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ReportageLuttes

Bulldozers, béton, arbres coupés : la future A69 détruit tout sur son passage

Le chantier de la future autoroute Toulouse-Castres s’intensifie. À terre ou perchés dans les arbres, les opposants se disent prêts à « faire du remue-ménage ».

Tarn, reportage

Dans la campagne tarnaise, le projet de la nouvelle autoroute A69, qui doit relier Toulouse à Castres, avance à marche forcée. Depuis le début de l’été, tout s’est accéléré. Des abatteuses coupent des arbres multicentenaires, des bulldozers dévorent des collines boisées. Partout, la terre est décapée pour laisser la place au ruban d’asphalte.

« Ça y est, les travaux ont véritablement commencé », alertent les opposants. Les recours juridiques, toujours en cours, n’ont pas empêché le démarrage du chantier. Aujourd’hui, des centaines d’ouvriers s’affairent sous un soleil de plomb. Des algecos et des bases de vie ont été placés le long du tracé de la future autoroute. À deux pas, sur la route existante, la nationale 126, des dizaines de camions chargés de gravats font des allers-retours dans un panache de poussière. Des pelleteuses creusent des bassins de rétention sous le regard attentif des patrouilles de gendarmes.

Construction d’un viaduc au-dessus de l’Agout, où la présence de la loutre avait été remarquée. © Alain Pitton / Reporterre

Les travaux donnent l’impression d’une mobilisation générale. De petites équipes autonomes en chasuble s’activent sur une cinquantaine de kilomètres. Sur la zone du Mélou, près de Castres, ils construisent un viaduc qui enjambera la rivière de l’Agout. Les bétonnières sont déjà en action. Des barrières avec des barbelés délimitent le chantier interdit au public. Les loutres qui peuplaient les rives ont, selon toute vraisemblance, déserté les lieux.

« NGE attaque de tous les côtés »

À Soual, cinq kilomètres plus loin en direction de Toulouse, une douzaine d’hectares a été terrassée et aplanie pour préparer la construction d’un échangeur. L’ancienne prairie ressemble à un désert. Sur le sol, il n’y a plus aucune végétation, seulement une terre rouge et craquelée, qui se soulève au vent.

À Maurens-Scopont, des engins de démolition détruisent d’anciennes maisons en bord de route. Les ouvriers l’assurent : « En deux jours, ça sera plié. » Le toit s’effondre, éventré sous le coup des machines. Plus loin, des grues et des foreuses ont été installées.

Le chantier trace comme une coulée de terre au milieu des champs, un tapis roulant jusqu’à la métropole toulousaine. Au total, plus de 310 hectares seront artificialisés si le projet arrive à son terme.

Tanus, un des grimpeurs de Soual, sur l’ex-prairie : « Face aux travaux, on fait du yoyo émotionnel, on a de la colère, de la tristesse, mais on est déterminés. On restera là coûte que coûte. » © Alain Pitton / Reporterre

La rapidité des aménageurs a de quoi donner le tournis. À côté de Cuq-Toulza, c’est un petit bois qui est en train d’être rasé. Les feuillages fracassent au sol, non loin d’une ripisylve, une forêt riveraine d’un cours d’eau. Des souches sont arrachées et brûlées par une entreprise qui s’appelle Les Soins modernes des arbres (SMDA).

Lorsque l’on s’approche du chantier, les équipes s’arrêtent subitement. Consigne a été passée d’éviter d’être pris en photo en action, confie un ouvrier. Derrière eux, une voiture de vigile avec des chiens veille. « On n’y croit pas à cette autoroute, mais que voulez-vous, faut bien manger », concèdent les travailleurs du BTP, à l’ombre d’un algeco.

Modules en béton pour la construction d’un ouvrage d’art. L’eau vient de la nappe phréatique sous-jacente. © Alain Pitton / Reporterre

Du côté des opposants, la sidération se mêle à la colère. « NGE [le concessionnaire] attaque de tous les côtés. On ne sait plus où donner de la tête ». Il y a une dizaine de jours, ils n’ont pas réussi à stopper l’abattage de platanes à Vendine face à deux escadrons de gendarmes mobiles, un hélicoptère, un drone et des caméras thermiques.

« Ça fait mal au ventre, c’est insupportable, s’écrie Alain, un paysan à la retraite, devant l’ampleur des travaux. Depuis mon adolescence, je vois la terre se recouvrir de béton. Quand est-ce que cela s’arrêtera ? »

« Ça fait mal au ventre, c’est insupportable », se désole Alain, un paysan à la retraite. © Alain Pitton / Reporterre

« Il ne faut pas abandonner le combat »

Les opposants ne se disent pas pour autant désemparés. Au contraire. Le bras de fer est toujours engagé. « Les dégâts ne sont pas irréversibles. Il ne faut pas abandonner le combat », assure Alain. Les militants ont déplacé leur campement et se sont perchés dans deux autres lieux en sursis à la Bourrelie, au pied de pins parasols, et à Soual, dans un petit camp avancé au bord de la nationale. Du haut des arbres occupés, on peut entendre le bruit des pelleteuses.

« C’est dur de voir qu’ils avancent autour de nous, mais on ne peut pas être partout et courir derrière chaque abatteuse. Ici, au moins, on est indélogeable », raconte Ubac, un des grimpeurs activistes, accroché en haut de son « arbre bastion ». Harnaché en permanence, en cas de descente de police, Ubac dort sur son arbre depuis dix jours.

Ubac sur la plateforme dans le platane. Derrière lui, les travaux ont détruit ce qui était une prairie. © Alain Pitton / Reporterre

Plusieurs plateformes ont été construites sous les frondaisons et les grimpeurs — la plupart professionnels (arboristes, cordistes et élagueurs) — ont mis à profit leur savoir-faire pour la lutte. Des appels à les rejoindre ont été lancés et des soutiens arrivent de toute la France. Des riverains leur apportent aussi de quoi tenir au quotidien (de la nourriture, du matériel de camping, etc.). Les grimpeurs se font appeler « les écureuils » ; leurs soutiens, « les abeilles ».

Si dans un premier temps, la stratégie de l’aménageur semble avoir pris de court les opposants, ces derniers veulent désormais reprendre l’initiative. Sous les barnums, dans les campements, on s’interroge. On cherche « la faille » pour faire plier les politiques et le concessionnaire.

En avril dernier, la manifestation de 8 200 personnes avait posé un premier rapport de force que les opposants veulent aujourd’hui prolonger. Une autre mobilisation est prévue le 21 et 22 octobre prochain et d’ici là, les militants affirment vouloir continuer « à faire du remue-ménage ». La lutte doit passer un cran supplémentaire, selon eux.

À proximité de Soual, cet immense terrain totalement dénudé était encore une prairie cet été. © Alain Pitton / Reporterre

Depuis le 11 septembre, sept personnes se sont mises en grève de la faim à la suite du défenseur des arbres Thomas Brail et ont installé un campement devant le conseil régional à Toulouse. Après douze jours de grève, le 12 septembre, Thomas Brail a d’ailleurs dû être examiné à l’hôpital suite à un malaise, assorti de douleurs thoraciques aiguës. Il en est ressorti au bout de quelques heures.

« La rapidité de NGE prouve aussi sa fébrilité »

L’A69 n’a rien d’inéluctable, assurent les opposants. « C’est un projet d’arrière-garde, une autoroute d’un autre temps, comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes à son époque », disent-ils.

« La rapidité de NGE prouve aussi sa fébrilité, estime Denis, du collectif La Voie est libre. L’entreprise sait que le projet est fragile et sur la sellette. Ils veulent aller le plus vite possible pour rendre le projet inéluctable et nous décourager. Ils savent que cette autoroute a des chances d’être abandonnée. En cas de rétractation, ils veulent montrer la facture la plus salée possible à l’État. »

L’entreprise a déjà dépensé des dizaines de millions d’euros et vu l’intensification de ses activités, le chiffre ne cessera de grimper. Contactée par Reporterre, l’entreprise n’a pas répondu à nos sollicitations.


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