Chacals dorés en France : « Ils sont peut-être là, sous nos yeux »

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Aperçu pour la première fois en France en 2017, le chacal doré reste très discret sur le territoire. Son installation, encore épisodique, pourrait provoquer des changements sur les écosystèmes. La cohabitation avec les agriculteurs, elle, reste à inventer.
Dans l’obscurité de la forêt, apparaît un animal. Bien trop imposant pour être un renard, ce n’est pas non plus un loup. Alors qui est-il ? Le flash se déclenche. Réalisée par le naturaliste Christophe Gilles en 2018, cette photographie est la toute première image en couleur d’un chacal doré (Canis aureus) sur le territoire français. Depuis quelques années déjà, ce membre de l’association France Nature Environnement (FNE) se doutait de l’arrivée imminente du prédateur : « Un jour, j’ai décidé de partir à la recherche d’indices. J’ai installé un piège photographique à côté d’une carcasse de sanglier, sur laquelle j’étais tombé par hasard… Et bingo ! Au bout d’un mois et demi, le charognard est passé devant les détecteurs de mouvement. »
Observé pour la première fois en 2017, cet animal venu d’Orient ne s’est depuis montré qu’à trois reprises. Haute-Savoie, Bouches-du-Rhône, Deux-Sèvres… Ses apparitions sont furtives. Chef de projet à l’Office français de la biodiversité (OFB), Yoann Bressan a été chargé par le ministère de la Transition écologique de suivre l’arrivée de l’espèce dans le pays. Une tâche délicate au vu de la discrétion de l’animal : « Pour l’instant, aucun élément ne nous permet d’affirmer qu’il s’est installé ici de façon pérenne. Mais il est là... »

Une brèche ouverte par les loups
Pour fouler les forêts savoyardes, le chacal doré a entrepris un immense périple à travers le continent asiatique, il y a plus de 20 000 ans. Une conquête de l’Occident, au départ de l’Inde, dont s’est pris de passion Nathan Ranc, chercheur diplômé de l’université américaine Harvard : « Ils sont certainement passés par le Caucase pour contourner la mer Noire et atteindre l’Europe, raconte-t-il à Reporterre. On pense même que certains auraient pu traverser à la nage le détroit du Bosphore, en passant directement par l’actuelle Turquie. » Une fois l’Ancien Continent [1] pénétré, l’animal s’est installé dans le sud-est de l’Europe, en Grèce et sur les côtes croates et bulgares. Une première escale de plusieurs millénaires.
Ce n’est qu’au début du XXe siècle que le chacal a entamé une nouvelle expansion. Mais un obstacle s’est dressé face à lui : le loup. Cet efficace prédateur abonde dans les Balkans et le massif montagneux des Carpates, s’érigeant comme une barrière infranchissable pour son proche cousin. C’est finalement la triste bêtise humaine qui a ouvert une brèche dans la muraille : « À ce moment de l’histoire, se sont enchaînées plusieurs campagnes de persécution systématique des carnivores, dont les loups, raconte Nathan Ranc. Des hommes étaient rémunérés pour les empoisonner et les tuer. » Si elles ont drastiquement réduit la population de chacals, ces vagues meurtrières et le massacre des loups leur ont aussi ouvert la porte sur le reste du continent…
Reparti de plus belle dans les années 1960, le chacal doré a colonisé la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, jusqu’à atteindre les plaines de l’actuelle Hongrie. À partir de 1995, un foyer au cœur de l’Europe centrale s’est développé et a offert ainsi l’opportunité aux plus vadrouilleurs de partir explorer l’Europe occidentale. Vingt-deux ans plus tard, le premier chacal doré était observé en France.

« Ils sont peut-être là, sous nos yeux »
Une fois en âge de survivre seuls, les jeunes chacals partent à la recherche d’un nouveau territoire. Ils remontent généralement les grands cours d’eau, comme le Danube. La majorité d’entre eux trouve de quoi s’établir à quelques dizaines de kilomètres de leurs terres natales. Lente mais continue, cette vague de progression de l’espèce constitue le front de colonisation.
« Certains vont cependant beaucoup plus loin, nuance Nathan Ranc. Ils quittent les zones où les populations de chacals sont trop denses pour s’établir là où elles sont faibles. Isolés, ils peuvent alors parcourir des milliers de kilomètres, parfois même jusqu’au cap Nord en Norvège, à la recherche d’un ou d’une partenaire pour s’accoupler. Par moments, le hasard fait qu’ils trouvent ! Ils fondent alors de petits noyaux de population à des distances très importantes du foyer principal. »
« Il est impossible de savoir où ils sont aujourd’hui. »
Les spécimens observés en France faisaient sans nul doute partie de ces aventuriers téméraires. Sont-ils parvenus à fonder une population durable dans l’Hexagone ? Pour l’heure, la rareté des observations semble indiquer le contraire. Certains n’étaient peut-être d’ailleurs que de passage : « Il est impossible de savoir où ils sont aujourd’hui. Ils sont peut-être là, sous nos yeux, ou déjà partis très loin », admet Christophe Gilles.
Un allié utile aux agriculteurs ?
Cela prendra quelques mois ou quelques décennies, mais une chose est sûre : l’installation durable du chacal doré en France se fera. Référent de l’espèce à l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Nathan Ranc s’interroge donc sur les changements qu’elle pourrait provoquer sur l’écosystème en place, à commencer par le renard : « Le régime alimentaire des deux espèces se recoupe jusqu’à 80 %. Il n’est pas possible de concevoir que ça n’ait pas de conséquences sur les renards. Il y en aura très certainement un. Mais de quelle magnitude ? » S’il ne croit pas à la disparition définitive du canidé roux en France, le doctorant de Harvard imagine toutefois que le chacal doré, plus puissant, y réduira probablement les populations de renards.
Quant au loup, les niches écologiques des deux espèces sont assez clairement distinctes. L’un se nourrit de grands gibiers, comme le cerf, qu’il chasse en meute dans les montagnes. L’autre, principalement de charognes et de petits mammifères qu’il débusque généralement dans les champs. « Le loup pourrait néanmoins percevoir le chacal comme un compétiteur et donc, lorsqu’il en a les moyens, l’éliminer. Le loup pourrait ainsi réguler les populations de chacals et celles de renards », conclut Nathan Ranc.
Inexorablement, l’humain est voué à entrer dans cette équation. Si la cohabitation entre les loups et les éleveurs est très conflictuelle, Yoann Bressan a bon espoir pour le chacal doré : « Il pourrait au contraire être un allié fort utile aux agriculteurs. En dehors des charognes, ses proies principales sont les micromammifères, comme le campagnol, qui peuvent faire des dommages considérables sur les grandes cultures. » Les services écosystémiques qu’il rend lui permettront-ils demain d’être accepté par l’humain ? Rien n’est moins sûr dans un pays où le renard, au profil similaire, est classé parmi les espèces « nuisibles ».