Contre le gaspillage, la cueillette solidaire entre voisins

Cueillette de cerises dans un jardin, par l'association Aux Arbes citoyens, en Charente-Maritime. - © Jenny Delrieux/Reporterre
Cueillette de cerises dans un jardin, par l'association Aux Arbes citoyens, en Charente-Maritime. - © Jenny Delrieux/Reporterre
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Alternatives SocialPommes, poires, cerises… Près de La Rochelle, une association cueille les fruits dans les jardins de ceux qui le souhaitent pour les partager avec des structures d’aide sociale.
Lagord (Charente-Maritime), reportage
C’est un drôle de convoi qui se dirige vers une des maisons de Lagord, dans l’agglomération de La Rochelle. Échelle sous le bras, chapeau sur la tête et sac de récolte en bandoulière, ils sont une dizaine de personnes, en cette fin mai, à s’installer dans le jardin d’un de leurs voisins, Xavier Audroin. Objectif : cueillir un maximum de ses belles cerises. Hommes, femmes, enfants : à chacun sa méthode. Les plus téméraires grimpent à l’échelle, d’autres jouent de la perche télescopique. « Regarde Pascal, il y en a plein à ta droite ! » prévient Charlotte en lui tenant l’échelle, avec un sac déjà bien rempli.
C’est la première fois que Xavier Audroin fait appel à Aux arbres citoyens. Depuis juillet 2020, l’association rochelaise propose aux particuliers de cueillir les fruits des arbres de leur jardin pour limiter le gaspillage. De quoi séduire le Lagordais, qui a emménagé dans cette maison dotée d’un cerisier il y a un an et demi. « L’an dernier, on a cueilli les cerises avec les copains, mais il en restait encore. On en a perdu plein, on a trouvé ça stupide. On s’est dit qu’on s’organiserait mieux cette année, raconte-t-il. On en a déjà récupéré trois saladiers, on a fait des gâteaux et des confitures, mais on n’arrivera pas à tout manger. »

Beaucoup à cueillir, trop à manger… C’est en partant de ce constat que Coralie Tisné-Versailles a eu l’idée de créer Aux arbres citoyens avec son mari, Alexandre, et son amie Céline Bréjaud. Elle était alors en plein tour du monde, et a entendu parler de l’association canadienne Not Far From The Tree, qui a développé ce concept. Ni une ni deux, la Rochelaise a fondé l’association dès son retour en France. « Il y a une notion d’action dans ce nom, Aux arbres citoyens, une volonté de changer le monde en tendant la main, que ce soit vers un fruit ou vers les autres. Nous devons honorer ce que nous offre la nature », explique la cofondatrice.

20 kilos de cerises récoltés dans le jardin
Au bout d’une heure et demie ce matin-là, 20 kilos de cerises sont récoltés. La cueillette est mise en commun et les bénévoles repartent avec une partie de leur récolte. Le reste, soit 80 % des fruits, est remis le jour même ou le lendemain à des associations d’aide alimentaire, comme la Banque alimentaire de Charente-Maritime ou l’épicerie sociale du quartier Mireuil, à La Rochelle.
« Entre 5 et 7 millions de personnes en France ont eu recours à l’aide alimentaire en 2020, rappelle Coralie Tisné-Versailles, citant un rapport du Secours catholique. Et c’est justement les produits frais qui manquent le plus. »

D’autant qu’une partie de notre alimentation a souvent parcouru des centaines, voire des milliers de kilomètres avant d’atterrir dans nos assiettes. « Un tiers des produits venant des champs ou des arbres est gaspillé. On parle de faim dans le monde alors qu’on fait face à un problème de surproduction. Il ne faut pas oublier qu’un arbre est dimensionné pour nourrir plusieurs foyers — pas un seul — comparé aux légumes, où l’on plante ou sème en fonction de ce que l’on souhaite récolter. » Il arrive ainsi que l’association vienne directement donner un coup de main aux maraîchers en surproduction.
Figues, pommes, poires…
En attendant, l’association poursuit son bonhomme de chemin. En 2021, 70 cueillettes ont été organisées entre mai et décembre. Cerises, prunes, figues, pommes, poires, noix, kiwis, raisin, olives [1], kakis… 4,7 tonnes de fruits ont été ramassées et partagées depuis sa création.
Et toujours dans une ambiance joyeuse : « Les gens ont vraiment envie de se reconnecter à la nature et aux autres. Il n’y a pas de petit geste », insiste la cofondatrice. C’est également l’occasion pour certains de (ré)apprendre le calendrier des saisons. Et de découvrir certains arbres fruitiers un peu moins connus, comme le plaqueminier, l’arbre qui donne des kakis.

Cette année, l’association compte 200 bénévoles. Après une adhésion au tarif minimum de 1 euro pour une question d’inclusivité — l’adhésion suggérée étant de 10 euros —, ceux-ci peuvent cueillir à l’envi, une fois, dix fois, etc., et choisir leur créneau : matin, soir, en semaine ou le week-end. Les propriétaires des terrains, eux, ne payent rien, ils ont juste besoin de se faire connaître auprès de l’association. « Pas besoin de compétence ou de profil type. Et les enfants sont encouragés à venir. Notre planète va à vau-l’eau et les plus jeunes doivent comprendre que les fruits ne poussent pas dans les supermarchés », dit Coralie Tisné-Versailles.
« Donner du temps et repartir avec quelques fruits »
Les cueillettes sont également l’occasion de tisser du lien. « On retrouve souvent les mêmes propriétaires d’une année à l’autre. Pour certaines personnes âgées, c’est une façon de sortir de l’isolement. Les gens sont contents, on leur rend également service. L’humain reste au cœur du projet », précise sa cofondatrice.

Cette initiative solidaire rochelaise ne demande qu’à se multiplier. Coralie reçoit d’ailleurs de nombreux mails des quatre coins du pays. Une antenne a vu le jour en juin à Bischoffsheim, au sud de Strasbourg (Bas-Rhin), où l’association intervient dans les jardins des particuliers, comme à La Rochelle, mais surtout dans des vergers. « Parmi mes bénévoles, certains ne veulent pas de fruits et préfèrent tout donner. Et il y en a d’autres qui n’ont pas de moyens financiers. Mais ils ne veulent pas l’aumône, ils donnent un peu de leur temps et repartent avec quelques fruits », explique Claudine Janel, qui gère l’antenne alsacienne.
« Il n’y a pas de message politique, on veut juste responsabiliser les gens, précise Coralie. L’héritage de nos ancêtres, qui ont planté des arbres, et notre responsabilité collective. »