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En brefEau et rivières

Comment Paris a repris le contrôle de la gestion de l’eau

Après vingt-cinq ans de privatisation, la capitale a remunicipalisé le service public de l’eau en 2009. Dans le cadre des Transformative Cities, deux journalistes racontent cette transformation. Voici leur texte :

À Paris, la distribution d’eau était publique depuis le règne de Napoléon III (1852-1870). En 1985, après la victoire de la droite aux élections municipales, le maire, Jacques Chirac, décide de la privatiser [Jacques Chirac, élu maire de Paris en 1977, a été réélu en 1983, puis en 1989]. Elle est confiée à deux entreprises multinationales : la Lyonnaise des eaux (aujourd’hui Suez Environnement) sur la rive gauche de la Seine, et la Générale des eaux (aujourd’hui Veolia) sur la rive droite. Ces dernières sont chapeautées par une société d’économie mixte détenue à 70% par la mairie, la Sagep. La concurrence entre Suez et Veolia est censée bénéficier aux usagers, mais ces promesses ne seront pas tenues. Entre 1985 et 2009, la part « eau potable » du prix de l’eau à Paris augmentera deux fois plus vite que l’inflation.

« On avait un système très opaque, avec des flux financiers qui sortaient du service. Avec une non optimisation technique, parce qu’on avait trois opérateurs pour un même service d’eau parisien. Enfin, le contrôle de la mairie était difficile à mettre en place, parce que les opérateurs privés ne donnaient pas toutes les informations », résume Anne Le Strat, première présidente d’Eau de Paris, la régie municipale qui gère la production et la distribution d’eau à Paris depuis 2009.

En 2001, la gauche remporte les municipales. Anne Le Strat est nommée à la tête de la Sagep. Elle commandite un rapport et plusieurs audits sur la gestion de l’eau à Paris. Ceux-ci révèlent que depuis la privatisation, les deux entreprises en charge de la distribution d’eau ont prélevé sur les factures plus de 210 millions d’euros de « provisions pour renouvellement », censées financer des travaux. En 2003, la Cour des comptes souligne un écart croissant entre le montant de ces « provisions » et celui des travaux réellement effectués.

Par ailleurs, les deux entreprises se sont enrichies considérablement : ainsi, entre 1985 et 2001,la Compagnie des Eaux de Paris a versé 56 millions d’euros de dividendes, constitué 27 millions de capitaux propres et 22 millions de biens propres, le tout avec un capital initial de moins de 4 millions d’euros. La mairie de Paris serre alors la vis aux deux sociétés. Progressivement, l’idée d’une remunicipalisation de la distribution d’eau à Paris fait son chemin au sein de la majorité et devient une promesse de campagne de Bertrand Delanoë. En 2008, après sa réélection, la remunicipalisation est votée : la régie publique Eau de Paris est créée le 1er janvier 2009.

Après des années de hausses incontrôlées des factures d’eau, la nouvelle régie publique Eau de Paris décide de diminuer le prix de la production et de la distribution d’eau de 8 % en 2010. Ensuite, entre 2011 et 2019, celui-ci diminue de 3,6 % (alors qu’il avait augmenté d’environ 35 % sur la période 2000-2009). Le coût de l’eau à Paris se situe aujourd’hui à 3,43 euros/m³, alors qu’en banlieue parisienne, où la production et la distribution d’eau est gérée par le SEDIF (Syndicat des Eaux d’Île-de-France), il dépasse fréquemment les 5 euros/m³. L’ensemble du prix de l’eau, qui incorpore les taxes et le coût de l’assainissement — non décidés par Eau de Paris — a quant à lui augmenté d’environ 17 % sur la période 2010-2019.

Evolution du prix de l’eau potable.

Depuis sa création, Eau de Paris a déployé d’importants d’efforts pour promouvoir l’eau du robinet plutôt que l’eau en bouteille. À Paris, les premières fontaines d’eau potable Wallace ont été installées en 1872 afin de... lutter contre l’ivrognerie. Depuis la création d’Eau de Paris, de nombreuses fontaines supplémentaires ont été installées — dont quatorze fontaines à eau pétillante — portant le nombre de points d’eau gratuits à environ 1.200.

« Les fontaines sont un moyen d’accès des personnes les plus fragiles à l’eau. Par ailleurs, on distribue plus de 10.000 gourdes par an à différentes associations qui font des maraudes auprès des sans abris », explique Éric Pfliegersdoerfer, responsable des relations institutionnelles et internationales à Eau de Paris.

Eau de Paris a aussi distribué des carafes aux Parisiens pour encourager la consommation de l’eau du robinet. Grâce à cette démarche, qui permet de limiter la production de déchets en plastique, Paris est devenue la première ville de l’Union Européenne à obtenir le label international « Communauté Bleue », pour la reconnaissance de l’eau comme bien commun, en 2016.

C’est dans la vallée de la Vanne, à environ 150 km au sud-est de Paris, que se situe la zone de captage. Dominique Goffart dispose 310 hectares. Jérôme Vincent en cultive 220 hectares sur le même territoire. La parcelle que nous visitons est située sur un champ de captage, c’est à dire une zone où les pluies alimentent les sources souterraines, dans lesquelles Paris puise la moitié de son eau.

Dominique et Jérôme, agriculteurs bio.

À proximité immédiate de la source, pas d’agriculture ; la zone est clôturée. Un peu plus loin, c’est du chanvre qui est cultivé. Cette plante rustique nécessite très peu de traitements, limitant encore davantage les rejets dans l’eau. Dominique Goffart et Jérôme Vincent font partie des agriculteurs qui ont bénéficié de l’assistance d’Eau de Paris pour leur conversion au bio, afin de limiter la pollution des sources. Ils pratiquent désormais une rotation de cultures, avec de la luzerne pour azoter le sol et un désherbage mécanique.

« On est sur des secteurs ruraux, à 100-150 kilomètres de Paris, donc l’activité principale sur les aires d’alimentation de captage, avec un impact sur l’eau, c’est l’activité agricole. Les agriculteurs sont donc nos premiers partenaires. Notre action consiste à les accompagner dans la transition de leurs modes de production, pour qu’ils soient durables pour l’environnement et notamment pour la qualité de l’eau. Nous sommes à peu près à 10.000 hectares de surfaces agricoles [qui sont en transition vers le bio avec l’aide d’Eau de Paris] », explique Manon Zakeossian, responsable du service protection de la ressource et biodiversité à Eau de Paris.

Dans la vallée de la Vanne, Eau de Paris a notamment financé les études économiques qui ont précédé le passage au bio, a apporté des aides supplémentaires aux agriculteurs, et a financé la création d’un poste de conseillère technique au sein de l’association Bio Bourgogne. La conseillère, très présente, a accompagné un groupe d’agriculteurs, dont Dominique Goffart et Jérôme Vincent, dans la création de leur marque de produits bio : Terre de pays d’Othe. Eau de Paris les a épaulés pour trouver certains débouchés, notamment l’approvisionnement d’une cantine scolaire du 11e arrondissement de Paris.

Le retour en régie publique ne s’est pas fait sans heurts. Le passage à une comptabilité publique et l’intégration des personnels des anciens opérateurs a posé des difficultés. « Veolia nous a mis beaucoup de bâtons dans les roues, notamment pendant le transfert du personnel. Ils ont cherché vraiment à rendre plus difficile la transition », déplore Anne Le Strat. Enfin, l’hebdomadaire Marianne a critiqué les trente millions d’euros qu’Eau de Paris a dû débourser pour remplacer des compteurs installés par Suez dans les années 2000, et devenus rapidement obsolètes.

Néanmoins, des rapports de la Chambre régionale des comptes et de la Cour des comptes ont souligné que la remunicipalisation avait permis de maîtriser le prix de l’eau tout en maintenant un niveau d’investissements élevés. « On a très clairement un service qui fonctionne mieux, on a retrouvé le lien avec l’usager. Donc on a vraiment montré que le service public pouvait être plus efficace et plus innovant. Et tout ça avec une plus grande transparence et un meilleur contrôle », conclut Anne Le Strat.

  • Source : Antoine Hasday et Clara Paradas. Cet article a été réalisé dans le cadre du projet Transformative Cities. Eau de Paris est l’une des douze histoires de transformation locale inspirantes retenues pour le Transformative Cities People’s Choice Award 2019. Les Transformative Cities sont une quête mondiale de pratiques transformatrices et de réponses qui s’attaquent aux crises globales au niveau municipal. Vous pouvez voter pour l’histoire qui vous inspire le plus jusqu’au 9 octobre.

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