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Luttes

Dans le Jura, l’opposition au Center Parc s’organise

La première manifestation publique d’opposition au projet de Center parc se présente comme une initiative visant la collecte d’informations. Mais il s’agit bel et bien de contrer un projet touristique considéré comme socialement de mauvaise qualité et écologiquement non maîtrisé.


Deux cents personnes se sont rassemblées dans la matinée de dimanche 25 mai en forêt de Poligny à l’initiative de l’association Le Pic noir, récemment constituée dans l’optique de réunir des informations sur le projet de création d’un Center parc sur cent-cinquante hectares dans le secteur des Tartaroz. Des morceaux de rubalise ont été accrochés symboliquement aux arbres sur les quelques 6 km du périmètre du projet.

Maurice Ethiévant, paysan retraité à Mesnay, près d’Arbois, ne cache pas sa perplexité : « Ce qui me gêne, c’est la concentration. Elle se fait toute seule à la neige et sur l’eau. Là, on fabriquerait quelque chose d’artificiel. Quand j’étais jeune, un vieux disait : une personne qui pisse sur un poteau, il n’y a pas de problème, mais si tous les habitants d’un HLM le font, c’est de la pollution... »

Evoquant les facilités procédurales qui s’annoncent pour le projet de Center Parc, il les compare avec sa propre situation : « On est en Natura 2000 sur notre exploitation et il faut demander à genoux pour enlever un buisson ». Deux poids, deux mesures ?

« En termes d’emplois et de tourisme, il peut y avoir d’autres projets plus structurants »

Maurice a également deux gîtes, deux chambres d’hôte et six places de camping à la ferme : « je n’ai pas de recul sur les gîtes qui sont récents, mais avec les chambres et le camping, on a un bon demi-salaire. Au lieu des trois-cents emplois promis par le projet de Pierre & Vacances et les collectivités locales, on pourrait investir dans cent-cinquante accueils diffus avec deux emplois, mais ça ne fait pas rêver... Pourquoi ne pas développer l’accueil diffus ? Il existe déjà ! Et ça ne coûterait rien en infrastructures...

Sur dix hectares, j’ai des collègues qui ne vivent quasiment que de l’accueil paysan pour lequel la ferme produit... C’est de la vraie concurrence entre voisins, sans dumping social... Mais je ne suis pas sûr qu’un Center Parc ait un impact négatif sur le tourisme diffus, je n’en sais rien ».

Isabelle Barnier, agronome et consultante en développement rural, pense qu’il y a « autre chose à faire avec l’argent public. On pourra sans doute avoir de l’énergie avec une chaudière bois, mais, sur le karst (relief calcaire au sol très perméable, ndlr), il y a un vrai problème d’adduction d’eau et d’assainissement. En termes d’emplois et de tourisme, il peut y avoir d’autres projets plus structurants. Center Parc arrive comme un colonisateur avec des emplois de mauvaise qualité ».

« Le Revermont manque d’offres touristiques attractives »

Que peut-on faire pour le tourisme avec une trentaine de millions d’euros d’argent public ? « On peut commencer par réfléchir à l’accueil touristique sur le Revermont qui manque d’offres attractives, on pourrait par exemple imaginer des tours des vignes en calèche. On pourrait aussi faire du développement local, mais pas seulement dans le tourisme : il faut un développement endogène, porté par les gens... Pourquoi ne pas commencer à avoir une médiation sur la manière de créer trois-cents emplois ? », répond Isabelle Barnier.

Le temps de recueillir les avis de Maurice et Isabelle, nous arrivons au lieu du rassemblement, une clairière. Guy Mottet, paysan à Plasne, l’un des villages riverains du site, est surpris de l’affluence : « il n’y a pas que des militants de gauche ou écolo, je vois des gens que je n’aurais pas imaginé voir... »

Laurent Gaudin, l’un des huit fondateurs de l’association Le Pic noir, empoigne le micro d’une petite sono portative : « Adhérez, allez chercher les informations chacun dans votre secteur, inscrivez-vous dans une commission ». Un grand barbu se présente comme membre du mouvement similaire né en Saône-et-Loire en opposition au projet de Center Parc du Rousset : « le projet est identique, aussi stupide, on va le combattre de la même façon ».

« Déjà 500.000 euros de recettes forestières en moins »

Jean-François Clet, président du syndicat intercommunal de l’eau de Ladoye et Le Fied, autres communes riveraines. L’eau de Ladoye, deux-cents mètres plus bas dans la reculée, arrive au Fied, sur le plateau, par pompage : « il ne faut pas compter dessus pour alimenter un Center Parc », dit l’élu local. Le secrétaire de Jura Nature Environnement lui succède au micro : « On a rencontré le Conseil général qui nous a dit s’appuyer sur deux syndicats des eaux qui, pour l’heure, sont à fond, saturés... ».

Michel Charreyron, cofondateur du Pic noir aborde la question forestière sous l’angle financier : « il y a vingt-cinq années de production de bois sur les cent-cinquante hectares du site. A près de 400.000 euros par an, cela fait huit à neuf millions... A comparer aux cinq millions de recette de la vente si l’on prend comme valeur 15 à 18.000 euros l’hectare... »

Jacques Guillot, élu de l’opposition de gauche au conseil municipal de Poligny, a des chiffres un peu différents mais il n’y a pas que les chiffres : « on est déjà à 500.000 euros de recettes en moins car deux ventes de bois à 250.000 euros ont été bloquées pour 2013 et 2014, mais on nous a dit que c’était différé ».

« En démocratie, nul n’est contraint d’aimer la nature ni même de la protéger »

Ancien conseiller général écologiste de Champagnole, Michel Moreau regarde le projet au vu des enjeux analysés par le Ggroupement intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) : « Réaliser une piscine telle qu’elle est projetée, en ignorant sa consommation d’énergie, qui ne peut qu’être conséquente étant donnée son architecture ostentatoire, serait se tromper de siècle... Peut-on imaginer une participation publique, du département ou de la région, au projet sur cent-cinquante hectares de forêt qui n’absorberont plus les quelques 5000 tonnes de CO2 par an... Imaginez l’énergie gaspillée pour refroidir en été, chauffer en hiver, une structure qui représente le degré zéro du tourisme : attirer le client dans un milieu entièrement artificiel alors que la nature est si belle dans le Jura ! » Il est cependant pragmatique : « En démocratie, nul n’est contraint d’aimer la nature ni même de la protéger ».

C’est sans doute pourquoi Gérard Lacroix a insisté sur l’aspect juridique du combat : « lors de la première phase, administrative, la jurisprudence est favorable à l’environnement. Mais lors de la seconde, celle de l’installation classée, si l’intérêt économique du projet est mis en avant, le risque des recours est d’être condamné à payer des indemnités... »

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