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Énergie

Composté ou brûlé ? Tout le monde s’arrache le broyat

Le broyat se retrouve au cœur d’une bataille entre composteurs et énergéticiens.

Feuilles, branchages... Le broyat suscite bien des appétits. Le gouvernement voudrait faciliter sa combustion dans les centrales à biomasse, au grand dam des réseaux de compostage.

Chaque année, tout heureux possesseur d’un jardin produit environ 160 kilogrammes de branches, feuilles et autres herbes coupées. Des déchets verts diront certains. Mais pour beaucoup, ces monceaux végétaux n’ont rien d’un tas d’ordures. Il s’agit plutôt d’une ressource très convoitée. Le broyat – issu du broiement de branchages – s’est ainsi retrouvé au cœur d’une bataille entre composteurs et énergéticiens. Au milieu, le gouvernement tente d’apaiser le feu qu’il a lui-même attisé.

D’un côté, il y a les composteurs, qui ont besoin de cette ressource essentielle pour un compost de qualité. De l’autre, il y a les énergéticiens, qui souhaitent brûler ce gisement (de la « biomasse ») pour produire de l’électricité ou du chauffage. Pour l’instant, cette combustion est interdite [1]... Mais un arrêté ministériel pourrait changer la donne et inquiète la filière du compostage.

Depuis 2017, le Comité interprofessionnel du bois-énergie (CIBE) œuvre ainsi auprès du gouvernement pour réformer le cadre réglementaire. « La partie bois des déchets verts est une ressource locale, complémentaire à d’autres gisements », précise Clarisse Fischer, déléguée générale du CIBE. D’après les estimations de l’interprofession, quelque 900 000 tonnes de bois pourraient ainsi être valorisées chaque année [2].

« Sans le broyat, pas de compost »

Grâce à ce patient travail de plaidoyer, en 2022, un projet d’arrêté a été porté par le ministère de la Transition écologique. Il vise à « faire perdre le statut de déchet à des broyats de bois issus de déchets verts apportés en déchetterie par les particuliers, selon le propos introductif. Ces broyats pourraient ainsi être utilisés en tant que combustible dans tous les types d’installations de combustion ».

Mis en consultation à l’automne dernier, le texte a fait bondir les associations écolos et la filière compostage. « Le broyat est un élément indispensable pour faire un bon compost », explique Cécile Bussière, du réseau Compost citoyen. Il permet, entre autres, d’aérer le mélange et d’absorber l’humidité. « Sans ce structurant, pas de compost », résume l’experte.

Or cette ressource essentielle est aussi rare. « C’est un bien qui se raréfie, dit Pénélope Vincent Sweet, de France Nature Environnement. La pénurie de broyat pour le compostage est aujourd’hui réelle dans certaines régions et va s’exacerber dans l’année qui vient face au développement des collectes des biodéchets. » Pas question donc de déshabiller Pierre pour habiller Paul. « Je ne vois pas l’intérêt de produire un texte de loi qui affamera encore plus la filière de traitement des biodéchets », ajoute la militante.

La filière bois assure qu’il n’y aura « pas de concurrence »

À terme, cet arrêté pourrait en effet « mettre en péril toute la filière de compostage » dont dépendent « des dizaines de milliers d’emplois », d’après le réseau Compost citoyen. « On craint que les collectivités n’envoient le broyat directement vers les chaufferies à biomasse, souligne Cécile Bussière, alors que la priorité doit être la valorisation au sol, pas la combustion. »

Même son de cloche sceptique du côté de l’association de collectivités Amorce. « Le texte [pourrait] conduire à des conflits d’usage entre les filières avec le risque d’une fuite de ressources, pourtant essentielles pour la valorisation des déchets organiques et la fertilisation des sols », soutient le réseau dans une note de position que Reporterre a pu consulter. Tout en nuançant : « Dans le contexte actuel de crise de l’énergie, une utilisation des broyats de bois en tant que combustible s’avère une solution alternative pour maîtriser l’augmentation des prix de l’énergie. »

Cet arrêté pourrait « mettre en péril toute la filière de compostage ». Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Bernard Dejean

Pas de quoi crier gare, selon le Cibe. « Il n’y aura pas de concurrence, assure Clarisse Fischer. On n’utilise que les fractions les plus grossières de bois, pas les feuilles ni l’herbe tondue. » La déléguée générale plaide ainsi pour une « complémentarité » entre énergéticiens et composteurs.

Ces derniers n’ont pourtant pas été convaincus. Un article de l’arrêté concentre leurs inquiétudes : le numéro 10, qui ouvre la porte à « un transfert conséquent » — d’après l’alerte du réseau Rispo — de déchets verts vers la filière énergétique. Il stipule que « lorsque des circonstances locales particulières le justifient, l’autorité compétente [...] peut élargir le champ d’application de l’arrêté aux fractions non ligneuses des broyats issus de déchets verts ». Autrement dit : les centrales à biomasse seraient ainsi autorisées à faire feu de tout bois – et de tout feuillage. En ligne de mire, les territoires ultramarins, en quête (désespérée) de ressources pour assurer leur autonomie énergétique.

« La priorité doit être la valorisation au sol, pas la combustion »

Pour Amorce, il faut supprimer cet article, car « sa rédaction actuelle autorise des dérogations sans réel critère ni contrôle ». Plus globalement, les associations regrettent « un texte vague et peu contraignant », selon les mots de Pénélope Vincent Sweet. Elles ont donc écrit au ministère cet été pour lui demander de revoir sa copie. Après de premiers retours favorables, l’Hôtel Roquelaure semble faire la sourde oreille. Sollicité, il n’a pas répondu à notre demande d’entretien.

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