne comme une mauvaise chose. À moins d’effectivement chercher à faire passer des lois, auquel cas cela gagne en importance. »

Comme pour tous les thèmes chers à son camp, Joe Biden marche donc sur un fil au sujet du climat. Il va devoir séduire les progressistes, et donc les plus jeunes, tout en n’effrayant pas les modérés à qui il a promis des politiques pragmatiques et concrètement réalisables. Il lui reste un peu plus de six mois pour venir à bout de ce casse-tête.

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