Collages, sabotages… En Russie, des citoyens se battent pour informer sur la guerre

Un Russe arrêté par des policiers lors d'une manifestation contre l'invasion russe de l'Ukraine, sur la place Manezhnaya, à Moscou, le 13 mars 2022. - © AFP
Un Russe arrêté par des policiers lors d'une manifestation contre l'invasion russe de l'Ukraine, sur la place Manezhnaya, à Moscou, le 13 mars 2022. - © AFP
Durée de lecture : 4 minutes
Libertés UkraineInformer la population russe de la réalité de la guerre contre l’Ukraine est un enjeu majeur. Malgré la répression massive, les militants antiguerre multiplient les initiatives créatives pour lutter contre la propagande d’État.
Moscou (Russie), correspondance
Du noir, de la tête aux pieds. En signe de deuil pour les Ukrainiens, des personnes habillées en noir sont sorties dans la rue vendredi 18 mars, en silence, dans plus d’une centaine de villes de Russie. Dans leurs mains, des roses blanches, en référence au mouvement de résistance contre le régime nazi lancé par des étudiants allemands en 1942.
Cette campagne baptisée « Les femmes en noir » est menée par le mouvement Résistance féministe contre la guerre. Né le 25 février, au lendemain de l’invasion russe en Ukraine, l’objectif de ce mouvement est d’informer la population russe de la réalité de la guerre, présentée par les autorités comme une « opération militaire spéciale ».
Документация акции « Женщины в черном » в разных городах ! Будем постить в канале весь день.
Спасибо большое, что выходите и бережно документируете происходящее.
А то слишком тошно видеть только все эти провластные митинги и концерты с привозными бюджетниками. pic.twitter.com/n8ZBbSA3fP
— Fem Antiwar Resistance (@femagainstwar) March 18, 2022
« Au début, c’était un peu effrayant, il y avait des policiers en service à proximité, confie à Reporterre Dasha Serenko, une activiste féministe de longue date, de 28 ans, qui a participé à cette action en se rendant sur le boulevard Tsvetnoy à Moscou. Des passants nous demandaient ce qu’on faisait. Certaines personnes ont partagé avec nous des histoires sur leurs parents ou amis qui sont en Ukraine. Un homme nous a demandé où il pouvait trouver des informations alternatives sur la guerre, on lui a expliqué comment mettre en place un VPN », des serveurs privés virtuels permettant d’accéder aux sites censurés par les autorités.
Et d’ajouter : « Cela peut paraître dérisoire, mais ces informations peuvent changer la façon dont les citoyens russes perçoivent cette “opération spéciale” et le gouvernement qui l’a déclenchée, c’est pourquoi nos autorités en ont tellement peur. »
« Quand vous collez des affiches, faites-le dans l’obscurité »
Médias indépendants censurés, sites de réseaux sociaux bloqués, arsenal judiciaire renforcé contre les « fausses informations »… Alors que le pouvoir russe fait tout pour bâillonner les voix contraires à la propagande d’État, le mouvement russe antiguerre ne baisse pas les bras.
« L’un des principaux objectifs de notre résistance est de briser le blocus de l’information en Russie, affirme le manifeste du mouvement Résistance féministe contre la guerre, publié sur son fil Telegram, qui compte plus de 20 000 souscripteurs. Les propagandistes et les agences d’État diffusent des mensonges et de la désinformation. Dans ces conditions, diffuser des informations véridiques sur les crimes de guerre de l’armée russe en Ukraine, les victimes civiles et les villes détruites devient une question de principe. »
« C’est être complice d’un crime »
Et les militants ne manquent pas d’imagination. À travers des posts diffusés sur les réseaux sociaux, ils proposent de nombreuses formes d’action pour lutter contre la désinformation : détruire les journaux gratuits distribués dans le métro ; arracher les autocollants progouvernementaux dans les espaces publics ; imprimer des articles sur la guerre provenant de médias indépendants (accessibles via un VPN) et les distribuer partout où c’est possible, comme dans les boîtes aux lettres ou sur les rebords de fenêtres ; coller des tracts et des affiches antiguerre ; s’inscrire sur les réseaux conservateurs pour diffuser des messages sur la guerre ; perturber les campagnes proguerre en détournant les slogans officiels. Par exemple, en transformant le hashtag « #ZaPutina » (« Pour Poutine ») en « #ZaPutina Na Tribunale v Gaage » (« Pour Poutine au tribunal de La Haye »).
Aux fonctionnaires et aux employés subissant des pressions, ils conseillent des pratiques de sabotage : prendre un congé maladie pour éviter de se rendre à un événement de propagande, perdre un dossier de justice contre un militant s’ils sont des employés d’un tribunal, égarer les données des conscrits s’ils sont employés d’un bureau de recrutement militaire, etc.
Наша подписчица ведёт упорную борьбу с коммунальщиками возле мемориала Тане Савичевой, оставляя там антивоенные послания pic.twitter.com/ubMErMEUef
— Fem Antiwar Resistance (@femagainstwar) March 21, 2022
Les mouvements antiguerre donnent aussi quelques conseils pratiques : « Quand vous collez des affiches, faites-le dans l’obscurité, en portant des vêtements discrets et un masque sur le visage. » Car les risques sont réels. Depuis le 24 février, plus de 15 000 personnes ont été arrêtées en Russie pour avoir osé exprimer leur opposition à la guerre. L’association OVD-Infos dénombre plusieurs passages à tabac par les forces de l’ordre. Des activistes particulièrement surveillés par les autorités ont subi des perquisitions à leur domicile ou des intimidations de leurs familles. Nombreux sont ceux qui ont été contraints de quitter le pays.
« De temps en temps, nous avons très peur, reconnaît Dasha. Mais nous trouvons du soutien et du réconfort les uns des autres. Nous savons aussi qu’être un témoin silencieux de la violence, c’est être complice d’un crime. Nous ne nous tairons pas, quoi que les autorités russes nous fassent. » La jeune moscovite salue l’héroïsme des citoyens ukrainiens : « Chaque jour, nous apprenons d’eux le courage. »