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Coupe du monde 2022 : la contestation s’étend parmi les footballeurs

Plusieurs équipes internationales de football ont affiché leur volonté de voir les droits humains des ouvriers qui préparent le Mondial 2022, au Qatar, respectés. Des milliers d’entre eux sont morts sur les chantiers qataris depuis dix ans. En France, les réactions publiques sont pour l’instant timides et individuelles tandis que la Fédération nationale reste mutique.

Le malaise et la contestation grandissent autour de la Coupe du monde 2022, qui se disputera au Qatar. Le mercredi 24 mars, avant le match opposant Gibraltar à la Norvège, qualificatif pour le Mondial, les footballeurs norvégiens ont arboré un t-shirt blanc avec les inscriptions « Droits humains, sur et en dehors du terrain ». Erling Haaland, Martin Odegaard et leurs coéquipiers dénonçaient les conditions de travail des ouvriers qui bâtissent les stades, les aéroports, les routes, ou encore les hôtels, projets inhérents à l’organisation de la compétition.

« Nous voulons faire pression sur la Fifa pour qu’elle soit encore plus directe, encore plus ferme à l’égard des autorités au Qatar, qu’elle leur impose des exigences plus strictes », a déclaré, la veille de cette rencontre, le sélectionneur de la Norvège Ståle Solbakken. Son équipe a récidivé, le samedi suivant, contre la Turquie. La Fifa n’a pas bronché.

L’action des Norvégiens a fait des émules. L’Allemagne, opposée à l’Islande le 25 mars, leur a emboîté le pas avec des t-shirts « Droits humains sur et hors du terrain ». Le milieu de terrain allemand Leon Goretzka a expliqué, après le match, que les joueurs avaient eux-mêmes tracé les lettres sur leurs t-shirts : « Nous avons une large audience et nous pouvons formidablement l’utiliser pour envoyer des signaux en faveur des valeurs que nous défendons. »

Le samedi 27 mars, les joueurs des Pays-Bas sont également entrés sur la pelouse vêtus de tee-shirts noir portant la mention « Le football soutient le changement ». « Nous savons que les ouvriers qui construisent les stades du Mondial 2022 travaillent dans des conditions très difficiles. Nous ne pouvons pas y rester insensibles et ne rien faire », a déclaré le défenseur néerlandais Matthijs de Ligt en conférence de presse.

Le meilleur buteur de l’histoire de l’équipe de France, Thierry Henry, a félicité les joueurs contestataires et exhorté « les "gros bonnets" » du football mondial à « sortir » et expliquer « ce qui se passe ».

Plus de 6 500 ouvriers décédés

Ces actions interviennent alors que plus de 6 500 ouvriers originaires d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sont morts au Qatar depuis que le pays a obtenu l’organisation de la Coupe du monde 2022, il y a dix ans. Ce chiffre a été révélé mardi 23 février par The Guardian, qui a recoupé les données des gouvernements de ces pays, principaux pourvoyeurs de main-d’œuvre au Qatar. Le nombre réel de morts serait même supérieur, puisque les données d’autres pays, dont les Philippines ou le Kenya, qui comptent de nombreux ressortissants travaillant au Qatar, n’ont pas été recueillies.

Comme l’a montré Reporterre, la Coupe du monde 2022 constitue également un désastre écologique. Pour parer à des conditions météorologiques inadaptées à la pratique du football de très haut niveau, un système de climatisation géant a notamment été installé dans chacun des stades, pour éviter que les joueurs et les spectateurs suffoquent en cas de fortes chaleurs. « Un rafraîchissement de l’air génère, par nature, des dépenses énergétiques significatives, et les climatiseurs sont responsables d’une hausse des températures dans les grands centres urbains puisqu’ils rejettent à l’extérieur la chaleur qu’ils ont pompée à l’intérieur », a déploré Gilles Paché, professeur en sciences de gestion à l’université d’Aix-Marseille. Il qualifie ce Mondial de compétition « profondément anti-écologique ».

Des prises de position qui se multiplient

Ce mouvement s’inscrit dans un contexte de « politisation accrue de la figure du footballeur », observe Carole Gomez, directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste en géopolitique du sport. Depuis plus d’un an, les prises de position politiques des footballeurs se sont multipliées.

En Angleterre, l’attaquant international Marcus Rashford s’est engagé pour que le gouvernement offre des repas gratuits aux enfants pauvres pendant les vacances scolaires. Le Français Antoine Griezmann a rompu son partenariat avec le géant des télécoms Huawei pour son rôle supposé dans l’asservissement des Ouïghours. Kylian Mbappé s’est exprimé au sujet des violences policières, et son coéquipier au Paris Saint-Germain, Layvin Kurzawa, a manifesté le 2 juin 2020 aux côtés des proches d’Adama Traoré et de dizaines de milliers de personnes réunies après la mort de George Floyd, un Afro-Américain étouffé par le plaquage ventral d’un policier de Minneapolis. Le 8 décembre 2020, les joueurs de PSG-Basaksehir, une affiche de Ligue des champions, ont quitté le terrain pour dénoncer les propos racistes d’un arbitre.

Hugo Lloris devant le reste de l’équipe de France, lors d’un match de qualification pour la Coupe du Monde 2018 contre la Biélorussie, le 10 octobre 2017.

Cependant, critiquer l’organisation d’une Coupe du monde est une autre paire de manche pour des footballeurs professionnels : « Il faut voir tous les sacrifices, l’abnégation, la chance et le talent qu’il faut pour en arriver là, a déclaré le champion du monde 98 Robert Pirès à Reporterre. Dès l’enfance, on est aspirés dans une course où seuls les meilleurs parviennent à décrocher ne serait-ce qu’un contrat professionnel. Nos carrières sont courtes et on est très peu, en réalité, à bien gagner notre vie. Alors disputer une Coupe du monde, ça reste un privilège sur lequel on ne peut pas cracher. »

Mbappé, Griezmann et consorts, champions du monde en titre, refuseront-ils « de dribbler au milieu des ossements, dans des stades climatisés », comme le disait le journaliste de So Foot Nicolas Kssis-Martov à Reporterre ?

Lundi 29 mars, Reporterre a demandé par courriel à la Fédération française de football si l’équipe de France se sentait concernée par ces actions et comptait participer au mouvement, notamment en marge du match qu’elle disputera, ce mercredi 31 mars, contre la Bosnie-Herzégovine. La FFF n’a pas répondu. En conférence de presse, le gardien et capitaine Hugo Lloris a toutefois déclaré que ces actions étaient « une bonne chose » : « Les joueurs ont le droit de se manifester. En tout cas, il n’y a aucun joueur qui est insensible à ce qui a été dit ou écrit par rapport à tout ça. »

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