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Convention citoyenne pour le climat : l’heure de rendre les copies

Pour sa sixième session, la convention citoyenne pour le climat a présenté 150 mesures visant à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Des propositions assez radicales qui doivent encore être votées et ne seront pas dévoilées publiquement avant le mois d’avril.

  • Paris, reportage

« Je vous propose d’être ambitieux et d’entrer dans l’histoire. » Dans l’hémicycle du conseil économique, social et environnemental (CESE), les 150 membres de la convention citoyenne pour le climat applaudissent à l’unisson l’un des leurs. Depuis octobre dernier, ces femmes et ces hommes rencontrent experts, associations environnementales, scientifiques et lobbyistes afin de trouver des solutions pour réduire de 40 % de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici dix ans.

Travaillant d’arrache-pied, ils ont pris leur mission très à cœur, devenant de véritables experts de leur sujet. « Ce que nous faisons est historique et nous sommes regardés de près. Même si je sais que Reporterre, vous n’avez pas été spécialement tendre avec nous », remarque Sylvain, un Parisien membre de la convention. Il est vrai que ce processus de démocratie participative voulu par Emmanuel Macron a laissé certains acteurs assez dubitatifs. Comment de simples citoyens, pas spécialement écolos, seraient-ils capables de prendre de bonnes décisions et de se faire entendre sur la question climatique alors que les ONG et scientifiques prêchent dans le désert depuis des années ? Le 6 mars dernier, Attac a même publié une tribune les invitant à « porter des exigences à la hauteur des enjeux en faisant fi des carcans imposés » afin d’éviter « les mesures inoffensives et autres petits pas inefficaces ».

Chaque groupe de travail est venu apporter le fruit de ses réflexions.

Du 7 au 9 mars dernier, c’était justement le moment de rendre les copies. Chaque groupe de travail est venu apporter le fruit de ses réflexions sur les grandes thématiques : consommer, se déplacer, se nourrir, se loger, produire et travailler. Au total, 150 mesures ont été présentées. Et certaines particulièrement radicales ne déplairaient pas à Attac… Mais il nous est hélas impossible d’en dévoiler le moindre mot car l’équipe organisatrice de la convention a demandé la confidentialité à tous les médias. « Il est important que ces mesures qui ne sont pas encore définitives puissent être délibérées en interne pour préserver la sérénité des débats », explique Juliette Prost, de l’équipe communication. « Il faut garder le côté happening et pouvoir arriver au bout de la maturation, qu’on soit tous d’accord. Et surtout capables de défendre les mesures », renchérit Sylvain, l’un des 150 citoyens.

Liberté individuelle contre responsabilité collective

Sans briser l’omerta, on peut affirmer que certaines idées ont été amplement débattues. D’un côté, ceux qui rechignent à limiter la sacro-sainte liberté individuelle. De l’autre, ceux qui comprennent qu’il faudra faire des concessions drastiques pour répondre à l’urgence climatique. Un débat quasi philosophique analysé par Bernard Reber, philosophe et chercheur au CNRS : « Il y a des choix à faire autour du conflit de valeurs ; quel frein aux libertés face aux responsabilités individuelles sur l’avenir des générations futures ? La politique, c’est de réussir à faire des compromis. Et tous ces participants ont appris la complexité de la décision politique. » Certains s’inquiètent également de la réception des recommandations auprès du grand public. « Il faudra bien les expliquer pour éviter qu’elles ne soient rejetées », explique Agnès, une participante venue d’Île-de-France. Éviter de s’aliéner les Français qui ne sont pas encore prêts à bouleverser leur mode de vie : voici l’autre enjeux de leurs réflexions. « On ne veut pas être castrateur. On prend en compte la façon dont les gens vont réagir », assure un participant. « Bien sûr que le Français ne va pas être content. Mais il va falloir qu’il réfléchisse. Il veut évoluer ou pas ? », renchérit un autre.

Agnès, une participante venue d’Île-de-France.

Au-delà des débats riches, parfois enflammés, mais toujours respectueux, un véritable consensus se dégage autour des grands enjeux climatiques. Car en seulement six mois, les participants sont devenus des experts dans leur domaine, bien conscients qu’il faut frapper fort pour que les choses évoluent. « Cette expérience prouve que lorsqu’on fait appel à l’intelligence collective, on peut atteindre de très hauts niveaux d’expertise. Il faut arrêter de prendre les gens pour des idiots », analyse Mathilde Imer, membre du comité de gouvernance et des Gilets citoyens, le collectif organisateur de la convention.

Pour beaucoup, la prise conscience a débuté très tôt, dès les premières présentations des scientifiques, notamment celle de Valérie Masson-Delmotte, la coprésidente du groupe 1 du Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat). « Quand la convention a commencé, les gens ont pris une grosse claque car ils n’étaient pas conscients de l’urgence climatique. Ils ont été déprimés en rentrant chez eux », raconte Yolande, une Bretonne, militante antinucléaire de longue date. Elle aussi craignait les « mesurettes colibris », mais a constaté avec soulagement que les choses sont allées beaucoup plus loin que prévu et que les membres n’étaient pas des pantins au service des lobbies. « J’ai dit qu’il fallait taper fort car sans révolution ni volonté politique, rien ne sera possible », s’exclame-elle.

En définitive, cet exercice démocratique est devenu une école de la politisation, entraînant un bouleversement des pratiques et des consciences. « Le fait d’être ici a changé mes habitudes. Maintenant je prends moins de viande à ma cantine », raconte un participant lors du débat sur l’alimentation. D’autres estiment qu’il va être difficile de retourner à leur vie d’avant comme si de rien n’était. Une association est d’ailleurs en cours de création pour continuer le travail entamé.

Que faire si le gouvernement demeure sourd aux revendications ?

Samedi 7 mars, durant la pause déjeuner, quelques citoyens ont rejoint la place du Trocadéro, où plusieurs collectifs organisaient un rassemblement en soutien à la convention. Daniel Suchet est membre de Citoyens pour le climat, une association qui vulgarise les rapports du Giec. « Nous sommes ici pour les soutenir et offrir une caisse de résonance à leur travail remarquable, explique le jeune homme. Il faut sortir de la sphère individuelle, de l’intime. Ne pas se contenter de mesures ponctuelles ou d’une écologie punitive mais s’inscrire dans un changement global enthousiasmant. » Parmi la petite centaine de personnes présentes, une question fuse : que faire si les propositions sont ignorées par le gouvernement ? « La guerre ! » s’exclame Gilles, un ancien chauffeur de bus perplexe sur le devenir des mesures. « Je pense que Macron ne va rien adopter du tout et trouver une parade. Car on n’invente rien. Les scientifiques ont déjà tout dit il y a des années. Pourtant, le gouvernement n’a jamais rien fait. Comment voulez-vous avoir confiance envers ces gens-là ? »

Au Trocadéro, plusieurs collectifs organisaient un rassemblement en soutien à la convention.

La prochaine et dernière session de la convention aura lieu les 3 et 4 avril. D’ici là, les citoyens vont préparer une tribune qui sera publiée dans la presse pour expliquer les ressorts de leurs choix au plus grand nombre. Puis, ils devront voter les 150 mesures et les présenter dans un rapport remis au gouvernement qui s’est engagé à l’étudier rapidement. Ils pourront également décider des mesures qu’ils souhaitent soumettre à un référendum. Mais pour Mathilde Imer, quelle que soit l’issue de ces tractations politiques, le pari est déjà gagné : « Soit le gouvernement tient ses engagements et prend enfin des mesures ambitieuses pour le climat. Soit il dévoile son vrai visage aux yeux de citoyens qui ne sont pas des militants et qui parlent à un public beaucoup plus large. » Le rapport de force ne fait que commencer.

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