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Libertés

Bolloré en Afrique : silence, la justice veille

Un reportage sur les plantations de palmiers à huile de la compagnie Bolloré au Cameroun a déplu à la multinationale. Elle poursuit le journaliste, la justice lui donne raison. La justice est de plus en plus souvent utilisée par les grandes entreprises pour empêcher les investigations.

Vincent Bolloré voulait faire un « exemple » en attaquant en diffamation France Inter pour l’émission « Cameroun : l’empire noir de Vincent Bolloré ». Il a été suivi par la XVIIe chambre du tribunal de Paris : 1 000 euros d’amende pour la radio du service public et 1 euro symbolique pour les dommages et intérêts.

Jeudi 6 mai, il aura fallu cinq minutes à la présidente Anne-Marie Sauteraud pour sonner la cloche. France Inter et le journaliste Benoit Collombat (avec qui j’ai co-écrit un livre sur le patronat) ont été reconnus coupable de diffamation envers un particulier : Vincent Bolloré.

Jugement (assez) lourd :

* 1 000 euros d’amende pour chaque prévenu,
* 1 euro symbolique de dommages et intérêts,
* 10 000 euros au titre de l’article 475-1 (les frais d’avocats).

Cette dernière somme étant loin des honoraires (124 059,87 euros) réglés par l’homme d’affaires à son conseil, maître Olivier Baratelli, et dont ce dernier réclamait le remboursement.

Sur six passages, quatre considérés comme diffamatoires

Sur le fond, le tribunal a pris ses grands ciseaux pour découper en tranches les 44 minutes de reportage diffusé dans l’émission dominicale Interception. Parmi les principales imputations qualifiées de diffamatoires, on retiendra notamment :

1. Le fait que les « engagements financiers pris par Camrail lors de l’obtention de la concession en 1999, en particulier le versement à 603 employés d’une indemnité totale de 26 milliards » de CFA sont une obligation de l’Etat camerounais, pas de la société française ;
2. qu’il est aussi diffamatoire de dire que Bolloré a « négligé gravement les investissements dans le domaine du transport des passagers » ou d’« utiliser abusivement le personnel du port autonome dans le cadre de la concession de dragage » ;
3. ou encore de « ne pas assurer la sécurité minimale des salariés de la palmeraie exploitée par la SOCAPALM et les loger dans des conditions indignes ».

En revanche, les juges ont reconnu comme relevant du droit « au libre débat d’opinion sur un sujet d’intérêt général » les liens incestueux du groupe avec les autorités, en particulier :

« La nature de ces liens, l’influence acquise par le groupe Bolloré auprès du président Biya ou de ses proches, l’aide financière qu’il dispenserait à certains relais d’opinion (la fondation Chantal Biya, épouse du président de la République, ou telle radio catholique présentée comme proche du pouvoir). »

Pour les juges, l’enquête est bien « contradictoire »

Sur la méthode, le tribunal a rejeté les accusations de l’avocat de Bolloré, reprochant au journaliste de ne pas avoir contacté à temps ses clients.

L’avant-veille de la diffusion, Dominique Lafont, directeur Afrique du groupe, avait finalement accordé un entretien, non intégré à l’émission mais diffusé sur le site de France Inter.

Conclusion des juges :

« C’est à tort que les parties civiles font reproche aux prévenus d’avoir délibérément manqué au principe de l’enquête contradictoire, faute pour eux de les avoir mises en demeure de faire utilement valoir leur point de vue.

[…] les journalistes sont libres de leur méthode de travail et invoquent, en l’espèce, la difficulté de mener une enquête sur des grands groupes capitalistiques, le plus souvent soucieux de faire prévaloir une communication institutionnelle sur de libres investigations journalistiques. »

Enfin, le cas de la Socapalm, que nous avions détaillé lors de la seconde audience du procès, a été longuement examiné. Cette palmeraie exploitée par Bolloré et la famille belge Fabri connaît des conditions de travail assez pitoyables, surtout pour les journaliers payés à la tâche. Sur ce passage de l’émission, les juges ont retenu la bonne foi. Au total, Benoit Collombat n’est reconnu coupable que sur une seule imputation, celle de la Camrail.

Le communicant du CAC 40, Michel Calzaroni, nous l’avait dit à l’audience : en attaquant France Inter, « Vincent » veut faire un « exemple ». Calzaroni, sortant du prétoire : « Nous ne laisserons plus les médias dire n’importe quoi. Chaque fois que des propos diffamatoires seront prononcés, nous attaquerons. »

Voilà la presse avertie. Au prochain écart, direction la XVIIe chambre du TGI.

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