Comment des avocats protègent les lanceurs d’alertes du climat

Des manifestants pour le climat rassemblés à Toulouse, le 12 mars 2022. - © Fred Scheiber / AFP
Des manifestants pour le climat rassemblés à Toulouse, le 12 mars 2022. - © Fred Scheiber / AFP
Pour les témoins de crimes climatiques, devenir lanceurs d’alerte n’est pas sans risque. Une nouvelle ONG, Climate Whistleblowers, veut les aider à sortir du silence.
Ouvriers témoins de déversements illégaux, banquiers finançant les énergies fossiles, employés dans les coulisses de pratiques de greenwashing... Nombreux sont celles et ceux qui n’en peuvent plus de se taire face aux méfaits climatiques auxquelles ils assistent. Pour les encourager à « sortir du silence », un collectif d’avocats, de juristes et de militants associatifs a lancé, en juin, l’ONG Climate Whistleblowers (« Lanceurs d’alerte sur le climat »). Leur but : « Accompagner les sentinelles du climat, celles et ceux qui mettent leur sécurité en jeu en rendant publiques des données sensibles, confidentielles et d’intérêt public », dit à Reporterre son cofondateur Gabriel Bourdon-Fattal, avocat des droits de l’Homme.
À l’image d’Edward Snowden sur la surveillance de masse ou d’Antoine Deltour sur l’optimisation fiscale, les lanceurs d’alerte peuvent déclencher des séismes dans l’opinion publique. Pour Gabriel Bourdon-Fattal, ils peuvent constituer « un outil radical dans la lutte contre le changement climatique ». « Trop de décisions essentielles pour l’avenir de l’humanité sont prises sans contrôle citoyen, sans transparence, à huis clos, a écrit le collectif dans une tribune publiée par Mediapart. Cette opacité organisée contribue à préserver l’impunité des responsables. La crise climatique est donc aussi une crise de la transparence. »
« Pour un lanceur d’alerte, l’isolement est mortel »
Climate Whistleblowers rêve d’un monde dans lequel tous les citoyens « ont accès à ces informations qui leur sont trop souvent cachées et qui pourtant obligeraient les responsables de la crise climatique à rendre des comptes ». En la matière, plusieurs lanceurs d’alerte ont déjà montré la voie. En 2019, six ex-scientifiques du gouvernement étasunien ont décrit comment l’administration Trump les a poussés à piétiner les sciences du climat. En 2020, en Australie, l’ancien directeur commercial de la compagnie minière TerraCom, Justin Williams, a révélé la falsification à grande échelle de certificats de qualité du charbon.

Mais les exemples sont encore rares, tant sortir du silence est pavé de risques. « Les lanceurs d’alerte menacent des intérêts puissants, tels que des États, des multinationales, et de grandes industries », dit Anna Myers, directrice exécutive de Whistleblowing International Network (Réseau international de lanceurs d’alerte). Ils s’exposent, ainsi que leurs proches, à une tempête de représailles : des sanctions ou la perte d’un emploi, comme l’a subi Karim, un ouvrier ayant révélé en France les déversements illégaux d’acide d’ArcelorMittal à Florange (Moselle).
Il y a aussi les menaces verbales et les agressions physiques. Une nuit de décembre, en 2012, la lanceuse d’alerte Maureen Kearney, syndicaliste chez Areva, s’est fait agresser chez elle. Elle prévenait depuis plusieurs semaines les médias d’un contrat secret entre la France et la Chine qui menaçait l’avenir de l’entreprise et de ses employés. Dans d’autres cas, les lanceurs d’alerte ont même été abattus. « Le pire, c’est quand ils sont isolés, poursuit Anna Myers. Pour un lanceur d’alerte, l’isolement est mortel. Vous pouvez facilement être supprimé. »
Un « bouclier » pour les lanceurs d’alerte
Climate Whistleblowers se voit justement comme le chaînon manquant, le « bouclier » de ces sentinelles du climat. Installée en France, mais à visée internationale, l’ONG leur propose « une protection englobante, de bout en bout : un accompagnement juridique et financier, un soutien psychologique, mais aussi une assistance médiatique pour maximiser l’écho de leurs informations », dit Gabriel Bourdon-Fattal. « Même s’il faut les aider à changer de pays, à obtenir un visa ou l’asile, nous serons là, nous tissons un réseau avec des diplomates », indique l’autre cofondateur, l’avocat Henri Thulliez.
L’association assure avancer déjà sur plusieurs dossiers. Dans son conseil consultatif, on trouve le climatologue Peter Kalmus, la fondatrice de l’entreprise Sunbox Majd Mashharawi — qui a développé un système d’énergie solaire abordable pour atténuer les effets de la crise énergétique à Gaza — ou encore l’économiste Lucas Chancel.
Clara Gonzales, juriste au sein de Greenpeace, et membre du conseil d’administration de Climate Whistleblower, se réjouit de cette initiative : « Pouvoir garantir le niveau de sécurité suffisant et prendre en charge sur le long terme les lanceurs d’alerte est une ressource complémentaire essentielle pour les ONG qui peuvent recevoir des informations brûlante ». « Il manquait un véhicule international pour protéger les lanceurs d’alerte climatiques. Cette offre n’était, jusque-là, pas assurée », confirme Cécile Marchand, chargée d’enquête Énergies fossiles au sein du collectif Aria. Pour elle, l’initiative peut s’élargir grandement : « Plus les personnes oseront parler, plus elles en inspireront d’autres à agir à leur tour ! »