Chères et polluantes, les armes nucléaires plombent la transition écologique

Un Mirage 2000N français en 2013, qui était alors l'un des avions capables de transporter les missiles nucléaires français. - OGL v1.0/Sgt Ralph Merry ABIPP RAF/MOD
Un Mirage 2000N français en 2013, qui était alors l'un des avions capables de transporter les missiles nucléaires français. - OGL v1.0/Sgt Ralph Merry ABIPP RAF/MOD
Pour l’autrice de cette tribune, le désarmement nucléaire est essentiel à la préservation de l’environnement. Mais si les traités internationaux font avancer cette question, la France, qui tient à sa coûteuse force de dissuasion, est à la traîne. Emmanuel Macron a récemment reconnu une dette de l’État français envers la Polynésie où des essais ont été menés, sans toutefois présenter d’excuses.
Inès Lopes, stagiaire et membre de ICAN France, branche française de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires, organisation prix Nobel de la paix 2017.
Pour être efficace, la lutte contre le dérèglement climatique devra être globale. Cela implique de ne pas écarter l’impact et le danger des armes nucléaires, trop souvent oubliées. Car ces deux menaces, environnementale et nucléaire, sont étroitement liées : elles représentent aujourd’hui les principales causes pouvant conduire à la fin de l’Humanité, d’après les scientifiques du Bulletin of the Atomic Scientists.
La production, la modernisation, l’entretien des armes nucléaires nuisent quotidiennement à notre environnement et gaspillent nombre de ressources : financières, humaines et naturelles. Les 210 essais nucléaires, atmosphériques comme souterrains, menés par la France entre 1960 et 1996, en Algérie et en Polynésie, ont ainsi eu de nombreux effets sur la faune, la flore et sur les humains qui perdurent toujours près de soixante ans plus tard. Pour Roland Oldham, président de l’association Moruroa e tatou, « nos enfants marchent sur du plutonium » en raison des nombreuses retombées radioactives. En Polynésie, 170 000 personnes auraient ainsi été exposées aux radiations lors des essais menés sur l’archipel.
Des matières radioactives enfouies dans le sable, la Terre, les océans
Et, comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement français a enfoui dans les sables des déchets (chars, voitures, métaux) en quantité inconnue, pour la plupart radioactifs, et en a « océanisé » (autrement dit « jeté ») près des atolls. Selon l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), pour la Polynésie, la quantité serait de plus de 3 000 tonnes. En 2021, ces déchets sont toujours sur place. Il ne faut pas oublier non plus la masse importante de matières radioactives de haute activité que chacune des explosions souterraines a enfermées dans les entrailles de la Terre — pour combien d’années ?

Tant que des États disposeront de cette arme de destruction massive, toute politique de protection de l’environnement ne sera que partiellement efficace. Fort heureusement, quelques victoires en matière de désarmement nucléaire ont permis de renforcer la protection de l’environnement contaminé, et notre sécurité. Depuis 2007, la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires, récipiendaire du prix Nobel de la paix 2017, lutte pour l’élimination de ces armes de destruction massive (ADM). ICAN a joué un rôle clé dans la négociation et l’adoption, le 7 juillet 2017, par 122 États, du Traité des Nations unies sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN).
En vigueur depuis le 22 janvier 2021, ce TIAN compte, en ce mois de juillet 2021, 86 signataires, dont 55 États membres. Outre qu’il reconnaît dans son préambule que « les effets catastrophiques des armes nucléaires […] ont des répercussions profondes sur la survie de l’humanité [et de] l’environnement », ce traité historique comporte des obligations positives d’assistance aux victimes et de remise en état de l’environnement contaminé (article 6). C’est une première pour un traité international juridiquement contraignant relatif aux ADM ! L’article 7 prévoit également la possibilité de solliciter l’assistance (humaine, financière, technique) d’un autre État membre afin que chaque État concerné puisse remplir ses obligations découlant de l’article 6.
ICAN œuvre aujourd’hui à l’universalisation et à l’application du traité. Plusieurs actions en ce sens sont menées au niveau international et national. Un Appel des villes a, par exemple, été lancé en 2017, qui permet aux villes d’États possédant l’arme nucléaire de soutenir le TIAN et de faire pression sur leur gouvernement afin qu’il adhère au Traité. En juillet 2021, cet Appel compte 518 villes, telles que Berlin, Canberra, Luxembourg, Oslo, Toronto, ou encore Washington D.C. En France, 52 villes soutiennent l’Appel, dont Paris, Lyon, Trappes ou encore Grenoble.

La France se veut championne de la protection environnementale, mais maintient dans le même temps une importante politique de dissuasion nucléaire, qui lui a coûté, en 2020, 4,7 milliards d’euros, soit une dépense de 8 969 euros par minute ! C’est autant d’argent qui n’a pas été consacré à l’environnement et à la santé de ses citoyens. Et la facture s’annonce lourde, puisque le montant total qu’elle consacrera de 2021 à 2025 à ses forces nucléaires est estimé à 27,85 milliards d’euros ! Sans oublier qu’il s’agit là de sommes « officielles », donc qui ne comprennent pas l’ensemble des coûts liés à ces armes.
Cette politique de dissuasion pousse également la France à rejeter le TIAN et à contredire l’ensemble de ses efforts environnementaux et écologiques. Malgré ce refus d’ouvrir le débat sur le TIAN par le pouvoir exécutif, 31 parlementaires français ont décidé de soutenir le Traité en signant l’Engagement parlementaire lancé par ICAN France. Tous sont conscients que, sans désarmement nucléaire, la protection de l’environnement ne pourra être effective.
Ces premières victoires ont permis d’enclencher un mouvement vers un monde durable et plus sûr. Pour que ce mouvement soit mené à bien, il est temps que chacun prenne pleinement conscience du lien étroit entre ces deux menaces. Devant l’accélération de la course aux armements, intégrer le refus du nucléaire militaire à la lutte contre le dérèglement climatique doit se faire sans délai. Il est de notre responsabilité d’agir ensemble pour mettre fin à ces menaces grandissantes.