Comment un petit lac canadien prouve notre entrée dans l’Anthropocène

Le lac Crawford au Canada va pouvoir montrer que les humains ont eu un « impact global suffisant pour changer la nature de l'enregistrement des roches de la Terre ». - Mhsheikholeslami / CC BY-SA 4.0 / wikimedia
Le lac Crawford au Canada va pouvoir montrer que les humains ont eu un « impact global suffisant pour changer la nature de l'enregistrement des roches de la Terre ». - Mhsheikholeslami / CC BY-SA 4.0 / wikimedia
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Climat SciencesUne petite étendue d’eau canadienne est devenue le site de référence du début de l’Anthropocène. Pourquoi ce lac témoigne-t-il des effets de l’activité humaine sur la Terre après 1950 ? Les réponses du professeur Andrew Cundy.
Émissions de charbon, plutonium dû aux essais nucléaires, particules plastiques… L’activité humaine laisse des traces dans nos écosystèmes depuis la révolution industrielle. Au point de changer si durablement la planète que celle-ci pourrait être entrée dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène.
Comment le prouver, le dater ? Le Groupe de travail sur l’Anthropocène (AWG), un réseau interdisciplinaire de chercheurs, travaille depuis 2009 à déterminer un lieu de référence rassemblant les preuves d’une nouvelle période géologique. Et ce, par l’analyse des strates de roches qui se sont constituées à travers le temps. Des centaines d’échantillons en provenance de plusieurs sites ont été traités par le laboratoire de radioanalyse GAU de l’université de Southampton, au National Oceanography Centre de Southampton. Entre les récifs coralliens et les nappes glaciaires, c’est finalement le lac Crawford au Canada qui a retenu leur attention, ont annoncé les chercheurs du groupe le 11 juillet. Une petite étendue d’eau près de Toronto est ainsi devenue le site de référence mondial du commencement de l’Anthropocène.
Andrew Cundy, professeur à la Chaire de radiochimie environnementale à l’université de Southampton et membre du groupe de recherche, a répondu aux questions de Reporterre.
Reporterre — Comment le site du Lac Crawford a-t-il été sélectionné par votre groupe de travail ?
Andrew Cundy — Douze sites candidats ont d’abord été choisis à partir des contributions de la communauté scientifique internationale. Il s’agit d’endroits sur lesquels on dispose d’informations géologiques sur les changements environnementaux enregistrés par une série d’indicateurs physiques, chimiques et biologiques et de changements dans les sédiments locaux, les sols, la glace ou les matériaux biologiques… Tous les sites examinés présentaient des signes évidents de changements environnementaux récents dans leurs archives géologiques.
La sélection finale était principalement basée sur la haute résolution et la qualité des archives sédimentaires du lac Crawford. Ce lieu réunit une série de marqueurs de l’activité anthropique, comme la présence de plutonium. De plus, il est relativement peu affecté par les mouvements tectoniques et sédimentaires, et il est accessible à la recherche. Le lac Crawford présente l’avantage que ses archives sédimentaires permettent de comparer les impacts de l’activité humaine après 1950 aux phases antérieures de l’activité humaine dans la région locale, notamment le défrichement et le développement agricole par les populations indigènes locales.

En quoi la présence de plutonium est-elle déterminante pour identifier l’existence d’une nouvelle ère géologique telle que l’Anthropocène ?
Le plutonium est très rare dans la nature, se préserve bien et est facilement détectable à l’aide des analyses en laboratoire actuelles. Sa date d’apparition globale, 1952, [du fait des retombées radioactives de tests nucléaires commencés en 1945], correspond étroitement à la date de début de l’Anthropocène au milieu du XXe siècle. En effet, il a laissé une empreinte digitale au début des années 1950 dans les matériaux géologiques du monde entier, fournissant une signature radioactive qui persistera pendant plus de 100 000 ans.
Quelles retombées pourrait avoir cette découverte sur la communauté scientifique internationale ?
S’il est ratifié par la Commission internationale de la stratigraphie, le lac Crawford deviendra le lieu attestant de la reconnaissance de l’Anthropocène comme une nouvelle époque géologique. Cela mettrait en évidence notre impact global sur la planète. Au sein de la communauté scientifique, cela montrerait que l’empreinte de nos activités peut être trouvée dans les matériaux terrestres récents qui s’accumulent des pôles aux tropiques. Cela montrerait aussi que nous avons eu un impact global suffisant pour changer la nature de l’enregistrement des roches de la Terre, détectable à l’échelle mondiale aujourd’hui, et probablement aussi dans le futur.