Ces paysans bretons qui renouent avec le sarrasin

Pierre-Yves Heluard cultive du sarrasin en Ille-et-Villaine. - © Scandola Graziani/Reporterre
Pierre-Yves Heluard cultive du sarrasin en Ille-et-Villaine. - © Scandola Graziani/Reporterre
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Alimentation Agriculture AlternativesLe sarrasin, qui a failli disparaître dans les années 1960 en Bretagne, fait son grand retour. Rencontre avec un couple de paysans qui le cultive à partir de semences paysannes, en bio.
Pont-Péan (Ille-et-Vilaine), reportage
À Pont-Péan, une petite commune au sud de Rennes, Pierre-Yves et Manon Heluard cultivent et moulent eux-mêmes leur propre blé noir, pour en faire des galettes — un mets très apprécié en Ille-et-Vilaine (35). Breton et fils d’agriculteur, le jeune fermier de 37 ans avoue qu’il ne connaissait, à la base, rien au sarrasin : « J’ai grandi en Bretagne, mais je n’avais pas vu beaucoup de champs de sarrasin quand j’étais jeune, parce qu’il n’était presque plus cultivé. »
Et pour cause : à partir des années 1960, le blé noir a perdu du terrain dans les champs bretons, à tel point qu’il a failli disparaître, au profit des cultures de blé et de maïs encouragées par la politique agricole commune (PAC) pour nourrir l’élevage. En 1980, il n’en restait plus que quelques centaines d’hectares.
Mais depuis vingt ans, le blé noir fait son grand retour dans la région. Une dynamique qui s’intensifie ces dernières années, puisqu’en 2022, 7 880 hectares de sarrasin ont été cultivés en Bretagne, contre 4 350 en 2019, selon des données de la PAC communiquées par France Agrimer.

En agriculture biologique, de nombreux producteurs lui trouvent des vertus, comme Pierre-Yves Heluard, qui s’est aperçu que cette plante pouvait beaucoup lui apporter : « C’est un engrais naturel souvent utilisé en bio. On peut l’utiliser en couvert végétal, ou en interculture, pour enrichir le sol. On retrouve aussi des graines de sarrasin dans les mélanges d’engrais verts proposés par les semenciers. »
Le sarasin est considéré à tort comme une céréale. Appartenant à la famille de l’oseille et de la rhubarbe, elle n’est pas difficile à cultiver en Bretagne. Elle apprécie en effet les sols acides, comme c’est le cas dans cette région très granitique. Cette année, Pierre-Yves et Manon en ont planté 16 hectares : « Le plus difficile, c’est la récolte, car on a besoin de monde pour battre le grain, et puis, il faut que la météo soit bonne… »
Ce qui n’est pas toujours le cas à l’automne en Bretagne, période de moisson du blé noir qu’on appelle aussi « la plante des cent jours », car il est récolté un peu plus de trois mois après avoir été semé.
Le paysan bio utilise un mélange de semences paysannes
Parent de trois petites filles en bas âge, le couple d’agriculteurs parvient à vivre correctement grâce à ces graines noires — « même s’il faut parfois travailler plus de cinquante heures par semaine ». Ils ont également un employé : « À trois actifs, on produit environ huit tonnes de farine de sarrasin et environ 200 000 galettes par an. » Les produits sont ensuite vendus en circuit court aux magasins bio du coin, ou directement à la ferme.
Pour le galettier (producteur de galettes) de Pont-Péan, travailler le sarrasin du « champ à l’assiette » est surtout une façon de reprendre le contrôle sur l’ensemble de sa production. Crêpier de formation, il a travaillé dans plusieurs restaurants parisiens sans toujours connaître l’origine des farines qu’il utilisait : « Je n’avais aucun lien avec le produit, et je trouvais ça très frustrant. J’avais envie de faire autre chose, et de retrouver cette connexion avec la terre. »
Aujourd’hui, il connaît si bien ses graines de sarrasin qu’il est capable de les distinguer à leur forme. « J’utilise un mélange de variétés paysannes comme le Petit Gris, le Prussien, et aussi la Harpe », précise-t-il en plongeant la main dans un bac de blé noir pour en extraire une poignée de graines sombres.
Cet assemblage de variétés lui vaut les compliments de nombreux locaux. « Les anciens me disent souvent que mes galettes leur rappellent celles de leur enfance », rapporte timidement celui qui est arrivé deuxième au concours de la meilleure galette de Pipriac, une véritable institution dans la région.
Guerre en Ukraine oblige, la production locale a augmenté
Renouer avec la tradition, c’est aussi ce que recherche l’association Blé noir tradition Bretagne, qui a obtenu, en 2010, la création d’une indication géographique protégée (IGP). Depuis, elle veille au respect du cahier des charges à chaque stade de la filière : production du sarrasin, collecte et stockage, et fabrication de la farine par les meuniers.
Cette année, l’association a mené une vaste campagne de communication, encourageant à cultiver du blé noir pour faire face à la pénurie causée par la guerre en Ukraine, l’un des principaux pays exportateurs de sarrasin avec la Russie. L’appel a été largement entendu par les agriculteurs bretons : « On est passé de 3 170 hectares de blé noir IGP en 2021, à 3 850 en 2022. C’est un bel élan de solidarité », se réjouit Séréna Fortin, vice-présidente de l’association.
Pour l’agricultrice morbihannaise, l’appellation IGP est une vraie garantie : « Je suis fière de produire une graine dont je peux suivre le parcours ensuite, jusqu’aux gens qui la consomment. C’est l’une des plus grandes fiertés en tant que productrice. »

Tout le monde ne le voit pas forcément de cette manière. Pierre-Yves Heluard, par exemple, n’est pas intéressé par l’obtention de l’appellation. Pour être estampillé IGP, le grain doit passer par différentes étapes. Or, certaines, comme le stockage et le séchage, sont prises en charge par des grands organismes collecteurs comme Eureden : « Ça ne correspond pas au modèle d’agriculture que j’ai choisi », résume l’agriculteur bio.
En plus, ses souches paysannes ne sont pas éligibles au cahier des charges de l’IGP qui restreint à un seul type variété. Le jeune paysan préfère donc conserver son système de production en vase clos, qui lui offre plus de liberté.