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Énergie

Ces panneaux solaires qui rasent la forêt

Encore minoritaire, l’installation de panneaux photovoltaïques sur des forêts n’en demeure pas moins problématique d’un point de vue écologique. Reporterre a identifié 82 projets et 3 400 hectares de forêts menacés.

Des panneaux solaires à la place des arbres ? Depuis des mois, associations et citoyens alertent Reporterre sur ce mode original de déploiement du photovoltaïque. Beaucoup ont déjà entendu parler d’Horizeo, mégaprojets de panneaux sur 1 000 hectares, à Saucats, dans la forêt landaise. Peu connaissent son voisin, le parc des « Landes de Gascogne », dans le Lot-et-Garonne, en bordure du massif : 1,2 gigawatt (GW) de puissance prévu sur 2 000 hectares, dont 700 de forêts.

Parc photovoltaïque dans les Alpes du Sud. © Vincent Verzat/Reporterre

« Oui, mais les Landes ne sont pas de la “vraie” forêt. » C’est ici l’argument — un brin cynique — des promoteurs, qui récupèrent désormais à leur compte l’argumentaire des militants écologistes contre ces plantations. Les monocultures de pin maritime n’ont effectivement pas les caractéristiques d’un écosystème forestier complet, sur plusieurs étages et surtout un sol forestier constitué. Pour autant, le dessouchage et l’arasement du sol nécessaire à l’installation de panneaux n’a quand même rien à voir avec la plantation d’espèce végétale, même en monoculture.

Parc photovoltaïque dans les Alpes du Sud. © Vincent Verzat/Reporterre

Cet argument de la « vraie forêt » semble aussi utilisé dans d’autres cas. Dans les Alpes du Sud, des mobilisations commencent à s’organiser contre une multiplication de projets, sur des zones montagneuses de garrigues et de forêts. Là encore, la justification reste similaire : ces bois sont jeunes, âgés de 50 à 100 ans. Ce sont des forêts dites « pauvres » ou à « faible valeur », surtout d’un point de vue économique. Les communes, qui sont les principales bénéficiaires de ces projets qui se situent sur des terres publiques, préfèrent ainsi voir leurs surfaces foncières être plus rentables en y posant des panneaux. Une absurdité sur le long terme, car un sol forestier met « près de 150 ans à se constituer sur une couche suffisante, propice à l’implantation de nouvelles espèces à l’ombre des pionnières », explique Pierre Leloup, forestier dans les Hautes-Alpes. Et ces éclaircies brutales ont en plus tendance à fragiliser les peuplements limitrophes, soudainement mis en pleine lumière.

Parc photovoltaïque dans les Alpes du Sud. © Vincent Verzat/Reporterre

82 projets sur 3 400 hectares

Mais qu’est-ce que représentent quelques dizaines de projets à l’échelle du pays ? Pour en avoir une idée plus claire, nous avons épluché des centaines d’avis des treize missions régionales d’autorité environnementale (MRAE), dont les archives des avis remontent jusqu’à 2018. Tout projet sur une zone boisée ou naturelle doit normalement être examiné par cette autorité, qui évalue la qualité du dossier d’étude d’impact.

© Alexandre Pillondeau/Reporterre

Bilan : oui, la grande majorité des projets photovoltaïques sur zones naturelles sont pour le moment prévus sur des zones déjà artificialisées — carrières, mines, ancienne décharge ou zone de remblais, délaissés d’autoroutes. Ce qui n’empêche pas d’avoir des enjeux de biodiversité forts, surtout si l’activité est abandonnée depuis des décennies. Et ce « gisement » de projets est en train de s’épuiser rapidement. Sur les quatre dernières années, l’installation de panneaux photovoltaïques sur des forêts demeure encore un phénomène minoritaire tant en surface qu’en nombre de projets. Mais cette dynamique n’en est pas moins contradictoire avec les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie, selon laquelle « les installations sur les toits, les sols artificialisés comme les parcs de stationnement, et les terrains en friche seront privilégiées ».

Les projets de parcs photovoltaïques par région :


En plus des deux gigaprojets landais évoqués, Reporterre a identifié 80 autres projets de centrales photovoltaïques problématiques d’un point de vue écologique. L’analyse faite par nos confrères de Basta ! il y a un an se confirme : ce phénomène se concentre surtout dans la moitié sud du pays, mais depuis deux ans les ambitions des développeurs touchent aussi d’autres départements : Dordogne, Lot, Aude, Gard, Hautes-Alpes, et maintenant la Bourgogne jusqu’aux Ardennes. Des projets sur tous types de forêts : des plus jeunes aux plus anciennes, pouvant héberger des zones humides, des espèces remarquables, avec une dominante large de conifères, mais aussi des feuillus, y compris des chênaies.

© Stéphane Jungers/Reporterre

Voir la liste complète des parcs et projets par région.


En soi, 82 projets et 3 400 hectares ne représentent que 0,2 % des surfaces forestières totales du pays et ne posent pas à ce stade un problème d’équilibre des massifs. Pourtant, cette dynamique assez nouvelle interroge sur les motivations de promoteurs qui multiplient des projets très rentables sur des zones favorables en matière d’ensoleillement au détriment d’espaces naturels, accentuant la fragmentation des habitats et surtout l’artificialisation de zones naturelles. Si l’on n’y prend garde, le projet de « loi d’exception » pour accélérer le déploiement des énergies renouvelables qu’Emmanuel Macron prépare pour cet été risque de se faire au dépens des enjeux tout aussi urgents de préservation de la biodiversité.


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