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Climat

Climat : la montée des eaux menace le littoral aquitain

Sur le littoral aquitain, le trait de côte diminue inexorablement. Face à cette situation, élus, propriétaires privés, scientifiques, collectivités et État se heurtent à la question des financements, à la fois pour payer les dégâts et investir dans des aménagements adaptés.

  • Lacanau (Gironde), reportage

Comme disait le chanteur, « c’est la mer qui prend l’homme... » À Soulac-sur-Mer, à l’embouchure de l’estuaire de la Gironde, elle emporte même des immeubles. Devenu le symbole français de l’érosion côtière, l’immeuble Le Signal a fait les frais de la prétention humaine à défier la nature. Comme un navire amiral planté le long des côtes atlantiques, cette immense construction de logements pour vacanciers est le symbole des bouleversements climatiques. Avec la multiplication des tempêtes et l’érosion dunaire, la barre de béton n’est plus qu’à une douzaine de mètres de l’océan, alors qu’il en était à plus de 200 au moment de sa construction en 1967. Grignoté par les eaux, en équilibre sur la dune, battu par les vents, Le Signal a dû être évacué en 2014 et ses 78 appartements sont maintenant vides.

À Lacanau.

Après une longue bataille juridique autour de la question de l’indemnisation, l’Assemblée nationale a adopté en décembre 2018 un amendement porté par Benoît Simian (La République en marche, LREM, Gironde). Cet amendement doit permettre l’indemnisation des copropriétaires en comblant un vide juridique : l’érosion dunaire ne faisant pas partie des conditions justifiant le recours au fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier. Les copropriétaires n’avaient jusqu’alors pas pu être indemnisés. Ce sont donc 7 millions d’euros de la mission Écologie, développement et mobilités durables qui devraient être débloqués pour financer l’indemnisation des copropriétaires. Ce vide juridique n’a pas d’équivalent en France à ce jour, et cette décision illustre les problèmes de financements qui vont se poser à l’avenir pour faire face à un phénomène qui va s’amplifier. Qui, de l’État, des collectivités locales, des propriétaires privés ou des assurances devra faire face et financer les dégâts causés par l’inexorable montée des océans ?

« Ce qu’il faut absolument, c’est une loi spécifique aux communes des littoraux » 

Car la situation s’aggrave. En 2016, l’Observatoire de la côte aquitaine publiait une nouvelle projection de l’érosion de son littoral, depuis l’estuaire de la Gironde au nord, jusqu’à la Bidassoa au sud, soit 270 km de longueur. Cela en vue d’analyser les possibles positions futures du trait de côte. Alors que le précédent rapport de 2011 cartographiait l’évolution aux horizons 2020 et 2040, celui de 2016 avance des projections pour 2025 et 2050. L’étude conclut à « une hausse globale du retrait à 2,5 mètres par an, alors qu’en 2011, on évoquait de 1 à 3 mètres. Soit une érosion de 20 et 50 mètres respectivement pour les horizons 2025 et 2050, sans évoquer de nouvelles tempêtes dévastatrices ». L’Observatoire avance le chiffre de la perte en surface de 1.873 terrains de football sur la côte sableuse d’ici 2050. Ces forts taux d’érosion sont essentiellement situés dans les zones d’embouchure : de la pointe de la Grave à la pointe de la Négade (Médoc), du cap Ferret à Biscarrosse et du gouf de Capbreton à l’estuaire de l’Adour. Les faibles taux d’érosion se trouvent à partir du sud de la commune de Lacanau jusqu’au nord de Lège-Cap-Ferret.

À Lacanau-Océan, justement, la station balnéaire fondée au début du XXe siècle n’a quasiment plus de plage à marée haute. Le trait de côte recule de 1 à 2 mètres par an en moyenne et les jours de grandes marées, l’océan vient se fracasser contre une grande digue construite en 2014 après une terrible tempête hivernale. Le maire centriste, Laurent Peyrondet, explique que « cette tempête a fait que tout le monde a pris conscience du phénomène. Ici, dès 2016, la commune a adopté sa stratégie locale face à l’érosion. Deux scénarios ont été retenus : la construction d’un nouveau mur ou un “repli stratégique” d’une partie du front de mer qui concernerait environ 1.200 appartements et commerces ». Problème : pour l’instant, la commune n’a pas les moyens de ces scénarios, ni de l’un ni de l’autre. Selon M. Peyrondet, « cela représente un investissement de 400 millions d’euros d’ici 2050. La digue de 2014 avait déjà coûté 3 millions d’euros, financée à 75 % par la commune et à 25 % par l’État ». Pour un gros village d’à peine 1.500 âmes en hiver, avant l’invasion touristique de l’été, la facture est très lourde.

Le maire de Lacanau-Océan, Laurent Peyrondet.

En attendant, Lacanau a adopté un plan local d’urbanisme (PLU) un peu particulier avec la possibilité d’installer sur le front de mer de l’habitat démontable, sorte d’Algeco habillés, ou des modules transportables. Le PLU, traduit en zone urbaine littorale (UBL), a aussi réduit de 57 % les surfaces constructibles et augmenté de 7 % les surfaces boisées. La commune a également intégré le GIP (groupement d’intérêt public) Littoral aquitain qui regroupe l’État, la région et les collectivités locales. Le groupement fournit une aide méthodologique pour rédiger les cahiers des charges et recruter des cabinets d’experts. Il assure l’animation des réunions d’échanges entre les différents intervenants et accompagne la ville dans la recherche de financements et de solutions techniques. Mais, dit le maire, « les études coûtent très cher et nous n’avons pas aujourd’hui les moyens juridiques de préempter du logement privé. Ce qu’il faut absolument, c’est une nouvelle loi permettant cela, une loi spécifique aux communes des littoraux ».

Les deux scénarios de la ville de Lacanau.

« Tout le monde sait que la multiplicité des évènements climatiques va déboucher sur une situation explosive » 

La question se pose également un peu plus au sud. La commune de Lège-Cap-Ferret, en partie située sur la presqu’île entre l’océan Atlantique et le parfois bouillonnant bassin d’Arcachon, doit agir sur deux fronts. Au Cap-Ferret, à l’entrée du bassin et face à la dune du Pyla, des plages ont dû être fermées cet hiver et le préfet a récemment annulé un PLU qui prévoyait de nouvelles constructions dans ce lieu très prisé. Pour Vital Baude, élu Europe Écologie-Les Verts (EELV) à la région et à Arcachon, et vice-président de l’Observatoire, « si on avait su tout ça il y a 50 ans, on n’en serait pas là. La connaissance est donc fondamentale, mais, aujourd’hui, ce sont bien de nouveaux moyens financiers et législatifs qu’il faut trouver.  » À Lège, La Teste-de-Buch et à Biscarosse, encore plus au sud, une « stratégie locale de gestion du trait de côte » a été mise en place. D’un montant de plus de 3 millions d’euros, elle bénéficie de fonds européens (Feder) et d’un apport de la région à hauteur de 600.000 euros. La facture s’allonge continuellement. « Le souci, c’est cet apport de fonds publics pour payer des installations souvent privées, comme les maisons de particuliers. À Soulac, l’État doit aussi payer le désamiantage du Signal, dit M. Baude. En tant qu’écologiste, je milite pour une nouvelle occupation de littoral, une prise de conscience générale, une autre approche, en somme. »

La stratégie de Lacanau face à la montée de l’océan.

Le constat est partagé par nombre d’élus et de scientifiques. Alexandre Brun, maître de conférence en géographie à l’université de Montpellier, planche sur ces questions depuis des années. Pour lui, « on n’a plus le temps d’alerter ou d’être catastrophiste. Tout le monde sait que la multiplicité des évènements climatiques va déboucher sur une situation explosive ». Il avance donc plusieurs pistes. Primo, des règles et lois existent déjà, comme la loi Littoral, et il faudrait déjà bien les respecter. Tout en nettoyant largement un « maquis législatif ». Deuxio, « que chacun cotise via des assurances en fonction des risques. Notre système assurantiel repose sur la solidarité nationale, nous pouvons créer des fonds ad hoc avec un régime particulier littoral sous la forme de régionalisation de l’assurance par exemple ».

À Lacanau.

L’enseignant souligne au passage que sur le littoral languedocien, 1,2 million de personnes seraient concernées. Enfin, M.Brun plaide pour de nouvelles formes d’urbanisme et d’innovations sur les territoires concernés pour s’adapter. « La France n’est pas audacieuse en matière d’architecture, à la différence des Pays-Bas ou de la Floride. On est quand même capables de construire sur pilotis par exemple, non ? »

En attendant, ce printemps, à Lacanau, Biscarosse ou au Cap-Ferret, les communes sortent de leur léthargie hivernale et les commerçants s’activent pour préparer une nouvelle saison. À Pâques, puis en juillet et en août, ils seront des millions à venir poser leurs serviettes sur les plages du littoral. Sans savoir, que, chaque année, la mer et l’océan grignotent inexorablement ces surfaces de façon moins spectaculaire qu’une marée noire, mais malheureusement plus « durable ».

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