Dans le Lot, un projet agrivoltaïque divise Montcuq-en-Quercy-Blanc

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Agriculture ÉnergieLa société Photosol veut installer plus de 2.000 tables photovoltaïques sur 66 hectares de terre agricoles dans le Lot. Un projet qui soulève l’opposition de ceux qui y voient une atteinte au paysage, mais qui remporte l’adhésion des paysans propriétaires des parcelles ainsi reconverties.
- Montcuq-en-Quercy-Blanc (Lot), reportage
La petite voiture d’André de Baere sillonne les routes plates de la vallée, s’engage dans les hauteurs du plateau boisé, contourne les champs adossés aux collines. Avec son doigt, ce Belge d’origine, venu s’installer il y a vingt ans dans le Lot, désigne les bâtisses en pierres blanches, caractéristiques de la région. « Il y a une grande variété dans ce paysage du Quercy Blanc, c’est ce qui fait sa particularité, s’émeut l’ex-architecte et paysagiste, désormais président de l’association locale Environnement juste. Ce serait quand même dommage de venir le gâcher. »
Si André de Baere est inquiet, c’est à cause d’un projet lancé en 2018 et qu’il a découvert par hasard durant l’été 2020 : la construction d’une centrale photovoltaïque au sol, sur 66 hectares de terres agricoles de la petite commune de Montcuq-en-Quercy-Blanc (1.785 habitants).
Ce projet, porté par la société Photosol, promet de construire 2.088 tables photovoltaïques pour une puissance installée de 49,4 MWc (mégawatt crête ; il s’agit de la puissance maximale délivrable). La centrale devrait produire environ 64 GWh (gigawattheure) par an, selon les prévisions du porteur de projet. « Le parc permettra de subvenir à la consommation électrique (avec chauffage) de 5.767 maisons construites après 1999, ce qui correspond à environ 5,85 % du parc de logement de type maison du Lot [1] », écrit à Reporterre Alexis de Deken, chargé du dossier pour la société Photosol depuis deux ans. À l’heure actuelle, le coût total du projet (construction de l’ensemble du parc, location des terrains, raccordement, etc.) est estimé à environ 50 millions d’euros.

Il s’agira d’une centrale « agrivoltaïque » : Photosol prévoit d’installer sous les panneaux solaires une activité ovine et apicole, portée par un jeune agriculteur, et s’engage à assurer son fonctionnement sur la durée d’exploitation du parc photovoltaïque, soit 20 ans minimum. « Ce projet vise surtout à sauver des exploitations de leur disparition — au vu des conditions climatiques avérées ces dernières années, qui rendaient les rendements et l’exploitation de ces sites impossibles », poursuit Alexis de Deken. Dit comme ça, l’idée est séduisante. Mais, à Montcuq-en-Quercy-Blanc, deux camps se sont rapidement formés : les pro-centrale, et les anti.
« Il y a déjà suffisamment de terres délaissées pour y mettre des panneaux photovoltaïques »
André de Baere et l’association Environnement juste font partie de ceux qui s’opposent à ce projet. En ce jeudi nuageux d’octobre, quelques adhérents accompagnés de membres de la fédération France Nature Environnement (FNE) Midi-Pyrénées descendent une colline pour aller observer les parcelles concernées. Ils arrivent rapidement devant un champ impressionnant, qui s’étend à perte de vue — mais où les cailloux semblent plus nombreux que les brins d’herbe. « Photosol cherchait des terrains mal entretenus », avance André de Baere. Les terres agricoles appartiennent à sept propriétaires différents.

Devant ce grand terrain, il est bien difficile d’imaginer à quoi ressembleraient les quelque 2.100 tables photovoltaïques (entourées de clôtures de deux mètres de hauteur) et le poste de transformation ceinturé par une clôture haute de 3,10 mètres. La mine attristée, le vice-président d’Environnement juste, Tim Abady, lâche dans un soupir que « si ce projet voyait le jour, le Quercy Blanc pourrait perdre sa valeur paysagère ».
Ces amoureux du panorama lotois ne dénoncent pas seulement les conséquences visuelles du projet, ils déplorent également l’endroit choisi pour le bâtir. D’après la législation, les centrales photovoltaïques au sol ne sont pas censées être construites sur des terres agricoles. La circulaire du 18 décembre 2009 rappelle qu’un tel projet peut être refusé s’il est de nature à compromettre les activités agricoles. En 2011, dans une note de cadrage des services de l’État pour l’instruction des projets solaires photovoltaïques en région Midi-Pyrénées, il était spécifié que « la consommation de surfaces agricoles utiles pour le développement du solaire photovoltaïque est un conflit d’usage avéré qui n’est pas acceptable ».

Afin de contourner cette règle, le conseil municipal de Montcuq-en-Quercy-Blanc s’est engagé, lors de la séance du 3 septembre 2018, « à appuyer toutes les démarches nécessaires pour classer les zones au document d’urbanisme en vigueur en “À urbaniser” à destination du photovoltaïque ». En d’autres termes : déclasser des terres agricoles concernées par le projet, pour qu’elles ne soient plus considérées comme telles.
« Nous sommes pour les énergies renouvelables, mais avec certaines réserves, pas dans n’importe quelles conditions, souligne Hervé Hourcade, juriste pour la fédération d’associations FNE Midi-Pyrénées, venu soutenir l’association Environnement juste. Il y a déjà suffisamment de terres délaissées pour y mettre des panneaux photovoltaïques. » Dans un rapport publié en avril 2019, l’Agence de la transition écologique (Ademe) a déjà identifié les sites propices à l’accueil des centrales photovoltaïques : des zones délaissées (friches industrielles, tertiaires, commerciales, sites pollués), des parkings, etc.
Un effet potentiel sur les oiseaux, les abeilles et les fleurs
Les adhérents d’Environnement juste craignent un effet sur la biodiversité. Pauline [*], écologue de formation, a épluché les presque quatre cents pages de l’étude d’impact de la future centrale. « La société a essayé de réduire au maximum les conséquences sur la faune et la flore, concède-t-elle d’abord, mais il reste pas mal de points à améliorer. » La jeune femme évoque notamment le sort de certains oiseaux : l’œdicnème criard par exemple, se plaît dans les champs labourés ou les terres rases avec peu de végétation. « En mettant en herbe ces parcelles, et en posant des panneaux, ce ne sera plus un espace disponible pour cette espèce », se désole Pauline. Même chose pour l’alouette lulu, très présente dans le secteur, qui a l’habitude de se cacher dans le blé.
En outre, « les prairies vont être modifiées à cause du pâturage des moutons, avec le piétinement mais aussi l’eutrophisation, leurs excréments vont enrichir le sol et cela va modifier la faune et la flore », fait remarquer l’écologue.
La future activité apicole annoncée est aussi une inquiétude des membres de l’association. « Il est annoncé un nombre faramineux de [300] ruches », rappelle Bernard Vidal, agriculteur et apiculteur de la région. Il en possède une soixantaine et précise que son voisin en a également. « On va se retrouver avec des ruches en surnombre, on ne sait pas ce qu’elles vont consommer, les abeilles vont mourir de faim ! » alerte-t-il.
Enfin, plus encore que la crainte des effets néfastes de ce projet spécifique de Montcuq-en-Quercy-Blanc, certains citoyens ont « peur de voir fleurir d’autres centrales photovoltaïques partout sur le territoire », comme le souligne Anne Godin, membre d’Environnement juste.
« C’est une façon de mettre un pied dans la transition énergétique »
À l’inverse, d’autres citoyens saluent ce projet de ferme agrivoltaïque. « C’est une façon de mettre un pied dans la transition énergétique », estime Boris Burzio, architecte et membre de l’association Quercy Blanc environnement. Selon lui, l’emplacement des futurs panneaux solaires ne pose pas de problème. « Ce sont des terres qui ont été défrichées récemment, rappelle-t-il. Les rendements sont médiocres, voire quasiment nuls, à grands coups d’engrais et de pesticides. Au moins, avec ce projet, on reviendra à l’utilisation ancestrale de ces terres de plateaux, qui est l’élevage. »
Pour certains habitants, à l’image de Boris Burzio, la perspective d’être fournis en électricité « propre » est plus importante que les éventuels dommages visuels. « Les autres ne veulent rien à côté de chez eux, mais il faut prendre notre part de merde, lâche-t-il. Il faudrait quelques centaines d’installations comme celle-ci pour remplacer la centrale nucléaire de Golfech [Tarn-et-Garonne, à une quarantaine de kilomètres de Montcuq]. Le photovoltaïque n’est pas parfait, mais c’est beaucoup moins mauvais que le nucléaire ou le pétrole. »
Du côté de la mairie de Montcuq-en-Quercy-Blanc, la question ne se pose même pas : Alain Lalabarde, le maire, est « persuadé que c’est un beau projet ». Il affirme comprendre certaines craintes des habitants, mais l’édile avance qu’il faut bien passer à un autre modèle énergétique, et que l’effet visuel sera moindre. « Il vaut mieux pour moi qu’il y ait un seul point comme celui-là, que d’avoir tout notre territoire couvert de panneaux photovoltaïques sur les maisons, dit-il. D’autant plus que dans un village comme le nôtre, vous avez les ABF (Architectes des bâtiments de France) qui vous interdisent de le faire, car il y a une proximité avec des monuments historiques. »

Les retombées financières pourraient être importantes pour toute la région de Montcuq-en-Quercy-Blanc. « Le principal bénéficiaire [des taxes locales] sera le département du Lot avec 92.000 euros par an, la commune avec 81.000 euros par an, l’EPCI [l’établissement public de coopération intercommunale] avec 9.700 euros par an, puis enfin la Région avec 5.500 euros par an », estime Alexis de Deken, porteur du projet. Et cela pendant au minimum vingt ans. À ces chiffres, il convient d’ajouter la taxe d’aménagement : elle devrait être de 71.460 euros pour la commune, et de 48.593 pour le département.
« On parle tellement peu de la ruralité, c’est un projet qui peut faire parler de nous, argumente le maire, Alain Lalabarde. C’est identitaire quelque part, c’est très important de nous mettre en avant sur des projets comme celui-ci. »
La mise en place d’un jeune agriculteur
Les grands gagnants de ce projet devraient surtout être les agriculteurs qui loueront leurs parcelles. Sébastien Lafargue, 51 ans, est l’un d’entre eux. Sur son exploitation de 450 hectares, il élève des vaches, cultive du soja, du maïs, du tournesol, du blé, de l’orge… Sur la table de son salon, le magazine La France agricole traîne négligemment. Sa une indique : « Énergies renouvelables, le gouvernement souffle le chaud et le froid ».

Sébastien Lafargue possède son exploitation, reprise à ses parents en 1989. Eux-mêmes avaient récupéré les terres au début des années 1980. « Elles étaient déjà de mauvaise qualité mais en utilisant des engrais chimiques, ça a bien fonctionné, on avait besoin de faire moins de rendements », se souvient Sébastien Lafargue. Aujourd’hui, le sol est épuisé. « On a tiré sur ces terrains tout ce qu’on pouvait », dit-il.
L’agriculteur est en partie à l’initiative du projet agrivoltaïque de Montcuq, puisque c’est lui qui avait au départ contacté des entreprises. Aujourd’hui, parmi les quatre exploitants agricoles concernés par le projet, il est celui qui cultive la plus grande parcelle : 44 hectares. « La rentabilité de ces parcelles est négative, lâche-t-il franchement. Donc, comme tous, je cherche des solutions pour mieux les valoriser. Avec ce projet, je perdrai l’argent de la PAC [Politique agricole commune] mais je récupérerai un loyer à la place, plus intéressant. » Sébastien Lafargue préfère cependant garder pour lui le montant de cette somme. Une fois que cette parcelle sera cédée à la location, l’agriculteur compte convertir le reste de sa ferme en agriculture biologique.
Du côté de la chambre d’agriculture du Lot, l’idée a été accueillie favorablement. À une condition : « Le projet ne sera accompagné et soutenu que s’il y a une activité agricole avérée et pérennisée dans le temps », prévient Grégoire Mas, chargé du suivi. C’est un jeune agriculteur (le fils d’un des propriétaires de parcelles concernées par le projet) qui devrait s’installer sous les panneaux photovoltaïques. Il aura donc accès à un foncier sans avoir à le payer, « un luxe », estiment les paysans de la région.
En filigrane, l’opposition à ce projet pose différentes questions : comment opérer la transition énergétique ? Quelles installations voulons-nous ? À quel prix ? La direction départementale des territoires du Lot (DDT) doit donner son opinion dans les prochains jours. Une enquête publique sera mise en place une fois que la mission régionale de l’Autorité environnementale aura également rendu son avis.